Washington peut-il imposer un embargo sur le pétrole vénézuélien ?

Venezuela embargo
90% de la population vénézuélienne sont derrière Maduro pour rejeter l'embargo américain. D. R.

Washington brandit une menace d’un possible embargo sur le pétrole du Venezuela, dont les Etats-Unis sont le premier acheteur. Mais peut-elle être mise à exécution, alors que la population locale est exsangue sous l’effet de la crise ?

L’option a été avancée, selon l’AFP, par le Secrétaire d’Etat Rex Tillerson, avec la promesse de «mitiger» l’effet d’un tel embargo, qui, selon les analystes, porterait un coup terrible à l’économie du Venezuela, sans pour autant garantir des changements politiques.

Le pays subit déjà des sanctions financières américaines visant notamment le président Nicolas Maduro, ainsi qu’une interdiction pour les citoyens et les entreprises des Etats-Unis d’acheter de la dette publique vénézuélienne.

Mais couper le flux de pétrole vers le voisin du nord, principal client du Venezuela, c’est toucher le nerf de la guerre : le brut apporte 96% des recettes de l’Etat.

Selon l’agence américaine de l’énergie, Washington a reçu 600 000 barils par jour de Caracas en 2017, soit un tiers des ventes de pétrole et surtout 75% des liquidités du Venezuela, explique l’économiste César Aristimuño, pour qui un embargo américain serait «le pire» scénario.

Un tiers de la production – 1,6 million de barils – sert à rembourser la dette contractée auprès de Pékin et de Moscou, ainsi qu’à des accords de coopération avec les petits pays des Caraïbes, ajoute l’analyste. Le reste alimente le marché intérieur, fortement subventionné, un dollar au marché noir permettant d’acheter 214 000 litres d’essence.

Malgré ses immenses réserves – les plus importantes au monde –, Caracas importe des Etats-Unis 160 000 barils quotidiens de brut léger, indispensable pour traiter son pétrole, lourd. En cas d’embargo, l’Algérie ou le Nigeria pourraient l’approvisionner, mais plus cher, selon l’expert Orlando Ochoa.

Alors que la production pétrolière vénézuélienne a fondu, faute d’investissements suffisants, «son flux de liquidités se détériorera encore» en cas de nouvelles sanctions, prévient le cabinet Eurasia. En récession depuis 2014, le pays accumule une dette extérieure estimée autour de 150 milliards de dollars, dont 30% correspondent à son fleuron pétrolier PDVSA.

Pour compenser, Washington pourrait compter sur le Mexique et le Canada comme «principaux» remplaçants, estime James Williams du cabinet WRTG Economics. Les importations en provenance de Caracas ont déjà baissé, à 100 000 barils quotidiens en janvier.

Mais en restreignant l’achat de pétrole, des raffineries comme Citgo – filiale de PDVSA –, Valero Energy Corp, PBF ou Philips seraient affectées, et «cela signifierait des hausses de prix du carburant», met en garde le consultant. Valero a déjà annoncé des mesures pour réduire sa dépendance au pétrole vénézuélien, mais pour Orlando Ochoa, l’approvisionnement des raffineries américaines près du golfe du Mexique «ne peut être remplacé si facilement».

Le département du Trésor peut adopter cet embargo s’il a le feu vert du Congrès et ajouter des mesures de pression sur les pays continuant à se fournir en pétrole vénézuélien. Mais même des gouvernements hostiles à celui de Nicolas Maduro rejettent cette option. «Le Mexique ne va pas imposer de sanctions pétrolières», a affirmé le secrétaire mexicain à l’Energie, Pedro Joaquin Coldwell, inquiet des «répercussions que cela pourrait avoir (…) sur la population vénézuélienne» et les pays des Caraïbes, dépendants du pétrole de Caracas.

La crise humanitaire est déjà forte au Venezuela, où les habitants souffrent de l’hyperinflation (13 000% en 2018 selon le FMI) et des pénuries. Des centaines de milliers d’entre eux ont fui le pays.

Les analystes doutent de l’efficacité politique d’une telle mesure

«Ceux qui croient que l’isolement et les sanctions affecteront seulement le gouvernement se trompent», avertit Luis Vicente Leon, directeur de l’institut de sondage Datanalisis. Car «l’impact attendu est dévastateur pour l’économie et nous le vivrons tous (…) sans garantie de changement politique».

Orlando Ochoa s’interroge : «Les sanctions devraient mener le gouvernement à négocier, mais va-t-il céder ? Il a montré jusqu’à présent une parfaite indifférence face à la rapide détérioration socioéconomique.»

Nicolas Maduro, bien parti pour être réélu jusqu’en 2025 lors du scrutin du 22 avril, se dit prêt à affronter d’éventuelles sanctions. Et si 75% des habitants désapprouvent sa gestion, selon Datanalisis, près de 90% sont derrière lui pour rejeter l’embargo.

R. E.

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