Arabie Saoudite : l’histoire synthétique d’une grande imposture inventée par les Anglais(*)

L’efficacité présumée et la légitimité acceptée ou tolérée de l’Arabie Saoudite sont moins motivées par sa puissance financière que par la symbolique qui se dégage de sa géographie, de son histoire et, surtout, de son nom, «Arabie». Les «Arabes» en général, majoritairement musulmans aujourd’hui, ont toujours cherché, hélas !, en vain, dans l’islam, c’est-à-dire inséparablement dans Allah, le Coran et le prophète Mohammed (QSSSL), une idéologie de libération nationale et d’unité fédéraliste. C’est ainsi qu’ils ont nourri dans leur inconscient historique une affection et une allégeance intimistes envers la terre qui a vu naître, vivre et mourir le Prophète (QSSSL), ainsi qu’envers les autorités temporelles qui y règneraient sur le territoire des lieux les plus saints et sanctifiés de l’islam. Il devenait encore plus évident que si cette terre prenait le nom d’«Arabie», les Arabes «suiveurs de l’exemple parfait du Prophète» (QSSSL), et donc de la sunna, seraient distraits du fait que cette «Arabie» est, en fait, la création de non-Arabes et de non-musulmans – les Britanniques chrétiens –, et est la propriété privée de manipulateurs futés : les Al-Saoud. D’autre part, ils feraient confiance aux initiatives que l’autorité temporelle qui y règne théocratiquement initierait en leur nom et au nom de l’islam.
Qui sont les Al-Saoud, en réalité ? Les Al-Saoud sont une dynastie de patriarches rétrogrades, affairistes et défaitistes régnant actuellement sur la terre de naissance de l’islam, telle que connue actuellement et que les milieux politiques et universitaires d’Occident s’efforcent d’intégrer dans le panthéon des pères fondateurs du panarabisme. Il est vrai que les idées, le discours et le jeu politiques qu’ils ont développés vers la fin de la Première Guerre mondiale légitimaient la nécessité d’une nation arabe libérée de la colonisation. Mais la vérité, ici, est double ; elle est que la colonisation était d’abord ottomane et elle est aussi que cette posture panarabiste était plus justifiée par l’opportunisme politique et la soif de la légitimation temporelle que par autre chose. D’ailleurs, ce sont les Britanniques qui ordonnèrent ce discours à Ibn Saoud, un de leur espion majeur dans la péninsule, et gourou de la secte wahhabite. Ce dernier, malgré l’existence d’une force armée d’illuminés sanguinaires, les Ikhwan, a été incapable d’organiser, à la manière du FLN algérien, la lutte politique, sociale et armée pour libérer et prémunir les Arabes de la brutalité coloniale et spoliatrice des Ottomans, des Allemands et des Britanniques. Depuis 1744, Mohamed Ibn Saoud, son ancêtre connu comme fondateur de la dynastie et allié d’un obscurantiste, Mohammed Abdelwahhab, n’y a jamais pensé. Les Ikhwan servaient plus égocentriquement et égoïstement Ibn Saoud pour ses annexions locales des clans rivaux (Ryad en 1902 et Hedjaz en 1924) que pour des guerres de libération.
Il acceptera la toge de panarabiste tout simplement pour concurrencer la puissante famille hachémite d’un autre opportuniste, celle du chérif de la Mecque, Hussein Ben Ali, qui avait promis aux Britanniques son soutien anti-ottoman, contre la promesse cynique de lui créer son «grand royaume de Syrie» amputé d’une partie des peuples de cette Syrie sacrifiée aux Français qui deviendra le Liban. Le marché conclu, il lancera avec succès – car très charismatique d’autant plus qu’hachémite – la rébellion contre les Ottomans. Les Ottomans vaincus jusqu’à Médine, il devancera Ibn Saoud et se fera proclamer, le 30 octobre 1916, «roi des Arabes».
Après des guerres larvées et violentes entre son clan et celui des Al-Saoud, qui aboutiront à la victoire des… Britanniques, Ibn Saoud craignant subir aussi le machiavélisme politique et les tromperies «diplomatiques» de ces derniers, dont les quatre enfants d’Hussein (Abdallah, Fayçal, Zayed et Ali) avaient fait les frais, Ibn Saoud s’empressera d’aller donner, en 1932, tout le pétrole de la péninsule aux Américains, non sans avoir trahi et éliminé physiquement les Ikhwan qu’il avait disqualifiés par une fatwa «divine» d’oulémas opportunistes interdisant, au passage, de se rebeller contre lui. Ce qui n’a d’ailleurs pas eu l’effet escompté, si bien qu’il fut contraint de massacrer près de 500 000 habitants (soit deux fois et demie le nombre de morts qu’en cinq ans de guerre civile syrienne) de la péninsule pour asseoir définitivement sa légitimité.
