Abdallah Zekri : «Des dépouilles d’Algériens attendent d’être rapatriées»
Très sollicité par les médias français, le délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM) a bien voulu répondre à nos questions et apporter des clarifications sur de nombreuses ques tions liées au Ramadhan en France, marqué cette année par les mesures de distanciation sociale qui rendent le jeûne, symbole de communion et d’entraide, différent des précédents. Abdallah Zekri commente également les émeutes qui ont lieu actuellement dans certaines banlieues françaises à forte concentration maghrébine et africaine et s’exprime sur le problème de la saturation des carrés musulmans dans les cimetières français. Interview.
Algeriepatriotique : Le Ramadhan de cette année intervient dans le contexte particulier du confinement imposé par l’épidémie du Covid-19. Comment s’est passé le premier jour du mois sacré chez notre communauté en France ?
Abdallah Zekri : Permettez-moi d’abord de souhaiter un bon Ramadhan à tous les musulmans, en France, en Algérie et partout ailleurs. Les musulmans de France ont fait preuve d’une grande ferveur et ont fait de leur mieux pour respecter le confinement et les règles de distanciation sociale contraire pourtant à l’esprit même du Ramadhan, mois de communion et de partage. Comme chaque année, les musulmans de France ont essayé d’exhaler les senteurs du pays d’origine en perpétuant les traditions liées à cet événement religieux qui rapproche encore plus la communauté de ses racines.
Le mois sacré a été précédé par des émeutes dans certaines banlieues à forte concentration maghrébine et africaine. Qu’en est-il ? Quel commentaire faites-vous de cette situation ?
Les violences qui ont éclaté dans certaines banlieues suite à une bavure policière sont à inscrire dans une certaine dichotomie qui caractérise la relation entre l’Etat et les banlieues en général. Malheureusement, ce genre d’affrontements est fréquent et les expériences passées ont montré que la gestion des cités demeure le talon d’Achille des gouvernements successifs en France, qu’ils soient de gauche ou de droite. Le confinement, bien que recommandé par la communauté scientifique, a compliqué la situation dans ces quartiers sensibles en proie à d’énormes problèmes liés à la précarité et à un sentiment de marginalisation, voire d’ostracisme.
Je profite de cette occasion pour en appeler à la responsabilité et à la sagesse des uns et des autres dans ces circonstances particulières. Les problèmes qui ont ressurgi à la faveur de l’épidémie du coronavirus et du confinement qui en a résulté préludent un déconfinement qui sera problématique si les autorités n’envisagent pas une refonte totale de leur politique des banlieues. Le caractère itératif de ces incidents malheureux doit inciter le gouvernement à revoir de fond en comble sa démarche de sorte à corriger de façon définitive les erreurs qui ont empêché que l’intégration se fasse de manière souple, adroite et évolutive pour barrer la route à la fois à l’extrême-droite et à la radicalisation.
Justement, une note officielle appelant les policiers à faire preuve de modération dans l’usage de la force a suscité une levée de boucliers de la part de la droite et de l’extrême-droite. Comment réagissez-vous à cela ?
Ce sont les mêmes milieux extrémistes, racistes, xénophobes et identitaires qui s’agitent à chaque fois que le gouvernement tente de calmer les esprits et de trouver un compromis qui évite un embrasement général des banlieues comme ce fut le cas en 2005. L’extrême-droite se nourrissant d’islamophobie, elle a saisi l’occasion du Ramadhan pour monter au créneau et s’en prendre encore une fois à la communauté musulmane, en reprochant à l’Etat de ne pas être suffisamment discrétionnaire envers elle. Ces milieux ultranationalistes, à vrai dire, cherchent à provoquer des affrontements entre les services d’ordre et les jeunes des banlieues pour en tirer des dividendes politiques, dans ce contexte d’élections locales et à quelques encablures de la course à l’Elysée.
L’épidémie du coronavirus a créé un problème de saturation de carrés musulmans dans les cimetières français. Comment ce dilemme peut-il être résolu, selon vous ?
Effectivement, le Covid-19 a malheureusement fait de nombreux morts parmi les musulmans en France. Les chiffres indiquent, d’ailleurs, qu’elle est la première victime de cette épidémie, notamment en Seine Saint-Denis, dans la banlieue parisienne où vit une forte communauté immigrée issue du Maghreb et d’Afrique. Le nombre élevé de décès parmi les musulmans a créé un problème d’insuffisance d’espaces dédiés aux carrés musulmans dans les cimetières français. Il faut savoir que le confinement et la rupture des liaisons aériennes et maritimes avec l’Algérie, entre autres, à cause de la pandémie du coronavirus, ne sont pas la seule raison qui pousse les familles à inhumer leurs défunts en France. Les nouvelles générations préfèrent que leurs proches reposent près d’elles pour pouvoir se recueillir plus souvent sur leurs sépultures. Comme je le dis souvent, ceci est une forme d’intégration par la mort, si je puis m’exprimer ainsi. Cette situation, greffée à la mortalité anormalement élevée ces derniers mois, a fait que les cimetières sont débordés. Nous sommes en contact permanent avec les autorités compétentes pour résoudre ce problème dans les plus brefs délais. Le président du Sénat, Gérard Larcher, et le président de l’Association des maires de France, François Baroin, ont été sensibilisés à ce sujet par le recteur de la Mosquée de Paris. De son côté, le président du Conseil français du culte musulman a exhorté le président Macron, lors d’une visioconférence, à instruire les maires de créer de nouveaux carrés dès que possible.
Les décès parmi les musulmans sont-ils tous dus au Covid-19 ?
Non, il y a des cas de décès par d’autres maladies ou dans d’autres circonstances.
Y a-t-il des Algériens non-résidents parmi les défunts ?
Vous faites bien de poser cette question importante. En effet, il y a parmi les personnes décédées, ces derniers temps, des Algériens qui ne résident pas en France et qui étaient juste de passage soit pour une visite familiale, soit pour faire du tourisme mais qui n’ont pu regagner le pays en raison de la fermeture des frontières. Leurs dépouilles sont bloquées dans plusieurs régions de France. L’Etat algérien doit prendre des mesures urgentes pour les rapatrier. Seuls deux aéroports, à Paris et Lyon, sont mobilisés pour accueillir les avions cargo affrétés par la compagnie Air Algérie pour ce faire. Or, je pense qu’il est nécessaire de programmer des vols supplémentaires à partir de l’aéroport de Marseille qui couvre une bonne partie du sud de la France et où vit un grand nombre d’Algériens.
Propos recueillis par Kamel M.
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