Récit de l’historien Farid Belkadi – Chérif Boumaza à Paris (II)

Boumaza et les papotages mondains

«(…) On dit que Chateaubriand va épouser Mme Récamier. On dit que Rachel veut se battre en duel avec Augustine Brohan en l’honneur du comte Walewski. On dit que le Tsar songe à une alliance franco-russe qui inquiète beaucoup lord Palmerston. Le ministère va tomber… Non, le ministère vivra encore, par tolérance et faute de mieux : «On ne l’aime pas, a dit M. Mole, mais on le préfère.» Quant à M. de Rémusat, il se contente de dire : «Qui vivra rira !» et il joue la comédie de salon. Les Burgraves ont fait un fiasco, ma solenne. Victor Hugo remue ciel et terre pour être pair de France ; il a persuadé  la duchesse d’Orléans que la dernière pensée de son mari mourant a été pour lui. Les chiens de la princesse Belgiojoso ont mordu le bras de Cousin qui gesticulait dans le salon de leur maîtresse et qu’ils ont pris pour le bâton avec lequel on les faisait jouer. La même princesse Belgiojoso va en fiacre à Mabille, bras dessus bras dessous avec le prophète arabe Boumaza, en ce moment notre prisonnier.» Augustin filon, Mérimée et ses Amis. Paris, librairie Hachette et Cie 79, boulevard Saint-Germain, 79. Paris. 1894.

Il détruit le manuscrit de Richard

Dans son livre Etude sur l’insurrection du Dahra, qu’il publia en 1846, le capitaine C. Richard écrit : «Un jeune et simple derviche, venu on ne sait d’où, vivait depuis quelque temps au milieu des Cheurfa, chez une vieille femme veuve, bonne musulmane, qui l’avait accueilli chez elle pour faire une bonne œuvre et attirer la bénédiction divine sur ses vieux jours.»

Il parlait de Boumaza qui, à l’époque, n’avait pas encore fait sa soumission aux Français.

Boumaza s’opposait parfois violemment au capitaine Richard, son factionnaire. Il lui reprochait le contenu de ses livres controuvés concernant sa propre personne et la xénophobie dissimulée qu’il voue aux Arabes.
C. Richard, qui avait été chargé par l’état-major français d’accompagner Boumaza en France, devenait de plus en plus ombrageux du succès amoureux de son détenu, aussi sévissait-t-il, jaloux des mouvements de Boumaza dans la capitale française.

Les Parisiens vouaient au capitaine Richard, l’ancien chef du bureau arabe d’Orléansville, une indifférence parfaite, il avait pourtant bonne allure. Selon l’officier général Du Barail, son supérieur, le capitaine Richard était : «Ce qu’on appelle un joli homme, avec de longs cheveux blonds, bouclés, rejetés en arrière, des traits fins, un œil bleu et rêveur, des manières exquises, une parole facile et entraînante, d’une douceur pénétrante. Il avait une très vive et très haute intelligence, mais une imagination qui nuisait parfois à son jugement.»

Boumaza qui, des mois auparavant ne distinguait les Français qu’à la distance de portée de son fusil, ne s’entendait pas avec le capitaine. Les visites régulières que lui rendait la belle princesse italienne n’arrangeaient guère les choses. Des élégantes offraient des gerbes de fleurs à Boumaza sous l’œil atterré de son geôlier, le capitaine C. Richard.
Le capitaine Richard vivait comme déteint dans le sillage de Boumaza qu’il accompagnait partout comme son ombre.

Boumaza brillait de mille éclats dans le Tout-Paris. Les belles Parisiennes recherchaient sa présence, des poètes et des écrivains étaient devenus ses amis, ils aimaient s’afficher à ses côtés.
Quelques années plus tard, dans un autre livre, le capitaine Richard jettera un anathème définitif sur l’ensemble des indigènes : «Le vol et le meurtre dans l’ordre moral, la teigne et la syphilis dans l’ordre matériel sont les plaies qui dévorent les Arabes.»

Du Barail, qui n’était pas un enfant de chœur dans la guerre totale contre les Algériens, écrit dans ses souvenirs (tome 1, page 323) : «Moi qui ai beaucoup pratiqué les Arabes, qui parle leur langue, je proteste contre ces dures paroles (du capitaine Richard).»

