Solidaire aux mains du bourreau

Hélène Iveton est dorénavant dans les bras de son Fernand et les Meissonnier n'y peuvent rien, nous révèle Joseph dans son livre De nos frères blessés. Il faut rappeler aux jeunes générations que l'armée française n'a pas fait la guerre aux Algériens pour en faire des Français, mais pour aider les colons à maintenir le peuple dans son statut d'indigène et de Français musulman. Lors de la Guerre de libération, les pieds noirs, dans leur majorité, étaient étrangers à l'indépendance et se comportaient crescendo comme des auxiliaires des colons puisque dans leur écrasante majorité, ils écoutaient plutôt l'OAS que le FLN. On ne peut, dans ce cas, considérer les pieds noirs comme des civils innocents. Dans leurs foyers, beaucoup avaient un uniforme de la Territoriale qui, dans les dernières années de guerre, obéissaient à l'armée secrète. Quand dans l'un de nos serments 54-62 nous pensions que nous n'avions pas de haine contre le peuple français, nous n'impliquions à aucun moment d'autres Français que ceux de la Métropole pour la simple raison que la loi de la République s'appliquait à tous en France mais pas en Algérie à cause de cette majorité de pieds noirs qui ne voulaient pas de notre émancipation. Ceux qui étaient algériens n'étaient pas français. Lors de la Guerre de libération, la double nationalité ne pouvait exister avant la victoire qu'exceptionnellement. Au début de la lutte de libération, même Jean Sénac parlait en tant que binational. Il a vite fait son choix d'Algérien, à l'instar d'Iveton, de Maillot et d'autres, et c'est pour cela que Pierre et Claude Chaulet ont intitulé, à juste titre, leur livre Le Choix de l'Algérie, deux voix, une mémoire. La majorité des pieds noirs n'avait pas entrevu ce choix, et certains commençaient à prendre le large quand d'autres basculaient carrément dans le giron des assassins. Comme on le voit, les supplétifs de l'armée française n'étaient pas les harka seulement. Si les harkas étaient plus de 140 000, les autres étaient certainement beaucoup plus nombreux. Incomptable apparemment. Tout cela pour dire que si l'Algérien «non musulman» d'origine a hésité, il n'a hésité que parce qu'il avait un choix. Ce choix l'obligeait aussi à considérer les autres «non musulmans» comme innocents, dans cette longue lutte. Ce qui n'est pas le cas, malheureusement, sinon on n'en serait pas là. Le système colonial les impliquait systématiquement jusqu'à perdre ce statut de citoyen. Pendant 130 ans, ce citoyen-là avait côtoyé les injustices des plus flagrantes, de l'assassinat collectif au meurtre individuel, du châtiment collectif au châtiment corporel, de la gifle à la torture et autres maltraitances au quotidien de tout un peuple sans être de son côté, ne pouvait à la longue que le rabaisser au statut d'auxiliaire. Un indigène. Camus, le père spirituel de ces indigènes-là et d'autres certainement, qui dénonçaient l'injustice sans pouvoir s'élever à la justice de tout un peuple meurtri, n'avait pas ce choix de Pierre, Claudine et leurs camarades qui se sentaient algériens et, à ce titre, rejoignirent les novembristes dès l'entame du premier coup de feu libérateur. De cette minorité de moudjahidine non musulmans, certains voulaient se distinguer en un point que des intellectuels, historiens écrivains, journalistes persistent à mettre toujours en relief, comme si des deux côtés de la Méditerranée l'histoire de cette Guerre de libération qu'ils intitulent toujours la «guerre d'Algérie» continuait ! Il a été rapporté que Iveton, à l'instar de Maillot dans sa Lettre aux médias, ce tract que même des camarades avaient diffusé bien plus tard, disait : pas de civil. Nous savons aujourd'hui plus qu'hier que cette minorité réactionnaire et raciste, hostile à toute ouverture que constitue la petite communauté des colons a entraîné au fil des «événements» la majorité des pieds noirs jusqu'aux bras de l'OAS. Nous savons que l'appel de Novembre s'adressait à tous les enfants d'Algérie. On ne tue pas ses propres enfants, sauf s'ils se mettent du côté de l'ennemi, c'est évident. La bombe de la rue de Thèbes avait poussé les habitants de la Casbah à vouloir se venger et c'est pour répondre à cette aspiration légitime en tant de guerre (on n'est pas dans l'évènement) que Ben M'hidi et ses camarades avaient décidé de l'utilisation des bombes. Cette décision n'était pas parvenue à Maillot, Iveton et ses camarades sinon ils n'auraient jamais osé désapprouver la décision du Comité de coordination et d'exécution de la lutte de libération ou, du moins, ils ne l'auraient jamais déclaré publiquement, sachant que les fidaïs obéissaient militairement à leur hiérarchie qui dépendait du seul CCE. Il faut ici rappeler que l'attentat le plus sanglant de ce qu'on appelle malicieusement «la bataille d'Alger»avait été commis à la rue de Thèbes, à la Casbah, le 10 août 1956 par Achiary, un ancien du SDECE qui était sous-préfet dans le Constantinois lors des massacres de Sétif du 8 mai 1945. Les premiers attentats à la bombe par le FLN remontent au 30 septembre 1956, une vingtaine de jours après, au Milk Bar et à la Cafétéria, n'étaient en fait qu'une réplique pour maintenir l'organisation de la Zone autonome au milieu du quartier le plus populaire d'Alger dont la population voulait en découdre de plus en plus avec les assassins, leurs commanditaires et leurs protecteurs. Raoul Salan, le plus gradé de l'armée coloniale qui, par la suite prendra la tête de l'OAS, reçoit tous les pouvoirs civils et militaires à partir du 7 janvier 1957 pour annihiler cette résistance algéroise. Il prend ses fonctions du préfet d'Alger avec comme adjoint des tortionnaires dont le commandant Aussaresses et fera de ses fonctionnaires des supplétifs aux officiers. Il était impossible dans de tels cas de faire autrement que la guerre de ses moyens comme le dit si bien Ben M'hidi. Dans la guerre totale que nous livrait l'armée française, il n'était pas possible de faire la distinction entre un civil et militaire car il ne s'agissait pas de tuer pour tuer mais de tuer pour ébranler la sécurité de l'adversaire. On constate que qualifier d'évènements une telle guerre relève plus de la politique coloniale que de la sous-estimation de l'adversaire. Cette stratégie prouve son efficacité puisqu'elle a permis, bien plus tard, aux socialistes français et leurs acolytes de positiver la colonisation jusqu'à faire du tortionnaire une victime et de la victime un tortionnaire. Répéter l'erreur, c'est mentir jusqu'à maintenir dans ce cas la victime aux mains de son bourreau. Nous ne sommes pas inquiets car la moindre des qualités d'Iveton est son éternelle solidarité avec ses camarades, sachant que les Meissonnier sont légion en Irak, en Palestine, en Syrie et jusqu'à nos portes. Face à cela, le romancier, malgré son talent, n'y peut pas grand-chose malheureusement.
Saadeddine Kouidri

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