Et cette alliance réaliste scellée dans Aramco a tellement réussi et fait toujours sens de nos jours, qu’en se répertoriant sur le Pacte Quincy de 1954, qui ne fait que la renforcer, beaucoup ont tendance à oublier que ce sont les Anglais qui ont amené les Al-Saoud à la tête de la péninsule et leur ont permis de créer le royaume. Ces mêmes Anglais qui, comme les Ottomans, éclateront d’un coup de crayon les nations et terres historiques du «Proche-Orient et du Moyen-Orient, pour solder les promesses politiques d’Edward Lawrence et satisfaire les violentes soifs de pouvoir des familles alliées, et largueront la bombe la plus meurtrière du XXe siècle jamais éteinte jusqu’aujourd’hui : le conflit dit pudiquement «israélo-palestinien».
Voilà, en bref, sur un échantillon, l’état mental d’une famille qu’on présente comme panarabiste, donc libératrice.
L’imposture politique des Al-Saoud n’est pas qu’à l’endroit des Arabes. Elle l’est aussi vis-à-vis du peuple «saoudien» dont on a souvent tendance à négliger la souffrance et la soif de liberté, du fait de la supplantation de leurs réalités par la bande de royalistes narcissiques qui jettent l’ombre sur lui et parlent à sa place. L’Arabie Saoudite est plus qu’un royaume ; c’est un califat personnel et personnalisé ; c’est le ranch, la chambre, la cour de récréation des Al-Saoud qui, sous la protection des Etats-Unis, se partagent avec les oulémas et muftis et les chérifs les plus laudateurs, les plus légitimistes et les plus passéistes, les richesses nationales et les retombées économiques des Lieux saints de l’islam. Les textes fondateurs de ce royaume, par exemple, stipulent clairement que le pays appartient aux Al-Saoud et que le pouvoir politique ne peut s’exercer que par les enfants du fondateur du royaume.
Les organisations djihadistes les plus ambitieuses de ces XXe et XXIe siècles, dès l’instant qu’elles justifiaient, non de leur anti-occidentalisme, mais de leur «sunnité», de leur anti-chiisme et de leur iranophobie, ont toujours bénéficié de l’appui multiforme des plus hautes autorités de cette vaste famille. Ou, du moins, de leur tolérance administrative jusqu’à ce que le roi et les princes constatent que ces «PME du terrorisme» n’étaient (plus) en rien préoccupées par la légitimation de le leur autorité terrestre (étatique) et virtuelle (ouma), voire appellent même à les attaquer ou à les renverser : Oussama Ben Laden et Al-Qaïda en 1991 et Aboubakr Al-Baghdadi et Daech en 2015.
Le salafisme, qui est une racine du wahhabisme, a toujours été une manière horrible de forcer la survie politique du «saoudinisme» dans les consciences collectives. Les Al-Saoud d’aujourd’hui sont les héritiers ataviques du populisme opportuniste ancestral. Ils donnent l’impression de faire corps avec les aspirations les plus urgentes des peuples arabes. C’est comme cela qu’il faut comprendre leur prise de position «forte» en faveur de la Palestine. Mais la réalité les a toujours rattrapés, car ils n’ont jamais eu, contrairement à la généalogie du FLN algérien, les forces essentielles pour tenir sur toute la ligne de cohérence, d’harmonie, de fermeté et d’efficacité, la défense des intérêts palestiniens. On ne peut pas rester lucide dans une bataille ou gagner un combat pour lequel on ne s’est pas programmé. La vérité est que les Al-Saoud sont programmés pour perpétuer la géopolitique anglo-saxonne et donc sioniste aux alentours. Ils se retrouvent à intervenir officiellement pour la cause palestinienne uniquement par vanité, pour voler la sympathie aux souverainetés potentiellement encore panarabistes comme l’Algérie, l’Egypte, la Libye de Kadhafi, la Syrie des Hourani, des Aflaq, des Al-Bitar et des Assad. Quincy n’est rien d’autre qu’un CDI (contrat à durée indéterminée) entre un maître et un contremaître bénéficiant d’une marge de manœuvre, mais restant en laisse.
Narama
(*) Le titre est de la rédaction
(**) Chercheur et écrivain camerounais, spécialiste du Maghreb et du Proche-Orient.

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