Le Tout-Paris au tribunal

Le 15 juin 1847, un manuscrit sur l’organisation de l’Algérie, écrit par le capitaine Richard, fut volé entre trois et cinq heures de l’après-midi à l’intérieur de l’appartement de Boumaza.

Comme la princesse Belgiojoso et Mme Desroches étaient les seules personnes qui franchirent le seuil de l’appartement de Boumaza ce jour-là, la malice publique s’empara de l’incident, aux dépens de la princesse. La justice fut saisie de la plainte du capitaine Richard pour le vol du manuscrit, et une instruction fut ouverte.
La princesse Belgiojoso parvint à s’innocenter, mais Mme Desroches fut accusée du vol et traduite le 11 septembre 1847 devant le tribunal correctionnel de la Seine.

Le Tout-Paris envahit la salle d’audience. Une foule extraordinaire encombrait la salle d’audience.

En chéchia rouge avec une houppe de soie bleue, Boumaza comparut comme témoin ; il avait l’allure fière d’un jeune prince arabe avec son gilet-caftan, brodé d’or, vêtu d’une tunique de drap bleu foncé à boutons de cuivre et coiffé d’un fez rouge avec une houppe de soie bleue. Les débats furent confus ; Mme Desroches reconnut qu’elle était entrée chez le chérif, mais seulement au moment où le capitaine Richard s’y trouvait. Cela se passait bien avant le vol du manuscrit ; elle dit que le manuscrit avait été brûlé par Boumaza, qui reprochait ainsi au capitaine Richard des mensonges honteux sur sa personne. Elle ajouta :

– L’Arabe avait parfois des accès de grande fureur.

Puis pêle-mêle, elle accusa la princesse Belgiojoso qu’elle n’aimait pas, à cause de la froideur que celle-ci lui témoignait.

Elle dit aussi que l’Italienne avait tenté un jour de faire évader Boumaza. Celui-ci, interrogé par le moyen d’un interprète, répondit qu’il était ce jour-là malade, qu’il ignorait l’existence du manuscrit et qu’il ne se souvenait plus si la princesse était entrée dans sa chambre ou pas.

Le jour du vol du manuscrit, dans la chambre de Boumaza, le «fanatique ardent», comme le surnommait le capitaine Richard, l’ex-insurgé du Dahra reçut la visite de la princesse Belgiojoso, suivie un peu plus tard de celle de la dame Desroches.

La salle d’audience du tribunal

La princesse fut entendue à son tour ; elle déclara qu’elle s’était présentée chez Boumaza dans l’après-midi du 15 juin, qu’elle avait bien momentanément à l’hôtel Sanders, ce qui souleva des exclamations pudibondes à travers la salle d’audience. En arrangeant son corset elle dit que cela s’était passé bien après l’heure à laquelle le vol avait été commis ; elle dit que, si les soupçons s’étaient portés sur Mme Desroches c’est que celle-ci, étant la seule personne dans l’hôtel qui écrivait dans les journaux, elle avait besoin d’informations nouvelles à présenter à son public, donc Mme Desroches, seule, avait grand intérêt à s’emparer du manuscrit. Puis, une fois sa déposition terminée, elle s’empressa de quitter le tribunal.

Les dépositions des témoins suivants n’ayant point apporté de clarté dans l’affaire, l’avocat du roi déclara que les débats n’avaient pas établi la preuve que Mme Desroches, l’inculpée, avait volé le manuscrit. Par conséquent, il abandonna les poursuites contre elle. Mme Desroches fut remise en liberté. Cette affaire alimenta pendant un certain temps la chronique parisienne. Quelques jours après le procès, la comtesse Merlin, de son vrai nom Maria de las Mercedes Santa Cruz y Cardenas de Jaruco, née en 1788 à la Havane et décédée en 1852 à Paris, écrivait à ce propos, le 17 septembre 1847, à Philarète Chasles : «Le drame Praslin m’a si profondément touchée que j’en ai été malade.

Faites des romans après cela. Heureusement que la petite pièce, le procès de Bonimaza (sic, il s’agit de Boumaza) est arrivé à temps pour dissiper les sombres nuages de la catastrophe et voiler l’image tendre et sublime de la victime de la rue St-Honoré : c’est la petite pièce pour faire rire ceux qui ont pleuré à la tragédie. Cette audience est encore un tableau de mœurs superbes. Une princesse à côté d’une… accusée de vol, puis l’accusée acquittée… et la princesse ?

