Les accommodements de l’identique sous les artifices du nouveau

Tebboune présidentielle
Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune. D. R.

Par Groupe Sud-Cultures – Pour mieux soutenir l’idée qu’ «en Algérie, l’élection présidentielle n’a pas eu lieu», Adlène Mohammedi prendra en exemple le boycott quasi total de la Kabylie, citera comme témoin «tous les observatoires honnêtes et journalistes indépendants», puis évoquera «un président fictif (…) que le pouvoir militaire a mis en avant (car) des cinq candidats issus du régime, (il) convenait le plus aux ruses servies depuis quelques mois».

En mentionnant la consécration controversée, illusoire et apocryphe du revenant Abdelmadjid Tebboune, le géopoliticien réifiait l’élu du «dépouillement révolutionnaire», le ramenait à du préfabriqué, le rabaissait à une abstraction, rejoignait par là-même la croyance du sociologue Lahouari Addi, assuré que les permanences hebdomadaires du Hirak arriveraient à stopper un processus approuvé au stade hiérarchique des galonnés.

A contrario, nous maintenons que le scrutin s’est déroulé conformément aux conditions et modalités pratiques envisagées par l’instance martiale. Le postulat permet ici d’expliquer d’une part le choix du coopté et de souligner, d’autre part, le cuisant revers du défunt vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaïd-Salah, ce laudateur ayant certifié d’une mobilisation massive se soldant en définitive par la plus faible participation (à la présidentielle) enregistrée depuis l’Indépendance. Si un soudain arrêt cardiaque a écourté l’emprise mentale de l’ex-généralissime, ladite déconvenue l’obligeait de toute manière à se retirer. Insister sur le suffrage faiblement exprimé le 12 décembre 2019 équivaut donc à rappeler l’échec d’une figure tutélaire chapeautant l’aile dure de «hardliners» prétendument opposés aux «softliners» du courant modéré, ce qu’atteste toujours Lahouari Addi.

L’approche binaire et simpliste de l’universitaire ignore la complexité des luttes de positionnement en gestation au sein de l’entité militaire, laisse penser qu’une partie de ses capitaines, lieutenants, commandants ou colonels seraient, selon une soudaine conversion compassionnelle, psychologiquement enclins à épouser des slogans revendiquant la primauté du civil (ou du politique) sur le militaire, à délaisser ainsi les avantages carriéristes et matériels que leur garantit un corps auréolé du titre d’héritier de l’Armée de libération nationale (ALN). Récipiendaires d’une hagiographie mythifiée, beaucoup de ces officiers supérieurs nourrissent la prétention de grimper sur l’échelle des gratifications et, a fortiori, l’ambition d’atteindre le rang optimal de futurs décideurs.

Drapés du burnous de la légitimité historique, les présents ordonnateurs ne paraissent pas davantage disposés à se départir du droit de véto et de désignation, attributions faisant d’ailleurs l’objet de sourdes guerres claniques. Ces conflits souterrains échappent depuis au moins trois décennies au vieux clivage Est-Ouest, ne résultent plus des schismes idéologiques (collectivisme-individualisme et socialisme-capitalisme) autrefois littéralement agencés aux envolées révolutionnaires verbales. Ils relèvent dorénavant de l’ultra-libéralisme de grands argentiers entièrement acquis aux vases communiquant de la financiarisation non régulée de l’économie. Intégrée au temps mondial du capitalisme triomphant, l’Algérie subit les influences néfastes du paradigme dominant depuis que plusieurs généraux et maffieux interposés ont nettement penché du côté de la tentation affairiste, au point d’ailleurs de fragiliser l’option du juste milieu autrefois adaptée au non-alignement et aujourd’hui aux curseurs de la sacro-sainte stabilité.

Plutôt que de réfléchir à la modernisation de l’Etat-providence, les fossoyeurs du développement se cramponneront aux fournisseurs ou ravitailleurs d’une Union européenne pourvoyeuse de plus-values, surfactureront des produits manufacturés emmagasinés et thésaurisés grâce aux bureaux de liaison, joint-ventures ou ports secs, maquilleront les bilans comptables et transactions en devises non déclarées, profiteront de la flexibilité d’un marché des changes perméable à l’évasion fiscale en direction de la bancarisation offshore. Pour qu’un tel réseautage prébendier puisse perdurer, fallait-il encore que les taux d’intérêts engrangés sur les obligations publiques compensent la chute des cours des hydrocarbures et que le flux tous azimuts des importations réserve des aires de subsistance à une production locale menacée de mort lente.

