Un enterrement, une photo et des questions
Par Youcef Benzatat – Un homme s’en va, toutes missions accomplies, à la hauteur du grand révolutionnaire qu’il était. Pendant et après la Révolution. Il a largement contribué à la lutte pour l’indépendance nationale, pour ensuite se consacrer à l’édification de l’Etat. Une mission accomplie dans la douleur de la tragédie.
Certes, la peur a changé de camp, affirme-t-il. Les fous de Dieu ont été mis hors d’état de nuire et ils sont avertis pour toute tentative de récidive. Bien que cette peur fût apprivoisée et redistribuée par ceux-là mêmes qui l’on anéantie. Mais il y a aussi cette autre peur, qui s’est installée depuis l’indépendance, et qui règne dans d’autres lieux où s’exprime la terreur. Avant de nous quitter, sans délaisser un instant sa mission, Rédha Malek désigna avec courage et fidélité à sa promesse à l’Algérie ces lieux de la terreur qui doivent à leur tour ne plus produire de la peur : la Révolution n’est pas achevée ! Un message fort. L’achèvement de celle-ci, reconnaît-il dans un ultime acte de conscience et de responsabilité, doit bannir à jamais la peur. La peur du régime policier, du pouvoir usurpé, de l’Etat de non-droit, du reflux permanent. La peur du lendemain. La peur des mécanismes à l’origine du sous-développement et de l’appauvrissement du peuple : la terreur de l’argent sale et la corruption qui le nourrit.
Un des grands hommes que la nation a enfantés s’en va et la seule image qui restera gravée dans la conscience collective de cet instant de séparation fut l’enterrement de son combat et de son rêve. Une image qui fera le tour de la Toile et des médias, provoquant indignation et peur des lendemains. Dans cette image d’enterrement, réglée telle une mise en scène de tragédie antique, préfigurent toutes les causes de la peur devant lesquelles il a mis en garde par l’inachèvement de la Révolution : la lutte pour usurper le pouvoir afin de semer la terreur de l’argent sale et la corruption qui le nourrit, au détriment du bonheur du peuple dans le recouvrement de sa souveraineté et de ses richesses.
Tous les Algériens étaient témoins de l’indécence dans la tenue des belligérants devant le deuil et le recueillement qu’imposait la grandeur de cet homme et du mépris pour ses valeurs et son combat. La bande, comme les appelait leur rival, exultaient avec sarcasme et débauche, faisant mine de narguer les présents à la scène et tout autre spectateur, que la télévision et les photographes à leur solde avaient méticuleusement mis en scène !
Une image qui fera voler en éclat une autre mise en scène, tragicomique celle-là, celle par laquelle leurs rivaux faisaient croire sournoisement à leur volonté de séparation de l’argent et du pouvoir. Alors que leur action ne vise en réalité que l’échéance de la présidentielle de 2019. Dans leur lutte pour le pouvoir, les clans en compétition doivent faire face à un intrus de taille, un véritable empêcheur de tourner en rond : le boycott du peuple, qui peut à terme dégénérer en désobéissance civile. Alors partir en campagne, c’est essentiellement rechercher la passivité des électeurs. Rien de plus simple que de faire croire à la volonté de la moralisation de la vie publique, en orchestrant une mise en scène de séparation de l’argent du pouvoir.
Mais ils sont les seuls à y croire, car le commun des électeurs a fini par comprendre que pour séparer l’argent du pouvoir, il ne suffit pas d’abattre des lampistes du clan adverse mais de restituer son autonomie à la justice, à la commission d’organisation des échéances électorales, au pouvoir législatif et exécutif et de séparer le militaire du civil.
A ce jour, on en est encore loin du rêve du défunt Rédha Malek, l’achèvement de la Révolution peut encore attendre. On se contentera de palabres sur des querelles de chiffonniers ! A se demander qui dirige réellement le pays ? Qui a nommé le Premier ministre, puisque celui qui est censé l’avoir nommé s’avère être son principal rival ? Ne serait-il donc pas le clan rival du clan présidentiel qui l’a lui-même nommé, à savoir le clan de l’état-major et donc ce serait plutôt lui qui dirige le pays et qui se prépare à prendre le pouvoir officiellement à l’échéance de 2019 ? Dans sa résistance au Premier ministre, le clan présidentiel veut-il gagner du temps ? Le clan qui est derrière le Premier ministre, en reculant dans son offensive contre le clan adverse, ne cherche-t-il pas, lui aussi, à reporter l’affrontement au moment opportun des échéances électorales, en changeant de fusil d’épaule, après avoir sollicité l’apaisement avec le clan adverse ? Allons-nous vers un affrontement qui pourra mener à un coup de force ? Autant de questions que la disparition de Rédha Malek aura eu le mérite de suggérer.
Un autre grand homme que la nation algérienne a enfanté, Hocine Aït Ahmed, a, quant à lui, refusé tout simplement de se faire enterrer dans ce cimetière, devenu, à chaque enterrement des hommes qui ont fait l’histoire du pays, un révélateur de nos impasses et des lendemains incertains qui se profilent.
Y. B.
Comment (22)