Les deux seules étaient entrées dans la chambre ; en voilà pour le vol – puis entrées pourquoi ? – En voilà pour les maris. Certes, le romancier qui aurait trouvé ces deux tableaux, El tétrico y el facoso en y cherchant la cause morale aurait complété la plus belle esquisse de l’époque.» (D’après l’article de Gaston Prinet, paru dans la gazette L’Intermédiaire, num. 1704, vol. XCII, du 10 avril 1929, pp 304-306).

Cette comtesse intervint auprès de son père bien des années auparavant pour faire affranchir une ancienne reine congolaise qui fut cédée à un capitaine négrier. Celui-ci la vendit au père de Mercedes. La comtesse épousa le général Christophe-Antoine Merlin en 1811. Elle vint s’installer à Paris, rue de Bondy, actuelle rue René-Boulanger.

La princesse fut entendue à son tour ; elle déclara qu’elle était bien restée de longs moments à l’hôtel Sanders avec Boumaza, dans l’après-midi du 15 juin, mais bien après l’heure à laquelle le vol avait été commis.
Elle accusa à son tour Mme Desroches du vol. En disant qu’elle écrivait dans les journaux et qu’elle avait donc intérêt à voler le manuscrit du capitaine Richard pour les originalités que le manuscrit devait renfermer.

Le capitaine Richard se rattrapa de la destruction du manuscrit, il commit plusieurs livres virulents sur les Algériens. Les propos parfois brutaux tenus contre Boumaza laissent supposer que l’insurgé algérien, aidé de sa bonne amie italienne, ont bel et bien subtilisé le manuscrit du capitaine Richard pour le détruire.

Selon le capitaine Richard, Boumaza, à ses débuts dans le Dahra, «menait une vie aussi exemplaire que possible, ne parlait à personne, priait du matin au soir, se nourrissait des offrandes qu’on lui apportait, en portant secours à la pauvre femme qui lui avait donné asile».

Cette image sera appliquée au cherif Boubaghla, quelques années plus tard, lorsqu’il surgit chez les Béni Abbas. La même manière de vivre, les extases, les prières continuelles, jusqu’aux vêtements rapiécés.

Comme Boubaghla sur le marché des Béni Abbas, Boumaza finira par acquérir une réputation de sainteté qui grandit en s’étendant inexorablement, peu à peu dans le Dahra. Une chèvre, selon certains ou une gazelle selon d’autres, partageait sa solitude et ses repas d’ermite. L’animal exécutait à ses ordres de petits tours d’adresse, à la manière des montreurs d’ours.

Le capitaine C. Richard écrit : «Quand le dérouiche eut bien étudié et compris le caractère de la population qui l’entourait, quand il eût bien arrêté dans sa tête de quelle manière il devait agir sur elle pour l’entraîner à l’exécution de ses desseins, et quand enfin il eût compris que la réputation qu’il s’était faite était un suffisant point d’appui pour soutenir ses premiers pas, il se sentit assez sûr de lui-même et se décida à agir.

Un soir d’une nuit obscure et qui promettait un orage violent, à l’heure où il se retirait dans la tente qui lui servait d’asile, pour prendre son repos accoutumé, il annonça d’un ton d’inspiré à la vieille femme qui l’avait recueilli que les temps étaient venus d’agir et de se montrer tel qu’il était ; qu’il allait la quitter, mais que dans peu elle entendrait parler de l’envoyé de Dieu, du sultan Mohamed ben Abdallah. II partit, laissant la pauvre femme crédule dans la surprise et dans la joie qu’une pareille déclaration devait lui causer. Il quitta les Cheurfa, coupa l’Oued Aberi, et se dirigea droit vers les Souhalia, fraction des Oulad-Younes (…) De toutes parts, on accourut pour voir et entendre le mystérieux inconnu sur lequel on disait tant de choses merveilleuses. Comme c’était un saint, un marabout, un cherif, on ne pouvait décemment pas aller vers lui les mains vides et, d’après le vieil usage arabe, chacun lui apportait sa ziara (mets de pèlerinage), suivant ses moyens.

Les haines de famille, les vieilles dettes de sang furent oubliées devant la grande affaire du moment, et le meilleur sauf-conduit d’un Arabe devint le prétexte d’une visite à Sidi Mohammed ben Abd-Alla. Une foule immense se pressait à ses festins religieux qui se terminaient toujours par quelques prédications, où l’intelligent cherif faisait habilement vibrer les seules cordes que le burnous recouvre.»

