Il faut s’imprégner d’un «catastrophisme éclairé» pour éviter la catastrophe

Mouv idéologie populiste
Le Hirak est le résultat d'un effondrement qui a commencé en 2014. PPAgency

Par Ramdane Hakem – L’idéologie populiste a mené le pays à l’impasse que nous vivons. Loin d’avoir épuisé ses capacités de nuisance, elle est en train de changer de peau. Une des tares les plus rédhibitoires de l’arabo-islamisme consiste à cultiver le mensonge sur tout et n’importe quoi, afin de mystifier les gens. Redonner son importance à la vérité aiderait à dépolluer la scène politique nationale. «El-haq, disait Daniel Timsit, signifie en même temps la vérité des choses et la justice pour les Hommes. La vérité a besoin de s’appuyer sur la science pour comprendre le réel.

Appréhender sans fard ce qui attend l’Algérie nous suggère de tirer les enseignements du passé. L’une des périodes les plus riches en leçons est la décennie rouge que d’aucuns tentent de gommer par l’amnésie au nom d’une fraternité factice, mensongère. Or, voilà ce que montrent les chiffres : nous nous sommes entretués pendant dix ans à la suite d’un effondrement économique sans précédent qui a commencé en 1986 et a continué jusqu’en 1996. La sortie de crise a été concomitante à la remontée des cours des hydrocarbures.

Je ne veux pas sous-estimer la culpabilité du FIS et des libéraux qui entouraient le président Chadli dans les grandes souffrances endurées par nos populations. Je cherche plutôt à faire comprendre que la décennie rouge avait des racines économiques qu’il ne faut surtout pas occulter. La crise enclenchée par la baisse drastique de nos revenus pétroliers en 1986 avait aiguisé le conflit social et l’avait porté au point de menacer l’existence même de la société. Seule la maturité politique des forces patriotiques, y compris de l’ANP, permirent d’en limiter les effets désastreux en termes de décomposition de l’ordre social et d’irruption de la violence généralisée.

L’Algérie est de nouveau entrée, depuis 2014, dans un nouvel effondrement aux conséquences, si la maturité politique venait à faire défaut, plus dramatiques que celles des années 1990. La chute de la capacité à créer des richesses est à proprement parler vertigineuse, la situation a atteint un niveau catastrophique en cette année 2020. Les Algériens en ressentent le choc et le Hirak est une manifestation de cette prise de conscience, mais beaucoup n’appréhendent pas le danger dans toute son ampleur et sa complexité, d’autant que le «système» a engagé des manœuvres mystificatrices afin d’assurer sa pérennité. De fait, alors que la création de richesses s’effondrait, la consommation des Algériens continuait sa progression comme si de rien n’était. C’est ce qu’on appelle «acheter la paix sociale» en hypothéquant l’avenir du pays. Merci Monsieur Ouyahia !

Prendre conscience des dangers qui menacent la paix civile et la cohésion nationale me paraît, en conséquence, un impératif catégorique. L’action politique patriotique et démocratique doit s’imprégner de l’idée d’un «catastrophisme éclairé» afin d’éviter au pays la catastrophe. Alors «que faire quand que faire brûle ?» comme dirait notre regretté Bachir Hadj Ali ? Il convient, encore une fois, de lire correctement le passé pour en tirer les bonnes leçons.

A regarder la trajectoire économique de l’Algérie depuis 1962, nous voyons clairement que le pays, après quelques hésitations, s’était engagé sur un sentier de croissance des plus honorables au cours des années 1960/70. Alors qu’une austérité sévère était maintenue, des progrès économiques et sociaux substantiels ont été concrétisés malgré une croissance démographique galopante. C’était l’époque de la révolution nationale et démocratique, des tâches d’édification nationales, de la stratégie algérienne de développement et de la réforme agraire. Le pays avait un cap, il avait ouvert des chantiers dans tous les domaines, les gens vivaient au quotidien le progrès social.