Le droit additionnel provisoire de sauvegarde (DAPS) contribuera d’autant mieux à la prémunir, que des taxes douanières conséquentes freineront la dérive pécuniaire mettant en danger la balance des paiements, des entraves protectionnistes qui causeront une levée de boucliers chez les nababs du commerce extérieur, tous ligués en juin 2017 contre le Premier ministre de l’époque, Abdelmadjid Tebboune. Fonctionnant à coup de mises en demeure (notamment à l’encontre d’Ali Haddad, patron du Forum des chefs d’entreprises) et ciblant les usines de montage ou le secteur de l’agroalimentaire, l’homme chamboulait la donne, provoquant concomitamment l’affolement des partenaires étrangers. Sermonné par Abdelaziz Bouteflika, il sentira venir le couperet et voudra y échapper en rencontrant (sans l’accord de la Présidence et pendant un déplacement privé), le 7 août, son homologue français Edouard Philippe, cela afin de le rassurer sur la collaboration mutuelle et l’appui du général-major Ahmed Gaïd-Salah, méfiant à l’égard de parvenus oligarques aujourd’hui regroupés sous le terme générique de «la bande» (îssaba).

Proches de Saïd Bouteflika (frère du Président déchu), factotums de la redistribution et clans clientélistes constituaient un appareil aux ramifications tentaculaires assez puissantes pour broyer en moins de trois mois les velléités louables d’un «chevalier blanc» limogé muni militari le 15 août 2017 au profit d’Ahmed Ouyahia, successeur voué à abroger une semaine après (le 22) deux décrets indésirables. Le premier concernait le contrôle et l’évaluation des projets d’investissement, l’application des règles régissant le foncier industriel ou le fonctionnement des services de l’Etat (collectivités territoriales et entreprises), et le second soumettait l’attribution des licences d’importation, ou régime des biens et marchandises, à l’accord du chef du gouvernement. Abdelmadjid Tebboune comptait alors rogner une facture commerciale avoisinant annuellement 50 milliards de dollars, séparer les forces de l’argent de la décision politique, remettre du rationnel là où régnait l’improvisation. Seulement, au lieu de déstabiliser des lobbies clandestins, son coup de pied dans la fourmilière réanimera les articulations de ce que Rachid Tlemçani nommera, dans les colonnes du quotidien Le Soir d’Algérie du 13 août 2017, «la main invisible», celle sortie finalement vainqueur du bras de fer.

Bien que laissant paraître un certain défaitisme face au redéploiement des canaux obscurs de la corruption systémique, le politologue participera à affiner la conscientisation générale née du «(…) travail de fond de certaines élites (…) en phase avec une majorité aujourd’hui mieux préparée, plus réceptive et assurément disposée à la rupture» (A. Moussaoui, in El-Watan, 20 mars. 2019). Convaincu que tout se jouait à l’intérieur des officines secrètes où les dossiers se traitent entre conseillers algériens extra-institutionnels et sherpas internationaux (souvent français), il se demandait à quelle faction appartenait Tebboune. Qui l’avait autorisé à redresser la barre, sinon ceux constatant que les prédateurs-boursicoteurs compromettaient dangereusement le fameux équilibre à préserver entre les coalitions centrifuges et endogènes à l’origine d’une version atypique du ruissellement ?

Le concept de ruissellement renvoie à la théorie du «trickle-down effect», c’est-à-dire aux retombées fluctuantes et répartitrices de «premiers de cordée» aptes à engranger des bénéfices profitables à l’ensemble de telle ou telle société (précisément américaine). Or, en Algérie, l’écoulement en question reste entièrement dépendant des relais internes de prédateurs agissant en eaux troubles. Accaparements et empêchements sont dans ce pays les deux faces de la monnaie sonnante et trébuchante qu’épargne (souvent via des acquisitions immobilières) une nomenklatura prônant les accommodements de l’identique sous les artifices du nouveau. Quand Gaïd-Salah réunissait le 2 avril 2019 l’aéropage des forces terrestres, aériennes, maritimes, de la Gendarmerie, de la défense du territoire et les six chefs des Région, dézinguait l’oligarchie «(…) qui a fait de la fraude, de la malversation et de la duplicité sa vocation (…)», accusait les fratries non-constitutionnelles d’ourdir un complot et annonçait la vacance du poste de Président, il misait déjà sur la posture du «bienfaisant» Abdelmadjid Tebboune, énième roue de secours jugée le plus idoine pour parachever le pseudo accompagnement concocté entre affidés de la «Famille révolutionnaire».