Cette description discutable du héros du Dahra par le capitaine Richard semble reproduire l’image négligée du derviche-cherif telle que pouvaient l’imaginer les Français.

Le logis de la princesse Belgiojoso

Rue de l’Arcade à Paris. Dans une étude parue dans les années 1900, sous la signature d’Edgar Mareuse sur la princesse Belgiojoso, figurent des renseignements concernant les divers lieux de résidence qui furent occupés par la belle Italienne.

L’espace où évoluait Boumaza

La princesse Belgiojoso habita tour à tour rue de l’Arcade et rue d’Anjou. Au début des années 1830, le gouvernement autrichien prononça la mort civile de la princesse, en lui saisissant ses biens. La princesse Belgiojoso, agissant par précaution, avait déjà élu à Paris domicile rue de l’Arcade, au cours de l’année 1829. Dans l’immeuble qui portait le num. 6 de la rue de l’Arcade, qui se trouvait vers le passage de la Madeleine, la célèbre église n’était pas encore achevée, lorsque la princesse s’installa dans le quartier de la Madeleine.

Au moment où la patriote italienne aménagea dans les lieux, en 1829, ses biens n’étaient pas encore confisqués. Plus tard, complètement démunie, elle occupera une mansarde. Georges Billard (page 785, Des Chercheurs et Curieux, 20-30 octobre 1929).

Belgiojoso (la princesse) : son logis de la rue de l’Arcade (XCII, 668, 784).

E. Mareuse tient cette information qui nous permet d’entrevoir le milieu où évoluait Boumaza, d’après un brouillon de lettre d’Augustin Thierry, son grand-oncle, daté de Carqueiranne (Var) en 1829, portant la mention : «A Madame la princesse Belgiojoso, rue de l’Arcade, à Paris». Sans autre précision.

E. Mareuse, en se basant sur Souvenirs du marquis de Floranges publiés par Marcel Boulanger (Paris, Ollendoff, 1906, in-8), parvint à établir approximativement l’emplacement de la maison habitée par la Princesse. Il écrit : «M’étant donc guidé tant bien que mal, en consultant les passants et les marchands de fruits ou de murs installés en grand nombre dans ce quartier, sous leurs énormes parasols, j’arrivai devant une haute maison et me risquai chez le concierge que j’entendais gronder, tousser et cracher au creux de son réduit mal odorant :

– C’en bien ici, mon brave homme, lui demandai-le, qu’habite Mme la princesse Belgiojoso ?

– Princesse, me répondit-il, en se mouchant. Princesse, si vous voulez… En tous cas, elle habite au dernier étage, la pauvre petite dame.»

La princesse infortunée

Le marquis gravit les cinq étages et, au dernier palier, arriva au misérable logis de Christine Trivulce (princesse Maria Cristina Beatrice Teresa Barbara Léopolda Margherita Laura Trivulzio) :

– Je vis en face de moi, dit-il, une porte étroite sur laquelle, au lieu d’un nom, une pancarte portait ces mots : «La princesse malheureuse.» Au-dessous, retenue par un clou, pendait une lettre : à M. le marquis de Floranges. J’ouvris le billet et je lus : «Je suis sortie, Monsieur, pour tâcher de vendre quelques éventails de ma façon. Le pain de l’exil est dur à gagner. Entrez sans crainte chez moi. Il n’y a ni verrous ni chaîne à la porte des proscrits. A quoi bon ?»

Place de la Madeleine

L’adresse signalée par Augustin Thierry est exacte, la belle exilée habitait bien rue de l’Arcade. Les «marchands de fruits ou de fleurs installés sous leurs énormes parasols», détail qui figure dans la correspondance du marquis de Floranges, indiquent distinctement la place de la Madeleine.

L’immeuble de la rue de l’Arcade donnait sur la place de la Madeleine. Selon Edgar Mareuse et Eugène Le Senne qui furent les Parisiens les plus familiers de l’histoire et la topographie du 8e arrondissement, une seule maison avait à cette époque, vue et sur la place de la Madeleine et sur la rue de l’Arcade, c’était l’immeuble qui porte le num. 6 sur cette dernière rue.

La princesse Cristina Belgiojoso, notait M. Raffaele Barbiera, arrivée obscurément à Paris, alla se loger dans un des quartiers les plus éloignés du centre, au dernier étage d’une maison modeste habitée par de pauvres gens, maison aujourd’hui démolie.