Ce régime avait toutefois des tares endémiques, en particulier celles qui lui viennent du populisme arabo-islamique – en ce qu’il nie les libertés culturelles – et du dirigisme bureaucratique, lequel nie les libertés politiques. A partir de 1977, les contradictions qui l’animaient avaient atteint un point de rupture ; il devait être profondément réformé pour sauvegarder le cap de la libération nationale et sociale.

Ceux qui, après le décès de Houari Boumediene, présidèrent aux grands choix nationaux en avaient décidé autrement. Ils tournèrent le dos aux traditions révolutionnaires de notre guerre d’Indépendance, renoncèrent à toute vision stratégique et adoptèrent le mythe, le mensonge du développement spontané par le libéralisme que leur serinaient les capitales occidentales et les nouveaux riches issus du système.

Le pays avait besoin d’adapter son organisation politique et économique dans un sens qui permettrait de consolider le potentiel de développement édifié antérieurement – y compris en donnant au marché et à l’initiative privée une grande place dans l’économie comme le firent les Chinois à la même époque. Nos dirigeants avaient préféré systématiquement détruire notre capital scientifique et technique, gaspiller la rente à acheter le soutien de différentes catégories sociales et fabriquer un capitalisme parasitaire qui développe l’inculture et nous vend des chimères.

Face à l’épreuve qui s’annonce, l’Algérie doit rompre définitivement avec les politiques néolibérales qui ont été à l’origine des émeutes d’Octobre 1988, de la violence armée islamiste des années 1990 et de l’impasse actuelle. Cette contribution n’est toutefois pas un plaidoyer pour revenir à un passé révolu, celui des années 60 et 70, mais beaucoup plus une invitation à retrouver l’essence du 1er Novembre 1954. L’issue démocratique et de progrès social à la catastrophe qui s’annonce commande de renouer avec les valeurs et traditions de notre lutte pour l’Indépendance et l’édification nationale. Ce, en redonnant à l’éthique patriotique son importance comme ciment de la cohésion sociale ; en dotant l’Etat national d’une vision stratégique, un cap à tenir malgré les tempêtes, en organisant la vie publique de sorte à libérer les énergies tout en confortant la cohésion nationale par plus de progrès mieux partagés ; en édifiant un large front démocratique et patriotique capable d’animer l’effort de notre société vers son aspiration à plus de liberté et de justice sociale.

R. H.

Comment (2)

    LALGERINO
    13 mai 2020 - 9 h 11 min

    Les Chinois et, en génaral tous les Asiatiques travaillent et adorent le travail.Et c’est comme ça qu’ils vont
    dominer le Monde.
    Les Américains, les Allemands et les Anglais aiment le travail et n’aiment pas les grèves.
    Les Français, qui se croient mieux que les autres, réinventent le monde:champions des grèves, champions
    des babla et des palabres, des « droits de l’hommede la femme,etc… »,faiseur de « révolutions inutiles » du style des gilets jaunes etc… et dont la situation s’empire d’année en année.
    Dans tout ça, l’Algérie a voulu suivre la France, sans en avoir les moyens:Entreprises importantes,banques,etc…
    Je vous laisse deviner où l’on va

    Slimani
    11 mai 2020 - 9 h 30 min

    Faisons le bilan de tebboune depuis son arrivée au pouvoir: 1/ Il arrete des citoyens pacifiques du hirak, 2/ Il va en arabie pour se justifier a leurs yeux, 3/ Il continue le travail de gaid salah en arretant meme les gens sur les réseaux sociaux, 4/ Il ne tient pas ses promesses pour nous dire ou sont cachés les milliards durant son interview. A par ca, qu’a t il fait de spécial par rapport au travail traditionel du systeme de boutef ? Au moins boutef n’arrte pas pour un oui ou pour un non. Et vous croyez qu’on aura une algérie prospere, démocratique, et libre avec une telle gouvernance basée sur des divisions et la haine ? Il est clair que la seule solution pour le peuple est de continuer la lutte pacifique et par des greves illimitées.

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