Rebonjour le FMI

Par Ahcène Moussi – En 1979, le président Chadli a commencé son histoire en tant que premier magistrat du pays, en annonçant des «restructurations» qu'il avait jugé nécessaires. Il avait peut-être raison de vouloir engager cet inévitable grand chantier ; son erreur, par contre, c'est d'avoir évité de nommer l'opération par son nom et de n'avoir pas, au préalable, consulté et impliqué la société civile, s'agissant d'un grand chantier qui consiste à mettre en place un plan systématique de libéralisation de l'économie algérienne. Et voilà qu'il a imposé, sous les encouragements hypocrites des experts européens proches des cercles de décision, une cure d'amaigrissement au peuple, via l'application de certaines mesures contraignantes, pensant pouvoir, de cette façon, réussir ce saut, difficile, mais inévitable, vers l'économie de marché. La chute régulière du prix du pétrole, amorcée à la mi-1985, pour atteindre son niveau le plus bas, quelques mois plus tard, a alors mis à nu, subitement, les carences profondes de l'économie algérienne, carences masquées jusqu'alors par l'importance de la rente pétrolière. Cette baisse de 40% du prix du brut de l'époque a démontré l'utopie et l'illusion du tissu industriel algérien et révélé non seulement sa fragilité, mais aussi la grande dépendance de tout un système, construit sur la seule performance du secteur des hydrocarbures. Cette situation, qui a vu nos exportations baisser de 60% en valeur, nous a contraints de couper plus de la moitié dans le volume de nos importations, entre 1984 et 1987. C'était alors une bonne part de notre économie qui était paralysée. Il fallait donc aller coûte que coûte vers l'endettement extérieur. Toute démarche de restructuration ou de réforme économique envisagée à cette période, par le seul recours à nos capacités financières internes, n'était que de la poudre aux yeux. Elle serait, sans aucun doute, vouée à l'échec, en raison de l'importance de notre dette extérieure (26 milliards de dollars), de nos réserves de change (pratiquement inexistante), de notre déficit public (très élevé) et de l'urgence à prendre en charge nos très nombreux besoins sociaux. Il faut rappeler aussi le climat social de l'époque, qui a laissé envisager des turbulences importantes à très court terme. La jeunesse, au bord d'une crise de nerfs, menaçait de sortir dans la rue si rien n'est fait rapidement. Voici qu'avant même que le FMI ne débarque chez nous, cette baisse des prix des hydrocarbures de 1986, reçue comme une sacrée gifle par nos dirigeants, sous la «responsabilité» du président Chadli, a été une opportunité pour accélérer les réformes. Le peuple n'en pouvait plus alors. Il a refusé d'accepter son statut de «pauvre malheureux» dans un pays, qui, par son héroïque histoire, sa grandeur, ses ressources, sa jeunesse, sa position géopolitique, sa compatibilité à toute sorte d'investissement… aurait pu subvenir non seulement aux besoins de ses propres concitoyens, mais aussi à ceux de toute la région d'Afrique du Nord. Ce qui devait arriver arriva, puisque le 5 octobre 1988, l'Algérie va basculer dans l'horreur pendant plus d'une dizaine d'années. Nous sommes, cette fois-ci, en mars 2016 et, paradoxalement, cet acharnement à la diversification de notre économie semble encore une fois n'être qu'un rêve en couleurs dont la concrétisation est remise aux calendes grecques. Cette idée de la diversification de notre économie est autant le centre d'intérêt et la première préoccupation à laquelle adhèrent toute la société algérienne et ses dirigeants, autant les tenants du système, pour des raisons que nous ignorons, l'évitaient et s'efforçaient de nous la faire oublier, pour, en fin de compte, n'avoir d'yeux que pour ce pétrole qu'ils aiment si bien, au point de le considérer comme leur seul et unique bébé, quand bien même il est stressant et de comportement bizarroïde. Et voici donc que notre ministre de l'Industrie et des Mines et le chef de division du FMI chargé des pays maghrébins entament, le 7 mars 2016 à Alger, les discussions autour de cette question de diversification de notre économie dans un contexte de chute des prix du pétrole. Pour masquer, encore une fois, la raison de la venue de cet expert du FMI à Alger, raison qui serait à notre point de vue les préparatifs de prochaines négociations pour des emprunts extérieurs, via cette grande institution financière internationale, nos dirigeants préfèrent, comme à leurs habitudes, nous faire croire que cette visite entre dans le cadre normal des discussions annuelles, comme mentionné dans les statuts du FMI. Il semblerait que nos dirigeants ne vivent pas dans le même pays que nous. Ou encore voudraient-ils faire comme ces autruches qui cachent leur tête dans le sable pour se croire à l’abri d’un danger évident. Nous sommes conscients du danger qui guette notre pays. La situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui nous inquiète et nous interpelle au plus haut point. Nous savons comme tout le monde que notre pétrole se vend à peine à 32 dollars le baril. Nous savons que la conjoncture internationale actuelle et à moyen terme ne fait pas notre affaire. L’économie mondiale roule au ralenti, des découvertes de gisements de pétrole se font aux Etats-Unis, en Chine, en Egypte…, des volumes importants de cet or noir cherchent acheteurs. Notre solvabilité serait certainement remise en cause. Nous ne voulons pas apprendre les leçons du passé et pourtant nous avons eu la chance de vendre, durant des années de suite, notre pétrole à plus de 120 dollars le baril ; nous n'avons malheureusement pas su profiter de cette embellie financière. Que d'occasions ratées pour nous remettre sur selle, pour asseoir une économie diversifiée, pour réaliser des projets alternatifs au pétrole, pour faire aussi bien du secteur public que privé des courroies de transmission complémentaires, qui fleuriront le pays et constitueront des richesses durables et profitables à tous. Nous ne voulons plus conditionner l'avenir de l'Algérie à la seule rente pétrolière. Il est faux que de croire que les seuls emprunts internes, obligataires ou encore cet argent informel, puissent résoudre tous les problèmes qui se posent au plus grand pays d'Afrique, ce pays de 40 millions d'habitants, répartis sur une superficie de 2 400 000 km². Ce n'est pas par un cachet d'aspirine qu'on guérira le cancer et ce n'est pas avec un chef d'orchestre seul que l'on montera un concert. Il est donc temps d'impliquer les forces vives de la nation, cette société civile, tous ces intellectuels, ces spécialistes, ces experts, où qu'ils se trouvent (ici ou ailleurs). C'est seulement avec ce monde-là, à travers des débats télévisés, des réunions libres et transparentes, des consultations tous azimuts que l'on pourra mettre sur pied un pays respectueux et respectable, fort de sa jeunesse et de son potentiel économique. C'est seulement avec ce monde-là que nous parviendrons à rattraper le peloton de tête, avec ou sans le pétrole. C'est aussi avec ce monde-là que nos réserves de change seront souveraines et fortes, que notre fond de régulation des recettes se fortifiera chaque année, que notre outil de production sera rentabilisé et que notre taux de chômage baissera fortement. Choisir la voie de l'exclusion et du mensonge, telle que suivie jusqu'à l'heure, c'est planifier, pour une troisième fois, notre passage sous les fourches caudines du Fonds monétaire international.
A. M.
Economiste, président de la Mouvance Migratoire Ô Canada

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