Il semblerait que cette maison existe encore, l’immeuble situé 6, rue de l’Arcade, Paris 8e, près du métro Madeleine, a été construit en 1750. D’une superficie de 231 m2, il comprend une cour intérieure de 8 m2 (d’après Pierre Dufay, Des Chercheurs et des Curieux, 10 novembre 1929, pp 829-830).

Boumaza s’évade et est déporté au fort d’Ham

Boumaza, après sa tentative d’évasion manquée, a été déporté au Fort d’Ham. La princesse, très attachée à lui, ruinée et neurasthénique, colorie et illustre de motifs fleuris sur de petits éventails pour survivre.
Ces témoignages sur la princesse Belgiojoso nous permettent d’identifier clairement les différents sites où vécut Boumaza.

Le prophète arabe Boumaza

Les confabulations mondaines, déversées sur Boumaza et sa compagne d’infortune, la princesse Belgiojoso, se suivent et se ressemblent.

Prosper Mérimée, le poète, dit être l’ami de Boumaza : «(…) On dit que Chateaubriand va épouser Mme Récamier. On dit que Rachel veut se battre en duel avec Augustine Brohan en l’honneur du comte Walewski. On dit que le Tsar songe à une alliance franco-russe qui inquiète beaucoup lord Palmerston. Le ministère va tomber…. Non, le ministère vivra encore, par tolérance et faute de mieux : On ne l’aime pas, a dit M. Mole, mais on le préfère. Quant à M. de Rémusat, il se contente de dire : Qui vivra rira ! et il joue la comédie de salon. Les Burgraves ont fait un fiasco, ma solenne.

Victor Hugo remue ciel et terre pour être pair de France ; il a persuadé la duchesse d’Orléans que la dernière pensée de son mari mourant a été pour lui. Les chiens de la princesse Belgiojoso ont mordu le bras de Cousin qui gesticulait dans le salon de leur maîtresse et qu’ils ont pris pour le bâton avec lequel on les faisait jouer. La même princesse Belgiojoso va en fiacre à Mabille bras dessus bras dessous avec le prophète arabe Boumaza, en ce moment notre prisonnier.» (Augustin Filon, Mérimée et ses Amis. Paris librairie, Hachette et Cie 79, boulevard Saint-Germain, 79, Paris, 1894).

La fuite de Boumaza

«Une dépêche télégraphique annonce que Boumaza a profité de l’émotion produite par les journées de février pour s’enfuir.» (Journal Nouvelles diverses. Extrait des journaux du 4 mars. Imp. de A. Prudent (Dôle) France (1848-1852, 2e République.)

Le 10 février 1848, le fort d’HAM servit de lieu de détention à Boumaza. Celui-ci fut maintenu un temps, au cours de la même année, au château de Noüe. Boumaza fut également assigné à résidence à Villers-Cotterêts.

Boumaza apprend l’arabe à Prosper Mérimée

Prosper Mérimée, écrivain, historien et archéologue français, auteur de la nouvelle Carmen dont a été tiré l’opéra de même nom, mis en musique par Georges Bizet, devait accomplir un voyage en Algérie, sous le patronage d’un ministre. Boumaza, qui se lia d’amitié avec lui, habitait depuis peu un splendide appartement sur les Champs-Elysées, voisin de l’hôtel de la princesse Belgiojoso. L’homme de guerre algérien retrouvait Prospère Mérimée et l’aristocratie artistique et littéraire au Bal Mabille. Un établissement en vogue à l’époque, situé avenue Montaigne. Ce haut-lieu des nuits parisiennes fut démoli en 1882.

Boumaza le fennec

«Les tables étaient dressées sous d’autres tentes. Il y avait profusion de rafraîchissements et des buffets partout. Les invités, quoiqu’ils fussent plus de quatre mille, n’étaient ni rares ni nombreux. Nulle part ce n’était cohue. Il n’y avait pas assez de femmes. La fête avait un bel aspect militaire (…) Au milieu de tout cela allait et venait une foule où j’ai vu Auber, Alfred de Vigny, Alexandre Dumas avec son fils, Taylor, Charles Dupin, Théophile Gautier, Thiers, Guizot, Rothschild, le comte Daru, le président Franck-Carré, les généraux Gourgaud, Lagrange, Saint-Yon, le duc de Fézensac, le garde des Sceaux Hébert, le prince et la princesse de Craon (…) Il y avait deux Arabes en burnous blanc, le cadi de Constantine et Boumaza. Boumaza a de beaux yeux, mais un vilain regard, une jolie bouche et un affreux sourire. Cela est traître et féroce, il y a dans cet homme du renard et du tigre.» Théophile Gautier (1848) Salon.

