Le 8 Mars, un mouvement politique
Par Saadeddine Kouidri – C’est lors de la Conférence internationale des femmes socialistes de 1910 que l’enseignante, journaliste et femme politique allemande Clara Zetkin lance l’idée d’une «Journée internationale des femmes» qui avait pour objectif immédiat la revendication du droit de vote.
Au lendemain de l’indépendance, les Algériennes avaient le droit de vote, fêtaient le 8 Mars pour acquérir plus d’émancipation, mais depuis 1984, cette journée ne pouvait plus être qu’une autre journée de lutte pour l’abrogation du code de l’infamie, car c’est pendant l’été de cette année-là que l’APN de Chadli Bendjedid a discriminé la femme en instaurant le code de la famille, en violant la Constitution.
C’est aussi à l’occasion de cette journée-là que le président actuel, ignorant la revendication des femmes, fait appel à la vigilance contre le terrorisme et semble lancer un message sibyllin que son conseiller se presse de nous décrypter le lendemain. Kamel Rezzag Bara affirme ce 9 mars 2017 : «Il est clair que le terrorisme, et notamment dans son expression qui voudrait instrumentaliser nos référents et notamment notre référent religieux, est une menace qui tend à se permaniser.» C’est à croire que même l’écho de la voix des victimes du terrorisme ne lui est jamais parvenu, que les nouveaux «uniformes» des femmes, ce voile islamiste qui fait florès, lui sont indifférents, que l’exigence de la sécularisation lui est étrangère. Il faut parier qu’il prenait son affirmation pour un scoop. Le conseiller n’a pas été fidèle au discours de son Président, car ce dernier impute la menace non pas à ceux ou à celles qui «voudraient instrumentaliser… notre référent religieux», mais plutôt aux «foyers de tension et à l’instabilité que connaît notre voisinage».
Cet autre scoop que nous serinent depuis une éternité les chaînes radio et TV nationales. Si le terrorisme est résiduel, il ne peut être une menace que dans le cas où il est la mèche qui le relie à la fois à «ceux qui instrumentalisent nos référents», aux anciens terroristes qui ne se sont jamais repentis, mais qui ont été graciés sans jugement, et dont l’un des chefs a été élevé au rang de personnalité nationale, à l’ensemble des partis islamistes, à la mafia politico-financière qui aspire à plus de pouvoir et qui profitera des élections législatives du 4 mai pour mieux asseoir son diktat. La Présidence se serait-elle aperçue de ce danger mortel, à l’instar du deuxième tour des élections législative de 1992 ? La perspective d’un tel remake vient d’arracher à Ouyahia tout un cri du cœur pour les salafistes.
Dans le monde, pour cacher la famine, les pandémies, les déracinements, la faim, le manque d’eau à de nombreuses populations à cause de la gestion catastrophique du capitalisme qui dure depuis des siècles, ils nous font les guerres, les guerres coloniales qui sont ni plus ni moins que des tentatives d’extermination, les guerres d’expropriation de territoires riches en hydrocarbures, en mines, en pierres précieuses, ou tout simplement parce qu’il est un carrefour stratégique, comme la Syrie, les guerres de containement en privant de visas des travailleurs dont ils ont eux-mêmes besoin, la guerre des mémoires pour nous déposséder de nos cultures et nous diviser. Ces conséquences de la crise économique et financière que Marx avait prévu voilà 150 ans et dont nous n’arrivons toujours pas à gérer les risques, non pas pour nous en prémunir, mais pour nous adapter. Les raisons de cette incapacité sont multiples. Celle qui prévaut est celle de ne pas prendre en compte l’expérience des sociétés plus avancées et parfois de nos propres expériences.
Le pouvoir algérien semble faire la guerre à la fois aux terroristes et à leurs victimes, et comme dit l’un d’eux : «Le silence et l’oubli ont achevé ce que les terroristes ont entamé.» (Le Soir d’Algérie, article intitulé «Le quotidien des rescapés du GIA et de l’AIS»). Le journal ajoute le témoignage du psychiatre qui affirme que «les plus chanceux se dopent aux barbituriques pour pouvoir dormir la nuit. C’est cela le quotidien des familles des victimes du terrorisme».
Si la politique consiste à prévoir, à anticiper les risques pour mieux les gérer au bénéfice de la population, la politique nationale actuelle, quant à elle, semble plutôt tenter l’inverse. Elle est toujours, et dans tous les domaines, économique, politique… comme au début d’un remake de ce que nous avions vécu. Cette façon de gouverner semble préparer le présent aux générations du passé, tout en faisant croire à une stabilité. Une stabilité qui est effectivement à la merci d’un résidu. Un équilibre précaire permanent.
Le 8 Mars ouvre les palais aux femmes où les associations des victimes étaient absentes. La journée a été fêtée à l’université où des doctorantes étudiaient, la femme dans le roman et même dans le roman les victimes semblent absentes, y compris dans «L’écriture au féminin», à la villa Abdeltif… D’autres femmes avaient décidé d’aller rendre hommage à leurs sœurs victimes du terrorisme sur la place Karima-Belhadj, à côté de la Grande-Poste. Elles ont été empêchées par la police. Elles n’ont pu aller remercier, comme de coutume, celles qui sont mortes pour avoir refusé de mettre le voile, celles qui avaient refusé le diktat du FIS, des GIA et autres AIS, celles qui ont bravé les dangers pour que les jeunes femmes d’aujourd’hui aient le pouvoir de refuser toute discrimination. Il est clair que le mouvement politique en Algérie ne peut s’émanciper du système qu’à l’aide de deux revendications essentielles, qui sont l’abrogation du code de la famille qui maintient toujours la femme dépendante d’un tuteur et la discrimine dans l’héritage, et l’abrogation de la loi qui fait de l’islam religion de l’Etat tout en militant pour la séparation du politique et du religieux dans la sphère publique. Sans cela, les partis sont condamnés à tourner en rond autour du système qui a comme centre de gravité l’actuel processus électoral.
S. K.
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