Deux Algériens disparus au Maroc depuis 1984

Par Cheikh Hamdane – En 1984, une époque où les harraga d’aujourd’hui n’étaient pas encore nés, les relations algéro-marocaines étaient au sommet de leur détérioration. Deux Algériens sont portés disparus au Maroc. Depuis, aucune nouvelle de ces deux pères de famille, malgré les recherches faites. Les autorités algériennes à cette époque n’avaient pas employé tous les moyens légaux pour éclaircir cette affaire qui demeure jusqu’à nos jours une énigme. Abdelkrim Mizouni est né un matin du 5 septembre 1936 en Algérie. Etudes primaires et secondaires normales, celle de l’époque. Quand la guerre de Libération se déclenche, Mizouni rejoint le maquis, il est officier de l’ALN. Après l’indépendance, il reprend ses études et décroche le diplôme d’ingénieur, où il sera recruté par l’entreprise nationale Sonelec de Mohammedia (ex-Perrégaux). Il occupe le poste de chef du projet, jusqu’à 1981, date de son départ en mission en Allemagne, où il suivra un stage de formation d’ingénieur spécialisé. De retour au pays, il assurera ses fonctions jusqu’à sa mise à la retraite en été 1984. Abdelkrim Mizouni, qui habitait le quartier de Gambetta à Oran, rue de Tahiti, lia amitié avec son voisin Abdou, 38 ans, un féru de l’électronique qui voit en lui un maître extraordinaire. Miloud Mezouane, 65 ans, un amateur de mer et de pêche, se lie aux deux hommes. Abdelkrim Mizouni possède une barque et le trio décide alors une sortie de pêche en mer. Ils se donnent rendez-vous pour le 8 novembre 1984, à 14h. A la date fixée, les trois amis quittent Oran à bord du véhicule Mercedes appartenant à Mizouni, et se dirigent vers la plage de Bouzedjar, lieu où se trouvait l’embarcation. Les préparatifs de cette sortie s’accomplissent, les trois hommes changent leur tenue vestimentaire et déposent leurs affaires personnelles et pièces d’identité dans le véhicule. A 18h, ils se dirigent vers le large. Mais au cours de la nuit, le temps a changé et une tempête se déclenche, empêchant le retour vers la plage, la nuit noire isole les trois hommes davantage, aucun secours en vue. Le lendemain, 9 novembre 1984, l’alerte est donnée. Les éléments de la Gendarmerie nationale et de la Protection civile et les garde-côtes entrent en action, mais les recherches ne donnent aucun résultat. Elles se poursuivent pendant quatre jours consécutifs, en vain. Le lundi 12 novembre 1984, la radio maroco-française Medi 1 basée à Tanger annonce le sauvetage en mer de deux naufragés au large de la côte de Saidia, au Maroc. L’information diffusée précisera que les deux naufragés épuisés ont été conduits à l’hôpital El-Farabi d’Oujda pour y recevoir des soins. Le lundi 19 novembre 1984, des pêcheurs algériens qui se trouvaient au large de la côte d’Aïn Témouchent repêchent dans leurs filets le cadavre d’un homme. Alertés, les gendarmes l’identifient rapidement. C’est le cadavre d’Abdou, son épouse identifie le corps grâce au signe particulier qu’il portait sur sa poitrine. Les familles des deux autres naufragés étant rassurées sur leur sort attendent leur retour de l’hôpital d’Oujda. Cette attente va durer plusieurs mois sans le moindre écho des deux naufragés. La frontière est fermée, il faut se déplacer à la DGSN et enregistrer le motif du voyage pour recevoir le OK. Kheira, l’épouse de Mizouni, très inquiète, tente alors d’effectuer des recherches. Elle rencontre des pêcheurs algériens qui lui apprennent que la barque de son époux se trouvait à Saidia. Le 26 avril 1985, Kheira reçoit une lettre d’un citoyen marocain, habitant à Mohammedia, près de Casablanca. Dans sa lettre, il dit que l’affaire d’Abdelkrim Mizouni est grave et que seuls le Croissant-Rouge et la Croix-Rouge internationale peuvent faire quelque chose. Le 6 avril 1988, Kheira reçoit une autre lettre qui confirme le contenu de la précédente. Juin 1988, Kheira se rend auprès du consulat marocain à Oran. Elle raconte la disparition de son époux et de son ami, mais elle n’y reçoit aucune réponse. Même chose du côté du Croissant-Rouge algérien. Seule la Croix-Rouge internationale l’informe par lettre que les recherches effectuées sont demeurées vaines. Le 17 août 1988, Mme Mizouni écrit au ministre algérien de l’Intérieur, ainsi qu’à la Ligue algérienne des droits de l’Homme. Elle ne reçoit aucune réponse. Elle décide de se déplacer au Maroc. A Oujda, elle se fait confirmer que son époux et son ami, tous deux admis à l’hôpital El-Farabi, suite à leur naufrage, avaient été inscrits sur le registre des admissions. Elle apprend par ailleurs que les deux hommes avaient subi des interrogatoires durant leur séjour à l’hôpital avant d’être emmenés vers une destination inconnue. Juin 1989, Mme Mizouni se déplace une nouvelle fois au Maroc. Elle rencontre des personnes influentes. L’une d’elles, résidant à Rabat, lui expliqua que son époux et son ami seraient peut-être en vie. Une autre personne, habitant à Casablanca, lui expliqua qu’elle ne devrait pas perdre espoir, car les deux hommes seraient en vie, mais les deux interlocuteurs ne pouvaient en dire plus. Toujours à Rabat, Mme Mizouni contacte le Croissant-Rouge marocain, mais dès que les responsables entendent l’histoire des deux naufragés, ils mettent fin à la conversation et s’empressent de changer de sujet ; ils refusent d’effectuer des recherches. Abdelkrim Mizouni et son ami Miloud Mezouane n’ont donné aucun signe de vie depuis le 8 novembre 1984, à 18h. Ni les autorités algériennes ni celles marocaines n’ont répondu aux appels des familles des disparus. Ces deux citoyens algériens se seraient trouvés quelque part dans le cachot d’un bagne marocain ou à Tazmamart. Leur crime ? Ils ont voulu faire une partie de pêche en mer. Et cela a tourné au drame. Alors, disparus en mer, enlevés par les services marocains, jetés et oubliés dans un bagne au Maroc ? Tués par les services ? Aucune autorité des deux pays n’a élucidé cette affaire qui dure depuis 1984. Les faits se sont déroulés au Maghreb, pas sur une autre planète ou en Israël !
C. A.
 

Pas de commentaires! Soyez le premier.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.