Par-delà la délégation des pouvoirs s’impose la relégation du pouvoir

Révolte peuple
Le peuple algérien veut s'impliquer dans la politique. New Press

Par Mesloub Khider – De Caracas à Managua et de Paris à Alger, la terre tremble des grondements sociaux du peuple en éruption. Longtemps contenue, écrasée par la chape de plomb répressive, la colère des peuples laisse éclater sa tonitruante voix.

Cette fois, il ne s’agit pas de cette voix atone appelée à ne s’exprimer qu’épisodiquement dans l’anonymat derrière l’isoloir pour voter pour un candidat du système, du pouvoir bourgeois dominant. Mais de la voix audible de colère du peuple, poussée en plein jour, dans la clarté de la solidarité retrouvée, pour exiger pour son émancipation une autre voie.

Dans ces pays, le peuple laborieux est descendu dans la rue pour exiger non seulement le départ du chef de l’Etat, mais de tout le système, incluant les classes dirigeantes, les politiciens, les affairistes, mais également la fin du système électoral bourgeois créé uniquement pour favoriser la domination politique des classes possédantes. Ce système de représentation fondé sur la délégation des pouvoirs, adopté pour mieux assurer la relégation du peuple du pouvoir.

Désormais, le peuple souverain n’a pas besoin des élections politiciennes du système d’exploitation capitaliste. Le peuple veut se gouverner directement lui-même, sans intermédiaires, sans spécialistes de la politique. Sans délégation du pouvoir à des représentants asservis aux intérêts du capital. Le peuple laborieux refuse d’être gouverné. Il veut exercer sa propre gouvernance. Sans médiation. Le peuple veut tout le pouvoir pour administrer lui-même le pays, gérer collectivement les richesses du pays. Il ne veut plus être infantilisé par un pouvoir fouettard. Par un système inique érigeant la peur en moyen de gouvernance. Par une classe dirigeante parasitaire intéressée uniquement par son enrichissement. Par un pouvoir qui gouverne par la violence policière et militaire exercée contre le peuple. Aujourd’hui, la police et l’armée sont au service de l’infime minorité de la classe dominante. Elles le prouvent régulièrement par leurs répressions sanglantes infligées au peuple. Du Venezuela au Nicaragua, de la France à l’Egypte, les forces répressives sont à l’œuvre pour écraser les révoltes légitimes du peuple.

En cette période de soulèvement populaire en Algérie, outre les bruits de bottes martelés en haut lieu du régime caporalisé, les salons des hôtels de luxe bruissent des tractations sordides des politiciens et affairistes grisés par le prurit du pouvoir. Ils se bousculent tous aux portillons pour s’attribuer les mérites du soulèvement (hier encore ils soutenaient et légitimaient le régime), pour confisquer la révolution populaire par leurs manœuvres politiciennes destinées à les propulser aux commandes de l’Etat afin d’assurer subrepticement la pérennité et la sérénité du système. Quoique sous un emballage rénové, le programme de ces requins de la politique offre la même marchandise politique faisandée confectionnée dans les laboratoires de l’ancien régime toujours aussi opérationnel. Leur programme vise surtout à noyer la révolution en gestation, à tuer dans l’œuf cette révolte émancipatrice.

L’histoire est jalonnée de ces révolutions trahies. La Révolution algérienne a été trahie dès son indépendance en 1962. Pour éviter de réitérer ces funestes expériences, le peuple algérien doit s’imposer comme seule force collective majoritaire pour diriger le pays. Il doit se méfier et se défier des professionnels de la politique.

A l’époque de la Commune, en 1871, le peuple travailleur de Paris en révolte contre le système bourgeois avait brocardé cette affiche, toujours d’actualité, que chaque Algérien doit méditer : «Citoyens, ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant votre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se considérer comme indispensables. Défiez-vous également des parleurs, incapables de passer à l’action ; ils sacrifieront tout à un beau discours, à un effet oratoire ou à mot spirituel. Evitez également ceux que la fortune a trop favorisés, car trop rarement celui qui possède la fortune est disposé à regarder le travailleur comme un frère. Enfin, cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à choisir leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter. Citoyens, nous sommes convaincus que si vous tenez compte de ces observations, vous aurez enfin inauguré la véritable représentation populaire, vous aurez trouvé des mandataires qui ne se considèrent jamais comme vos maîtres.»

