Si L’Hocine est parti

Par Samir Bouakouir – Il part en emportant avec lui un pan, le plus éclairant et le plus fécond, de notre mémoire collective. Au panthéon de l’Histoire, il s’élèvera au rang des grands hommes qui se sont mis au service de grandes causes. Son engagement politique, exemplaire, aura été, est et sera un repère pour de nombreuses générations. Il part au moment où l’Algérie se trouve en pleine tourmente, menacée par toutes sortes de périls. Celui qui a milité durant toute une vie pour une Algérie libre et heureuse nous quitte avec certainement cette fierté d’avoir donné le meilleur de lui-même, mais en même temps avec ce sentiment amer, cette douleur profonde, de voir son pays à ce point abîmé et abaissé. De là où il se trouve, il observera ce concert de louanges lui rendant hommage. Y compris par ceux qui l’ont combattu en usant de procédés parfois indignes et jamais de «bonne guerre». Alors qu’il avait tout simplement demandé à être écouté lorsqu’il le fallait pour faire éviter au pays l’engrenage meurtrier qui marquera à jamais la conscience nationale. Celui qui, philosophiquement, se qualifiait de «libertaire atypique», abhorrait les totalitarismes de droite comme de gauche, au nom de Dieu ou de la raison d’Etat et tous ces «ismes» qui embrigadaient les hommes et les femmes pour en faire des instruments au servir de logiques de domination. A tous ces apôtres d’une vision sceptique et apocalyptique de la destinée humaine, il opposait l’humanisme radical, celui des droits de l’homme. Il croyait à la bonté humaine, à cette capacité des hommes et des femmes à se sublimer et s’élever pour devenir meilleur. Son patriotisme n’avait rien à avoir avec l’hystérie nationaliste d’une «famille révolutionnaire» qui a privatisé l’Etat et ses richesses. A ceux qui ont fait main basse sur le pouvoir au nom de la révolution, il répondait qu’il Il n’y avait d’historique que le peuple algérien et sa détermination à en finir avec toutes les formes d’oppression. Enraciné dans sa culture ancestrale amazighe – qu’il n’opposait pas à l’arabité-, il en a puisé le meilleur pour la conjuguer à l’Universel. Son refus des sectarismes, des fausses fraternités et de l’ethnicisme ghettoïsant, intellectuellement stérilisant, lui ont donné une dimension internationale. C’est pourquoi son action et celle du FFS, il les inscrivait dans une perspective historique. Il ne cessait de plaider inlassablement pour un Maghreb des peuples, unique voie de salut dans un monde globalisé. Homme de dialogue, il ne supportait les mises en scène, les marchandages et les petites magouilles et combines. Il s’en éloignait comme de la peste. Pour lui le compromis ne rimait pas avec compromission ou avec des petits arrangements sur le dos des Algériennes et des Algériens. Son sens politique hors du commun le mettait hors d’atteinte des diverses stratégies de manipulation des «Boussouf boy’s». Et s’il a choisi l’exil, c’est qu’il considérait à juste titre que l’exercice de la politique, en homme libre, était impossible en Algérie. Ceux qui lui reprochaient son «oppositionnisme», y compris au sein de son propre parti et parmi des cadres impatients, ne manqueront pas aujourd’hui de saluer sa grande lucidité et d’avoir essayé, contre vents et marées, de préserver les bases de principes sans lesquels tout espoir de démocratisation aura été définitivement enterré. Rectitude morale, conception de la politique et du politique inséparables de l’éthique, cohérence et constance à toute épreuve sont autant de principes et attitudes qui font aujourd’hui cruellement défaut au sein de la classe politique algérienne. Bien sûr, il n’était pas à l’abri, comme tout humain d’ailleurs, de quelques erreurs de jugement sur les hommes et les situations, mais en aucune manière il n’aurait accepté de renier ses convictions, le pouvoir n’était pas pour lui une finalité, mais un moyen. Si L’Hocine s’en va, mais laissera dans nos esprits et j’espère dans ceux de nombreux militants et militantes de la démocratie cette volonté de ne jamais marchander leurs convictions, leur idéal, celui d’une Algérie réconciliée, libre et heureuse, et ce, même quand tout pousse au renoncement, à la démission et au désespoir.
Repose en paix, cher Hocine.
S. B.

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