Une tout autre Algérie est possible
Par Mohand Ouabdelkader – Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt. Chez nous, quand, le politicien opulent, l’opposant ventru, le démocrate aux portes des salons du palais, désignaient tous, avec un doigt frêle, la mafia politico-financière, la rue, dans ce qu’elle a enfanté de plus preux et de plus vrais, nommait ceux qui se sont accaparé les richesses du pays. La rue nommait tout haut ce que nos opposants, dans les habits de l’élève docile, chuchotaient tout bas. A une époque, nommer les racines du mal, en Algérie équivalait à son auteur la vendetta, aussi bien des amis concubins du régime, que des ennemis qui officient dans les bureaux obscurs ou dans les maquis fiévreux. La rue, aujourd’hui, c’est des jeunes, beaucoup de jeunes et même de jeunes enfants qui, à peine la vie prend vague dans leur corps frêle et leur tête pleine de rêves, ne veulent plus de ce régime.
Et ce régime, dans le langage simple, épuré, libre des dogmes et des dômes sur lequel il s’est bâti, est le plus juste, le plus vrai de tout ce que l’on a pu entendre dans les annales politiques, pour ne pas dire boulimiques de la classe politique algérienne, toutes tendances confondues. Quand le peuple, lors des révoltes anciennes, qui ont jalonné son histoire, scandait Pouvoir assassin, la classe politique se confondait entre condamnation et appel à la retenue. La rue, qui prône ce dégagisme total, ne veut pas d’intermédiaires, ne se cherche aucun porte-voix qui, après des années de langoureuses embrassades avec le régime, retrouverait, sous les feux de la rampe, son sens du patriotisme. Elle ne veut de politiciens avares qui chercheraient à se recycler dans les draps tout blancs de la révolte, après qu’ils aient souillé au sang, la dignité de ce pays.
Le devoir de mémoire qui s’impose à la génération qui a fécondé le pays, de ses luttes passées, toutes réprimées, est de transmettre le flambeau avec tout ce qu’il comporte de braises, encore incandescentes, aujourd’hui. Cette révolte n’est pas un aboutissement, mais un prolongement de toutes celles que nous avons semées et couvées longtemps avant. C’est le prolongement des luttes clandestines post-indépendance, celles qui ont trouvé racine dans le printemps noir, violemment réprimé, le soulèvement du 5 octobre 88, sauvagement scalpé, la révolte mozabite, sinistrement décapitée, et, enfin, la plus sombre des périodes qu’a connu le pays : la décennie noire où le peuple a été livré à la barbarie islamiste.
La mobilisation est grandissante chaque vendredi un peu plus. Chaque jour de mobilisation est un référendum populaire contre ce pouvoir, ses soutiens et ses sobriquets qui lui ont, longtemps, servi de lièvres. Nous sommes en phase d’instaurer ce que beaucoup de démocraties occidentales peinent à réaliser : gouverner selon la volonté intrinsèque du peuple, par référendum d’initiative populaire, avec comme seul garant de la légitimité, le peuple.
Gardons la mobilisation inébranlable. Restons vigilants aux barbouzes du régime qui courent les rues et sèment la division, comme aux sinistres temps où ils ne lésinaient pas sur les moyens pour tuer, dans l’œuf, toute velléité de rébellion. Refusons Bensalah, encore plus fort, que le refus que nous leur avons apposé face aux diktats des Bouteflika, faute de quoi, nous donnerons à ce régime mafieux le temps et la latitude, pour revenir de nouveau hanté nos nuits et étouffer nos rêves dans leurs geôles. Refusons une transition assurée par les pourfendeurs de ce régime délétère. Il fait juste passer l’éponge pour laisser place à la prochaine lessive qui lavera ses crimes.
Cette révolte ne faiblira pas et ne se travestira pas en une lutte de salons que si elle échappe à tout contrôle de la nomenklatura du pouvoir. Ces pseudo-démocrates déguisés en opposants. Ces anciens képis qui ont tronqué le kaki militaire pour le costume-cravate du politicien avare. Ces députés qui n’ont fait que servir de faire valoir illégitime au pouvoir et qui, d’ailleurs, continuent, jusqu’à maintenant, à légiférer. Ces anciens ministres et Premiers ministres qui n’ont plus rien à téter. Tout ce monde-là qui se joint, aujourd’hui, à la révolte, aussi subitement que s’ils étaient sous le roulis inattendu d’une tempête, ne sont que de faux témoins de l’histoire des luttes du peuple algérien pour sa liberté.
Cette lutte décuplera de force et propulsera les revendications au plus haut de ce qu’elles peuvent regorger d’idées libératrices et émancipatrices du pays, que si les femmes sont à l’avant-garde, voire les instigatrices de grands débats de projets de société sur lesquels il va falloir se pencher, après avoir libéré le pays de ses colonisateurs. Kateb Yacine disait à juste titre, avec une grande acuité : «Ils s’étonnent de vous voir diriger par des femmes parce qu’ils sont des marchands d’esclaves». Et à Boudiaf de venir sustenter ce que Kateb Yacine avait affirmé des années avant lui : «Une société sans femmes est une société infâme». Cela sera, à mon avis, le plus dur à faire. Dégager le système, si toutes les forces vives de la société sont rassemblées, me semble beaucoup moins laborieux que de dégager des années d’obscurantisme où les femmes n’ont jamais été aussi proches de la main assassine des frères que le bras torpilleur de nos législateurs, pourfendeurs du code de la famille.
Serrons-nous fort, par nos corps et nos cœurs, pour qu’ils ne puissent trouver de failles entre nos lignes de révolte et la lâcheté de leurs besognes. Ne laissez pas de courant d’air ébouriffer nos rêves ou démêler les liens de solidarité que nous avons bâtis, chaque vendredi un peu plus. Faites en sorte que ça soit la rue qui désigne, parmi les voix les plus propres et les plus nobles, ceux qui porteront haut la main les idéaux de liberté pour lesquels des pans entiers de générations ont donné leur vie. Faite en sorte que ce pays qui regorge de couleurs, à la manière de cette Madone qui, dans un mouvement longiligne des bras et des pieds, virevoltait, comme une somptueuse ballerine par-dessus le bitume, nous enivre et nous rappelle qu’une tout autre Algérie est possible. Celle que nous aimons tous, comme elle, insoumise et fière.
M. O.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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