Le peuple algérien a déjà gagné sa première emblématique bataille : il a obtenu le départ du Président. Mais il continue à poursuivre d’autres batailles en exigeant le démantèlement de tout le système, autrement dit le licenciement sans préavis de tous les potentats du régime moribond. En effet, le peuple laborieux algérien réclame le départ de tous les dirigeants. Il exige également la démission du généra Ahmed Gaïd-Salah, qui s’est décerné un satisfecit pour l’éviction de Bouteflika qu’il soutenait encore la veille.

Le peuple laborieux algérien, immunisé contre toutes les formes de dictature, réfractaire à tout mode de délégation des pouvoirs, résolu à déjouer toute récupération politicienne, aspire à instaurer une démocratie horizontale égalitaire. Aujourd’hui, dans sa lutte libératrice il ne se laisse dicter aucune revendication, aucun programme politique, aucune structure organisationnelle ; ne se laisse diriger par aucun chef politique. Il récuse toute forme de délégation de pouvoir.

Aujourd’hui, le régime militaro-civil installé au pouvoir, après l’éviction de Bouteflika, pour se donner bonne figure, et surtout sous la pression du peuple algérien insurgé, sacrifie quelques pontes du système, arrête quelques hommes d’affaires, confisque les passeports de certains dirigeants, bloque les comptes bancaires et tout transfert d’argent vers l’étranger. Mais c’est au peuple algérien que revient cette œuvre d’assainissement politique, de décrassement institutionnel, de purification financière. En un mot, cette opération de salubrité publique. Les dirigeants actuels du régime ont les mains trop sales pour prétendre laver l’honneur de l’Algérie souillée par 57 ans de corruption, de prévarication, d’extorsion, de concussion, de rançonnement, de détournement, d’exaction, de répression, d’oppression, de dévastation, d’holocaustes culturel, identitaire, scolaire, religieux, intellectuel, artistique, scientifique.

De manière générale, aujourd’hui, partout en Algérie, même dans le village le plus reculé, tonne le cri de guerre sociale contre les potentats du régime. «Tous pourris, tous dehors, interdiction de sortie du pays, confiscation des comptes bancaires, restitution de l’argent extorqué au peuple, arrestation des corrompus, emprisonnement des pilleurs des richesses nationales, destitution des dirigeants, rétrocession du pouvoir au peuple», clame en chœur le peuple laborieux algérien spolié de ses richesses et de sa gouvernance depuis l’indépendance.

Tous les oligarques du régime sont pointés du doigt. Toute la classe possédante algérienne parasitaire est fustigée, conspuée, menacée. La peur a changé de camp. Le peuple laborieux algérien a recouvré sa confiance en sa puissante force. Les chouhada doivent assurément se réjouir outre-tombe. Ils reconnaissent enfin leurs authentiques progénitures par-delà les générations.

La méfiance au sein du peuple, longtemps entretenue par le régime sanguinaire, en conformité avec la devise de «diviser pour mieux régner», a cédé la place à une authentique fraternité entre tous les Algériens du peuple, par-delà les clivages ethniques et religieux de tous temps activés et attisés par le pouvoir.

Ironie de l’histoire, sans détenir aucun pouvoir politique officiel, le peuple laborieux algérien dispose aujourd’hui plus de pouvoir sur les dirigeants et les possédants algériens qu’un autre peuple d’un pays le plus «démocratique», par sa seule force collective instaurée dans la rue, et non dans les futiles instances parlementaires, ces chambres de bavardage puéril et d’enregistrement des diktats de l’exécutif et des puissances financières.

Il revient maintenant au peuple algérien de transformer cette force collective inébranlable et invincible en pouvoir réel politique exercé par ses seuls dignes représentants dans de nouvelles instances gouvernementales instituées par le peuple, dans le cadre d’une deuxième République sociale.

