Une contribution du Dr Arab Kennouche – Le président Bouteflika pourra-t-il tenir jusqu’en 2019 ?

La gifle monumentale infligée à l’Algérie par Manuel Valls, Premier ministre de la République française, a bel et bien fissuré l’édifice de la Présidence et les secousses sont loin d’avoir produit tous leurs effets. Même si on peut reprocher à la France d’avoir outrepassé les règles élémentaires de la morale s’agissant d’une atteinte à l’intégrité physique et psychologique d’une personne malade, qui pourrait aggraver son état de santé, il faut reconnaître que l’Algérie a tout fait pour se rendre vulnérable sur la scène internationale. Nous n’épiloguerons pas sur l’indécence d’un Valls vindicatif, peu enclin à respecter les effets du serment d’Hippocrate, et les quelques principes de déontologie qui auraient dû normalement lui interdire toute atteinte à la pudeur d’un homme grandement malade. Résonnant encore comme une réplique du coup d’éventail d’Alger, cet acte politique marque une rupture fondamentale dans les relations algéro-françaises, et ce, pour plusieurs raisons.
Naïveté et légèreté algériennes
Alors qu’on avait pris l’habitude de décrire ces rapports comme excellents, le geste de Manuel Valls montre l’ampleur des fissures longtemps dissimulées entre les deux Etats et qui, vraisemblablement, finiront un jour par faire s’écrouler les nombreux liens fragiles, culturels et économiques encore en vigueur. En effet, ces passes d’armes incessantes, ces coups fourrés et autres formes de conflictualités insidieuses démontrent l’impossibilité d’une diplomatie de bon voisinage entre les deux pays, construite dans l’oubli ou l’effacement d’un passif historique encore bien trop lourd. Mais la faute est double et c’est bien l’Algérie qui a prêté le flanc la première en s’autorisant de nouvelles noces avec la France, sans prendre les précautions d’un respect des lois fondamentales de sa propre histoire. En se livrant corps et âme à la France, qui demeure une grande puissance impériale, il faut le souligner, l’Algérie de Bouteflika a rompu avec sa ligne de conduite stratégique issue en particulier de la lutte de libération nationale et qui avait permis au pays de refaire surface. Imprudente dans sa façon de commercer avec la France, elle s’est progressivement laissé dicter des règles de domination économique allant contre ses intérêts de souveraineté et de développement à long terme de ses industries, à cause d’une promiscuité dangereuse entre une présidence de la République et une France habituée à court-circuiter les appareils administratifs de ses anciennes colonies. La France est parvenue à affaiblir le centre nerveux du pouvoir en Algérie en soutenant un quatrième mandat du président Bouteflika, synonyme de paralysie interne de l’appareil d’Etat, et donc a fortiori d’une emprise supplémentaire sur les centres de décision du pouvoir algérien. D’où l’extrême aisance avec laquelle Manuel Valls a pu sans rougir enfoncer le couteau dans la plaie d’un Etat dyarchique, au moins, tout en se sachant invulnérable aux réactions d’Alger. Alors que les Algériens sont soumis à une propagande féroce destinée à faire accroire à la possibilité d’un mandat achevable, les Français comptent les quelques jours qui restent avant que la fissure entre pro et anti-Bouteflika ne devienne un champ ouvert à la violence politique. Comment, en effet, continuer de penser que le président de la République pourra tenir jusqu’en 2019 ?
2019 ou la fin impossible d’un mandat
Il est désormais évident que le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, ne pourra pas terminer son mandat. Trois années sont un temps long, risqué, incertain pour une fonction politique lourde de responsabilités. La question que l’on se pose désormais concerne sa succession et pour les autorités algériennes, il incombe de ne pas se précipiter au cours de cette année, afin de laisser une porte de sortie honorable au président de la République. Il est indéniable que cet homme a marqué l’histoire de la nation, et il n’est pas encore souhaitable d’en faire le bilan. L’initiative de cette sortie doit provenir du Président lui-même, dans un geste de grande responsabilité politique, mettant en jeu le devenir historique de la nation algérienne. Le président Bouteflika est capable de se montrer digne de cette dernière mission qui consiste à quitter le champ de l’Histoire pour justement mieux le réintégrer d’une façon grandiose, épique, universelle et qui désamorcerait en même temps les ultimes tentatives extérieures de déstabiliser l’Algérie. En créant une initiative présidentielle de restitution des institutions de la République au peuple, l’Algérie reconnaîtrait en son Président la sagesse politique d’un homme sachant évaluer le pour et le contre d’une fin de mandat improbable. Car qui peut croire, jusque dans les cercles présidentiels, que l’Algérie de 2017, 2018, 2019 sera encore gouvernée par un chef de l’Etat comme il se doit de l’être. Et quels avantages tirerait-on à présenter un homme au bout de ses capacités devant le gotha mondial des décideurs ? Est-ce cette Algérie que nos aïeux désiraient ? Le respect de l’homme, quels que soient ses actes et convictions, passe avant toute autre chose : les spécialistes des passations de pouvoir doivent trouver les moyens d’une nouvelle initiative présidentielle qui laisse à l’homme la voie d’une sortie honorable avant que ne s’abattent les foudres de la haine, de l’humiliation, et de la défaite du peuple. Devant cette situation inextricable, il faudra faire montre de beaucoup de compassion et d’indulgence et reconnaître encore, malgré tout, le caractère sacré d’une fonction à l’inverse de ce que nous a démontré la France à travers son Premier ministre. Il est possible que le Président se ressaisisse honorablement en montrant à la face du monde son sens élevé des responsabilités par une sortie volontaire, déterminée, éthiquement irréprochable, d’un homme, non plus acculé, mais qui sache entendre raison pour le bien de la nation et agir pour son intérêt. Car il ne faudrait pas acculer le Président en invoquant des raisons de droit constitutionnel ou le rendre encore responsable d’un feu qui pourrait se déclarer après l’étincelle de Valls. C’est au Président de prendre l’initiative d’un départ salutaire, patriote, ultime sacrifice versé dans l’histoire d’une nation qui sait apprécier l’abnégation et le pardon, car nous croyons tous encore en cette grandeur d’âme de l’homme chez qui la confession d’une faute, le pardon ou le sentiment d’une mission inachevée est une élévation bien plus grande que la négation d’une situation intenable et hautement volatile. Nous voudrions donc encore voir le président Bouteflika agir de lui-même et faire sortir de l’ornière cette Algérie déboussolée avant qu’il ne soit trop tard, de sorte qu’il ne soit plus permis qu’un homme politique venu de l’étranger vienne piétiner le sol algérien et en repartir plein de gloriole et de mépris en épinglant toute une nation par une simple photographie. Monsieur le président de la République, à vous d’entrer en scène et à vous de la quitter majestueusement !
Dr Arab Kennouche

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