Emergent de sa représentativité aliénable, l’encarté Karim Younes régira l’instance de médiation et de dialogue (conseil consultatif), contournera la problématique des préalables (démission du Premier ministre Noureddine Bedoui et de son gouvernement, libération des manifestants arbitrairement détenus, etc.) pendant que son bras droit, Amar Belhimer, la rapportera à «une sorte de chantage émis à l’encontre du cercle décisionnel, de l’instruction et indépendance de la justice, d’acteurs mus par le souci commun de la stabilité et la souveraineté de la patrie». Persuadé de l’urgence de la présidentielle et de sauver une République prétendument menacée, l’actuel ministre de la Communication jurait de quitter la commission politique d’un Panel supposé s’auto-dissoudre en cas de non concrétisation des mesures d’apaisement, clamait son attachement à l’âme du Hirak, parlait de mission patriotique, invoquait le «respect pour nos anciens moudjahidine (et) leur soutien moral» (A. Belhimer, in Reporters, 15 août 2019), signalait le souci de contrecarrer l’entremise des ONG et partisans de la Constituante à tout prix, d’échapper au vide institutionnel, de valider l’intégrité d’un rendez-vous collectif pendant lequel «le peuple votera en masse» (A. Belhimer, in Forum d’El-Moudjahid, 15 septembre 2019).

En comparant le taux de participation (fixé à 40%) à la moyenne ou norme effective en Europe, le professeur en droit public créditait la consultation hivernale d’un résultat honorable, ignorait ainsi la désertion du peuple en marche vers une expérience démocratique débarrassée de la prégnance empirique de généraux dictant leur feuille de route, livrant clé en main les éléments de langage, briffant les serviles prêts à recevoir consignes et sacrements, à projeter ou étaler, sur une scène politique encore ouverte aux bipolarisations antithétiques, les poncifs du recyclage et autres enfumages. Quelques jours avant de rejoindre le gouvernement d’Abdelaziz Djerad, son désormais porte-parole relevait les critères d’achoppement de la prochaine Constitution tout en arguant la volonté d’en finir avec «la rente pétrolière, le commerce informel et l’Etat de non-droit» (Le Soir d’Algérie, 18 décembre 2019).

Marqueurs des dysfonctionnements du régime de la mamelle, ces trois fléaux caractérisent la paresse d’esprit et l’abdication de dignitaires refusant de poser les termes du bon diagnostic, de remédier aux résistances anti-réformistes. Prêts à remettre une pièce dans la machine FLN, à huiler les rouages du consensus mou, ils prêteront allégeance à l’Ubu Bouteflika, hisseront le cadre de «fakhamatouhou», terme issu du qualificatif «fakhama» (Son Excellence) et que rejettera heureusement ipso facto Abdelmadjid Tebboune. On consent souvent au nouveau venu les meilleures intentions. Aussi, au lieu d’user de la formule condescendante, «l’Algérie a besoin de tous ses enfants», le locataire d’El-Mouradia devra sans doute rapidement convaincre une population frondeuse vis-à-vis de l’offre de dialogue et boudeuse envers la révision constitutionnelle. Pure émanation de l’establishment, mais non issu des rangs des anciens combattants de la Guerre de libération, le gagnant contesté est fragilisé par un déficit symbolique et démocratique.

Cette inconfortable situation fait du «born-again» président l’otage des «manie-tout» du sommet, lesquels lui ont probablement confié les manettes du ravalement de façade, accordé un simple rôle de médiateur, le soin de combler le vide entre une armée mythifiée et un peuple-héros, de reconnecter les câbles de l’interlocution populiste. Il aura beau s’entourer des meilleurs conseillers, les maîtres des horloges veilleront aux bornages de ses prérogatives, laisseront sans doute peu de marge de manœuvre et délimiteront par avance sa marge d’autonomisation ou de progression. Incubateur d’une portée compulsive de baltaguia, barbouzes et agents de l’ombre occupant l’Etat profond, l’ordre sécuritaire sera là pour remettre les pendules à l’heure, indiquer la ligne médiane à ne pas dépasser, réguler la scène médiatique, orchestrer les prétoires d’une justice d’exception aux géométries variables et, à ce titre, chargée de resserrer à tout moment les nœuds gordiens du statu quo.