Il revient aussi au peuple algérien d’inaugurer une nouvelle forme de gouvernance jamais instituée au monde. La démocratie bourgeoise, cette forme de gouvernance des riches, est partout discréditée, disqualifiée pour sa supercherie politique et son impuissance économique (les vrais détenteurs du pouvoir politique sont les grandes multinationales et les grandes institutions financières : l’Etat et le Parlement sont asservis à ces puissances). En effet, le système électoral actuel ne permet pas au peuple laborieux de participer réellement aux délibérations. La démocratie représentative est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature des classes possédantes.

La démocratie bourgeoise a été instituée par les classes dominantes pour protéger leur pouvoir. Les classes possédantes contrôlent toute la société. Les médias sont concentrés entre les mains des financiers. L’armée et la police sont affiliées aux classes dominantes. Les syndicats sont également inféodés au pouvoir. Et tous les dirigeants des entreprises privées et des administrations publiques sont liées au pouvoir dominant. En effet, aucun de ces dirigeants n’a été élu par le peuple.

Il revient donc au peuple de corriger cette aberration politique. Cette anomalie économique. Cette injustice sociale. Le peuple doit diriger et contrôler toutes les instances économique, sociale et politique. Dans chacune de ces sphères doit s’instaurer la démocratie directe horizontale. C’est donc principalement dans les entreprises, lieu de reproduction de la vie, que doit s’instituer principalement la gouvernance et le contrôle du peuple. Tous les lieux de production doivent devenir la propriété collective du peuple. Qui détient l’économie, contrôle la politique.

Aujourd’hui, c’est une minorité des classes bourgeoises et financières qui détient l’économie. Et par voie de conséquence contrôle la politique, détient les rênes du pouvoir. Maintenant, le temps est venu d’instaurer le pouvoir du peuple laborieux, d’abord prioritairement au niveau de toutes les instances économiques et sociales, ces lieux de production réelle des richesses et de la vie. Ensuite, logiquement, au niveau des instances politiques.

La tâche la plus urgente est de s’organiser. Les manifestations et autres processions ne constituent des moyens de lutte qu’à l’orée d’un soulèvement. Si elles ne sont pas suivies de l’organisation du mouvement de lutte, elles finissent par perdre leur pouvoir de pression et de coercition. Elles finissent par s’essouffler, se désintégrer. Pour commencer, afin d’assurer et garantir la réussite de son pouvoir de gouvernance en gestation, embryon de son futur Etat, le peuple doit s’organiser en assemblées, en coordinations, en comités, dans chaque entreprise et chaque ville et village. La phase du combat de la rue est achevée. L’heure est au débat collectif dans les assemblées, aussi bien au sein des entreprises que dans les instances de coordination de quartiers, pour débattre démocratiquement des moyens à mettre en œuvre afin d’assurer l’érection de nouvelles institutions populaires dirigées et contrôlées directement par le peuple, dans la perspective de l’instauration d’une deuxième République populaire.

Le peuple algérien a prouvé sa capacité combative. Sa maturité politique. Il peut maintenant s’auto-organiser librement et horizontalement pour diriger le pays dans l’intérêt des seules classes laborieuses (travailleurs, chômeurs, couches pauvres, paysans, femmes seules, retraités, et surtout cette catégorie majoritaire de la jeunesse algérienne aujourd’hui privée d’avenir). Il revient à cette talentueuse et téméraire jeunesse, aujourd’hui prodigieusement bien éduquée et instruite, d’assurer la transition, la relève du pays. L’Algérie a besoin de sang neuf. D’un nouveau corps politique immaculé. De nouveaux cerveaux. De nouvelles compétences en congruence avec la modernité, avec les besoins sociaux de la société.

Après la fin des délégations des pouvoirs signifiée à tous les professionnels escrocs de la politique, l’heure est venue de procéder à la relégation du pouvoir dominant.

Tout le pouvoir au peuple laborieux algérien pour instituer une deuxième République sociale, tel devrait être désormais le mot d’ordre.

M. K.

Commentaires

    Elephant Man
    10 avril 2019 - 7 h 21 min

    Effectivement l’heure est à la CONSTRUCTION.

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