En plein conflit avec Messali : comment le défunt Hocine Aït Ahmed a survécu à la «crise berbériste»

L’incident provoqué par l’intrusion du chef de file des autonomistes, Ferhat Mehenni, dans la cérémonie de recueillement sur la dépouille de Hocine Aït Ahmed à Lausanne a ravivé des interrogations sur ce que pensait réellement le défunt de la question identitaire, et nous renvoie fatalement à un épisode tumultueux vécu par le défunt lors de la crise dite «berbériste», en 1949, et dont il subsiste encore des zones d’ombre. Tous les historiens estiment que Hocine Aït Ahmed fut victime d’une cabale de la part de la direction de son parti, à cause de sa proximité avec les «instigateurs» de la crise, à leur tête Bennaï Ouali, ancien militant du mouvement national et cheville ouvrière des lycéens de Ben Aknoun, dont faisait partie Aït Ahmed. N’empêche que son affectation en Egypte, avant même la découverte de l’Organisation spéciale (OS), et l’arrestation de ses dirigeants, est perçue comme une façon de l’isoler du groupe. Il faut dire que le jeune Aït Ahmed, à l’instar de ses compagnons de l’OS, ne se gênait guère d’afficher son insoumission aux directives du parti et de son chef, affichant le profil d’un militant plutôt rebelle et irréductible. Qu’on en juge ! A la clôture d’une conférence du PPA-MTLD, tenue à Alger, et à laquelle tous les militants étaient conviés, Messali Hadj demanda si l’assistance souhaitait poser des questions. Prenant la parole, Aït Ahmed accuse tout de go la direction de ne pas avoir tenu sa promesse de convoquer un congrès pour trancher, notamment, sur les questions fondamentales liées à «la lutte contre l’occupation» et à «la démocratisation du parti». Son intervention suscita des remous, mais aussi une adhésion spontanée de plusieurs délégués venus de toutes les régions du pays. Aux sermons de Messali adjurant les militants de se soumettre au nom de l’unité des rangs, les jeunes militants dits «activistes» opposaient l’impératif d’une union par la base. Conséquence de cette dissension, les militants de Kabylie menaçaient de ne plus désigner un représentant de leur région au bureau politique du parti «tant que la date du congrès n’était pas fixée». Il n’en fallait pas plus pour vouer aux gémonies ce groupe de militants. Même si ce fameux congrès du PPA a finalement été organisé.
La difficile voie médiane
C’est dans ce climat de suspicion accrue et de tensions entretenues au sein du parti qu’éclata la crise dite «berbériste». Un groupe de militants «matérialo-marxistes» venait poser avec fracas la question identitaire et la place de la composante berbère dans le mouvement national, et notamment dans les statuts du PPA-MTLD, parti dont ils sont membres. A l’initiative de Rachid Ali Yahia, étudiant et militant très proche de Bennaï Ouali, la Fédération de France du MTLD fit voter, à 28 voix contre 32, une motion suggérant l’idée, mal comprise à cette époque, d’une «Algérie algérienne et laïque», par opposition au concept consacré de «l’Algérie arabe et musulmane». En réaction à cette initiative, la direction du parti décide d’une purge dont seront victimes plusieurs militants, en France et en Algérie, parmi lesquels on peut citer, outre le principal instigateur, Bennaï Ouali, Ali Ferah, Saïd Oubouzar, Amar Laimèche, Amar Ould Hammouda. Cela dit, beaucoup d’autres militants de l’OS, en rupture de ban avec la direction du parti, jugeaient «prématurée» l’évocation de la question identitaire, estimant, par ailleurs, que cela participait d’un «travail de sape» qui nuirait à l’idéal de la lutte contre le colonialisme qui devait unir tous les nationalistes. Aït Ahmed était parmi ces militants plus soucieux de l’indépendance du pays, mais sans pour autant rejoindre les militants remontés contre «une poignée de renégats». Evoquant dans ses mémoires cet épisode «déroutant», Aït Ahmed parle du principal instigateur, Rachid Ali Yahia, comme étant resté coupé des réalités du pays. «N’ayant pas connaissance des décisions prises au sommet, écrit-il, Rachid Ali Yahia s’intéresse aux questions secondaires. En effet, bien que la question identitaire soit essentielle, devant le phénomène colonial, celle-ci n’est pas prioritaire, comme le prouveront plus tard les combattants de la Wilaya III historique». Commentant la désignation par Messali de trois berbérophones (Sadok Saïdi, Dr Chawqui Mostefai et Belkacem Radjeff) pour reprendre le contrôle de la Fédération de France, Aït Ahmed semble donner sa caution. Mais il maintient subtilement ses réserves : «Au printemps 1949, écrit-il, le capitaine Saïdi participe donc aux opérations de pacification et de maintien de l’ordre avec d’autant plus d’élan qu’il a, cette fois, le sentiment d’être du bon côté, et qu’à triompher sans péril, il n’en aura pas moins la gloire de se faire une virginité.» Mais quand la traque des militants incriminés va prendre des proportions démesurées, Aït Ahmed sera le premier à prendre leur défense. Il tenta, ainsi, de convaincre la direction du parti de cesser ses attaques contre les responsables de la Kabylie. «Je leur demande de garder la tête froide : l’avalanche d’arrestations qui ont frappé les dirigeants de la Kabylie, cela sent la provocation, la manipulation. Il ne faut pas se tromper d’adversaires. Bennaï et tous les emprisonnés sont des hommes sérieux et conséquents. Ali Yahia n’est qu’une péripétie. Il n’était pas au comité central de Zeddine. Il ignore tout de nos options fondamentales, de nos buts. Mais, justement, comment les atteindre si on décime l’encadrement en Kabylie ?» clamera-t-il encore. En effet, à la réunion de l’état-major de l’OS à Zeddine, petite bourgade relavant de l’actuelle wilaya d’Aïn Defla, en décembre 1948, à laquelle ont participé Aït Ahmed, Ould Hamouda et Bennaï, l’aile révolutionnaire a réussi à faire adopter son projet insurrectionnel. Néanmoins, bien qu’aucun responsable n’ait pu voter contre un tel projet, certains membres de la direction font tout pour repousser cette échéance. Les notables du PPA-MTLD ne veulent plus de l’orientation arrêtée à Zeddine. Ainsi, en combattant le projet insurrectionnel, l’opportunisme électoraliste, selon Aït Ahmed, «a de bons jours devant lui».
R. Mahmoudi

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