Contribution du Dr Arab Kennouche – Algérie 2019 : retour à l’enfer colonial ?
Par Dr Arab Kennouche – A en croire une certaine rhétorique du pouvoir actuel, l’Algérie est sur une bonne voie et commence à peine à sortir de la crise dans laquelle elle est plongée depuis 2014. Il s’agit d’une question de temps avant que la baraka propre au président de la République reprenne le dessus sur une réalité économique impitoyable : la diminution de moitié des ressources de l’Etat. Les déclarations encore fort doctes d’un Lakhdar Brahimi, pourtant pleines de contradictions, s’ajoutent à la longue liste des interventions empreintes d’allégeance comme au temps des beys et des pachas d’Alger, et déroutent encore plus le citoyen algérien qui, à l’heure actuelle, ne sait plus à quel saint se vouer. Dans un exercice médiatique de style quatrième mandat, Brahimi nous entretient sur l’émergence tant attendue de l’Etat civil réalisé pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie politique sous Bouteflika ; entendre par là, la fin d’un pouvoir militaire par nature dictatorial.
Plein d’éloge à l’égard de l’instaurateur de la démocratie civile en Algérie, Brahimi rend hommage à Bouteflika qui, désormais, contrôle tous les pouvoirs de l’Etat. Pourtant, dans le dossier marocain, Brahimi laisse passer quelques imperfections dans ses analyses : le président de la République n’en aurait pas la main, laissant dire que si cela ne tenait qu’à lui, l’Algérie aurait rouvert depuis fort longtemps la frontière avec ce pays. Brahimi se contredit donc sur l’essentiel, celui d’un Etat civil pleinement effectif, par lequel aucun obstacle ne pourrait être fait au président Bouteflika dans sa politique marocaine. Doit-on remettre en question le principe d’un Etat civil effectif tel qu’il est revendiqué par Brahimi, qui semble assez content d’un pouvoir enfin débarrassé de ses ingérences militaires, ou bien faut-il voir dans cet aveu voilé, une étape qui se concrétiserait plus tard au cours d’un cinquième mandat, parachevant ainsi l’Etat civil tant adulé ? Le diplomate de l’ONU semble plaider autant que son mentor pour une réouverture de la frontière comme si celle-ci constituait le talon d’Achille des mandats euphoriques de Bouteflika.
Pourtant, rien ne milite dans l’état actuel de la sous-région, pour une telle option. On se demande comment Brahimi n’arrive pas à percevoir tous les dangers d’une ouverture qui serait fatale pour l’Algérie. Le Maroc est un pays hostile à l’Algérie, hostilité assez manifeste pour que Lakhdar Brahimi puisse s’en rendre compte en tant qu’Algérien : trafic de drogue vers l’Algérie, conflit larvé sur les frontières, dossier du Sahara Occidental, trafic de migrants, émigration clandestine de citoyens marocains, trafic de matières premières, surarmement… La liste des différends entre l’Algérie et le Maroc est assez longue pour que ce diplomate chevronné cesse de clamer à tue-tête la réouverture d’une frontière comme si l’Algérie avait commis un crime de lèse-majesté. Surtout que le Maroc souffre d’un chômage structurel encore plus aigu qu’en Algérie, et ne dispose pas de toutes les capacités d’absorption économique de son voisin, une ouverture définitive et large dans le temps de la frontière économique finirait par créer de très fortes tensions sur le territoire algérien.
Sans un aplanissement définitif des différends politiques avec le Maroc et sans une politique intégrée de l’espace maghrébin, une telle ouverture signifierait l’ouverture d’une boîte de pandore où tous les pièges jusqu’ici tendus à l’Algérie et déjoués par les services de sécurité, se verraient renforcés et même définitivement réalisés pour atteindre l’Algérie au cœur de sa puissance.
Alors, pourquoi ce trémolo dans la voix d’un Brahimi sensible aux sirènes de la fraternité maghrébine ? Pour qui roule t-il ? Pour un cinquième mandat ? Ce cinquième mandat ira-t-il dans le sens d’une pacification avec le Maroc ?
N’est-il pas déjà alarmant de constater que la logique des intégrations régionales, comme celles de l’Europe communautaire, connaît des limites ; celle de menaces migratoires et d’une montée des populismes qui déstabilisent les Etats plus qu’elles ne les renforcent ? Pourquoi l’Algérie devrait-elle s’ouvrir à un pays dont la politique est hostile à la pérennité des institutions de son Etat ? L’Etat civil qui est vanté par tous est-il celui d’une refonte régionale préjudiciable, car fondé sur des sentiments fallacieux plus que sur un ensemble de raisons économiques, politiques et culturelles irréfragables ?
L’irresponsabilité d’un Brahimi n’a d’égal que l’aveuglement médiatico-politique dans lequel on pousse le peuple algérien à séjourner : séjour dans le barzakh d’un cinquième mandat hautement volatile pour la sécurité du pays.
Brahimi aurait dû relever, en fin connaisseur des pays sous-développés, la situation désastreuse dans laquelle survit l’économie algérienne. Peut-être aurait-il eu l’occasion d’admettre les échecs successifs de Bouteflika à ne pas avoir entamé un processus de décollage économique qui, lui, aurait été effectivement bénéfique à l’ensemble des Etats maghrébins. L’Algérie qui ne produit pour ainsi dire rien, aurait-elle besoin du marché marocain comme débouché ? Ou bien faut-il voir dans la plaidoirie de Brahimi la volonté d’utiliser l’Algérie comme le déversoir de tous les maux des faux-frères maghrébins qui, de Tunis à Rabat, s’évertuent chaque jour à porter des coups fatals à l’Algérie ?
Depuis Hassan II, l’Algérie a appris à ses dépens qu’elle serait au moins un laboratoire pour l’islamisme qui, finalement, a été mis en pratique en Syrie. Doit-elle devenir le laboratoire forcé d’un faux fraternalisme qui, derrière le principe de la liberté de circuler des peuples partageant la même culture et la même religion, dissimule une volonté de détruire l’Algérie par l’arme des migrations économico-politiques ?
Il faut tout de même se rappeler que le Maroc officiel a trahi le projet de libération totale de l’espace maghrébin contre la France, tel que défini par les révolutionnaires de l’Etoile nord-africaine. Tout comme la Tunisie, ces deux Etats se sont rendus à la France et se sont retournés contre l’Algérie, certainement pour des promesses territoriales, en tout cas contre le serment juré par ces frères, qu’un peuple libéré ne devait pas arrêter le combat et continuer la lutte pour les autres. A ce jour, la donne n’a pas changé. Les régimes de Rabat et de Tunis luttent contre le FLN historique et la volonté des Maghrébins de s’autodéterminer. Que signifierait donc un tel projet d’ouverture pour l’Algérie de Brahimi, si ce n’est la continuation d’une trahison historique du mouvement de libération nationale entamé par un Allal El-Fassi, par exemple ?
Quoi qu’il en soit, il semble indubitable que l’Algérie est désormais soumise à un projet de reddition à l’Occident, qui a débuté par un ébrèchement progressif de ses acquis de la Révolution de 1954. L’Algérie présente désormais tous les signes d’un Etat affaibli au plus profond de ses structures. Elle n’est pas cette économie qui décolle dans un havre de paix et de sécurité régionale, mais bel et bien ce dernier des Mohicans que l’Occident cherche à abattre.
A. K.
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