De la dictature du capital (I)
Par Mesloub Khider –
Dans sa forme antique comme dans sa version moderne, la démocratie est le prototype de gouvernement élaboré par les classes dominantes pour gérer pacifiquement leurs conflits. Mais toujours au détriment du peuple. Contre le peuple. Depuis sa naissance, la démocratie n’a jamais concerné les classes dominées, opprimées. Elle a toujours revêtu un caractère de classe. Elle fut toujours un club de riches dans lequel chaque fraction de la classe dominante tente d’imposer son pouvoir.
A l’époque grecque, berceau de son éclosion, la démocratie, qui a eu une éphémère existence, ne s’appliquait qu’aux hommes libres. En l’espèce, une masse infime de la population. En effet, la majorité de la population laborieuse, les esclaves et autres métèques prolétaires, était exclue du jeu et des enjeux démocratiques.
Plus tard, avec les révolutions bourgeoises anglaise, américaine et, surtout, française, la remise sur la scène politique de la démocratie comme forme de gestion du pouvoir ne fut pas le fruit du hasard, un accident de parcours de l’Histoire. En effet, c’est la seule structure politique adaptée à une société de classes, en particulier la société capitaliste.
D’ailleurs, à ses débuts, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle, les classes bourgeoises dominantes en lutte pour la conquête et le contrôle du pouvoir, plus honnêtes qu’aujourd’hui sur leur projet de société, ne se trompaient pas (et ne trompaient pas) quant à la vraie nature de la démocratie. D’emblée, leur démocratie fut placée sous le signe de l’opulence, apparentée à la richesse. Pour être éligible et électeur, il fallait posséder un grand patrimoine, s’acquitter d’impôts élevés ; en un mot, être riche. Cette démocratie des riches était symbolisée par le suffrage censitaire.
Ce sont les classes populaires et ouvrières en particulier qui ont acculé et contraint les classes dominantes, notamment par leurs récurrentes révoltes et révolutions avortées, à instaurer le suffrage universel. Permettant ainsi à une large couche de la population (longtemps excepté les femmes) de participer régulièrement aux multiples élections. Par leur participation aux élections, les masses populaires ont cru naïvement qu’elles pouvaient améliorer leurs conditions sociales, transformer la société. Mais jamais un acquis social important n’a été accordé par la démocratie. Il a toujours été arraché par la rue, la lutte collective.
D’ailleurs, pour mieux museler le mouvement révolutionnaire socialiste naissant, la bourgeoisie a compris tout l’intérêt qu’elle pouvait tirer de la participation des partis ouvriers aux élections. La bourgeoisie a ainsi consenti à intégrer les partis socialistes et communistes au cirque électoral pour mieux les corrompre de l’intérieur et les vider de leur substance radicalement révolutionnaire. Cela donna naissance au Réformisme (cette naïve et lâche croyance qu’on peut améliorer la condition prolétarienne en faisant l’économie de la révolution).
En outre, plus près nous, l’élargissement du suffrage à tous les citoyens intervenu au XXe siècle a répondu au besoin de la bourgeoisie de parer et réparer la désaffection des larges couches de la population de la politique. C’est la raison pour laquelle elle a étendu le suffrage aux femmes (et non pas pour des motifs féministes ou humains, et aussi la femme est réputée voter souvent pour les partis traditionnels et réactionnaires, et jamais révolutionnaires, gage de sécurité et de pérennité pour la bourgeoisie). Et plus tard, elle a aussi abaissé l’âge de la participation électorale. Par ces moyens, elle a élargi le corps électoral. Mais elle n’a pas pour autant endigué le désintérêt de la population laborieuse pour le Cirque électoral. D’ailleurs, dans de nombreux pays, les taux d’abstention sont toujours en forte hausse. Certaines élections attirent à peine 30% à 20% du corps électoral.
Cette forte hausse de l’abstention traduit un désaveu total de la démocratie formelle. Elle révèle surtout de la part des abstentionnistes une prise de conscience politique sur les enjeux factices des échéances électorales. Ils ont compris que les dés sont souvent pipés, et les parties jouées (partis loués) d’avance. Car les vraies décisions sont prises par les dirigeants économiques, et non par les responsables politiques. Les parlements sont devenus de simples chambres d’enregistrement des décisions dictées par le pouvoir économique, sa majesté le capital.
Par ailleurs, il est communément répandu que la démocratie est l’ennemie de la dictature, et réciproquement. Il n’y a rien de plus mensonger, totalement faux. En réalité, la démocratie et la dictature sont des frères siamois. C’est l’avers et le revers de la même pièce de monnaie (ou plutôt de théâtre, serait-on tenté d’ajouter, car ce sont les mêmes personnages qui endossent le costume du démocrate qui, sous la menace de la révolution sociale, le troquent contre la tenue militaire). Effectivement, il ne faut jamais oublier que Mussolini et Hitler ont accédé démocratiquement au pouvoir, appelés à la rescousse, pour dompter les révolutionnaires secousses. Démocratie et Dictature se succèdent, selon les besoins et intérêts du capital.
De toute évidence, la démocratie est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature du capital. En effet, les pires crimes ont été commis par les pays dits démocratiques et au nom de la démocratie. Et la nature du sexe de la démocratie ne change rien à la donne. Même dirigée par une femme, la démocratie peut se révéler impitoyable. Margaret Thatcher nous a prouvé de quoi elle était capable, avec son sourire de velours dans une bouche en dents de fer.
M. K.
(Suivra)
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