Réduire la compréhension de l’immobilisme ou pourrissement ambiant aux batailles intestines que se livreraient continument généraux des services et du haut commandement militaire (thèse récurrente de Belaïd Abane) ou segmenter l’armée en deux pôles symétriques (conservateurs contre progressistes, division chère à Lahouari Addi), c’est s’en tenir à la logique actuarielle (mettre les acteurs au sein de groupes, les classer), s’accommoder d’une analyse surplombante empêchant de saisir l’interdépendance d’une flopée de protagonistes monnayant des attaches fraternelles et solidaires indissociables de la notion d’açabiya (ou assabiya).

En montant un parti politique concurrentiel, le malheureux candidat Ali Benflis a coupé le cordon ombilical le reliant autrefois à la confrérie d’origine (le FLN), une «trahison» que les mentors de l’unité tribale ne lui pardonneront jamais. L’apparatchik Abdelmadjid Tebboune sait certainement que sa potentielle envie d’émancipation est soumise à l’agir coercitif des patriarches, à leurs conventions patrimoniales et à l’interaction des rapports d’autorité.

G.-S. C.

 

Comment (7)

    Brahms
    27 janvier 2020 - 6 h 40 min

    Tant qu’il y aura le marché parallèle de la devise, le pays aura toujours des boulets aux pieds donc impossible de lutter sur le plan économique fasse aux grandes puissances.

    Vérité
    26 janvier 2020 - 19 h 40 min

    Pourquoi les faux croyant et hypocrites aiment autant le pouvoir et la manipulation

    Ashtough
    26 janvier 2020 - 16 h 28 min

    N’est aucune crainte Monsieur le président Tebboune il est formé et conseillé par notre grand président Monsieur Bouteflika,il va continué sa politique on privatisant les entreprises d’état,libéré les patrons emprisonnés illégalement pour donner le travail a tout les Algériens,

    Réseau 16
    26 janvier 2020 - 11 h 18 min

    Les dirigeants Algérien sont les plus grands comédiens de ce monde, sinon comment peut-on faire un discours où dialogué avec une personnalité étrangère, lorsqu’on sait qu’on est pas élu démocratiquement et avec a peine 4a5% de la population, il faut osé le faire,mais pour les tricheurs et les mythomanes, ils voient cette situation comme normal, encore cinq ans de détournement et d’injustice

    FELLAG
    26 janvier 2020 - 10 h 28 min

    L’Algérie a été vendu,lorsque des gradés venant de l’armée Française se sont rendu1958,et comme par hasard depuis cette date le désordre commence a désorganisé notre armée et les crimes entres Moudjahidines commencent,un grand nombre de Moudjahidines honnète et loyal ont été massacrée par leur propre camarades,et d’ailleurs sa continué jusqu’aujourd’hui;Si nos Généraux étaient patriotes et loyal envers la mère patrie,comment laisser un voyou le frère d’un traitre président dirigé le pays pendant une dizaine d’années sans personne ne lève le petit doigt,la raison ces Généraux ils profitaient des dons de ce dernier,on le veuille ou pas les vrais Moudjahidines sont morts au combat,ils restaient une minorité certains ont été tués et d’autres pousser l’exode,et les ex collabos,Harkis,traitre,bras cassés on repris les commande,il s’arrangerait bien a nos ex colonisateurs

    Mounir Sari
    26 janvier 2020 - 9 h 58 min

    Tebboune est devenu président grâce à un hold up électoral organisé par ses mentors Gaid Salah et Chorfi.Le taux de participation aux élections n’a pas dépassé 4% au niveau national.Dans une démocratie et dans les pays qui se respectent les présidents sont démocratiquement élus et non pas désignés.Ajoutez à cela que Tebboune a les mains et les pieds liés à cause de l’interférence des généraux encore et toujours dans les affaires politiques depuis l’indépendance!!!!

    Sansylo
    26 janvier 2020 - 9 h 33 min

    Pas de ravalement de façade ni de cooptation pour Tebboune.
    Les dés sont jetés , il faut finir la partie avec ce système obsolète.

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