Un jour pourtant, Boumaza parvint à déjouer la vigilance de ses surveillants. Aidé par l’entourage de la princesse Belgiojoso et quelques amis libéraux, il s’enfuit de Paris. Il sera repris sur la passerelle d’un navire, au moment il s’apprêtait à embarquer pour l’Orient. On le transporta à l’hôpital de Brest, puis au fort d’Ham. Sa fuite de Paris eut lieu le 24 février 1848.

On vit Boumaza aux obsèques du maréchal Oudinot, duc de Reggio, parmi un grand nombre d’officiers-généraux de toutes les armes et des costumes militaires de tous les pays. Boumaza, selon un journal de l’époque, «portait son costume africain, la tête couverte du burnous de chérif».

Deux héros indomptables que tout opposait

Gustave Flaubert, parle de Boumaza : «Le célèbre algérien Boumaza avait été un des plus redoutables adversaires de l’armée française en Algérie. Fait prisonnier par Saint-Arnaud en 1847, il fut traité avec beaucoup d’égard par le gouvernement de Louis-Philippe. On lui assigna Paris comme résidence avec une pension de 15 000 francs.

Somptueusement installé avenue des Champs- Elysées, il fit bientôt figure de ‘’personnalité bien parisienne (…) Les femmes, vêtues de couleurs brillantes, portaient des robes à taille longue et, assises sur les gradins des estrades, elles faisaient comme de grands massifs de fleurs, tachetés de noir, çà et là, par les sombres costumes des hommes. Mais tous les regards se tournaient vers le célèbre Algérien Boumaza, qui se tenait impassible, entre deux officiers d’état-major, dans une des tribunes particulières. Celle du Jockey-Club contenait exclusivement des messieurs graves». Œuvres complètes de Gustave Flaubert, tome III, p. 202 et p. 292. Flaubert Gustave, éditeur : L. Conard (Paris), 1910.

Boumaza emprisonné au fort d’Ham

Tout le monde devise de Boumaza à Paris.

«Boumaza, le grand chef résistant qui continue le combat après que l’émir Abdelkader ait été défait. Cerné de toutes parts, il se rend le 13 avril 1847 aux troupes françaises commandées par le colonel de Saint Arnauld. Interné en France, il est en fait «choyé» par le gouvernement de Louis Philippe, on le dote d’un appartement aux Champs-Elysées, il reçoit une pension de 15 000 francs. Rebelle malgré tout, durant la révolution de février 48, il essaye de quitter la France, mais il est arrêté à Brest. Il est remis en liberté par le prince Louis-Napoléon qui lui restitue sa pension. Il quitte définitivement la France en 1854 pour se réfugier dans l’empire ottoman où il intègre le corps des Bachi-bouzouks. Il est promu colonel en août 1855.» Dictionnaire universel des contemporains, Gustave Vapereau, édition Hachette, Paris 1858.

Colonel dans l’armée turque

Le prince Louis-Napoléon, lors de la visite qu’il fit aux habitants de la ville de Ham, au cours du mois de juillet 1849, adoucit la captivité de Boumaza, en lui permettant d’aller en ville et en augmentant la pension que lui versait le gouvernement français.

Trois années plus tard, le 16 octobre 1852, Napoléon III, au retour d’une tournée en France, ira à Amboise annoncer cérémonieusement sa liberté à l’émir.

Remis en liberté en 1854, Boumaza prit également le chemin de la Turquie. Là, il s’engagera dans les rangs de l’armée du Sultan pour aller faire la guerre en Crimée.

C’est sous le grade de colonel, en août 1855, qu’il commandera un corps de Bachi-bouzouk, «mauvaises têtes» en langue turque.

Son histoire se perd quelque part dans le labyrinthe des archives de l’armée ottomane. Il est enterré quelque part en Turquie.

P. S. : Il faudra penser à récupérer ses pistolets ainsi que le chapelet qu’il remit à Saint Arnaud lors de sa capitulation, le 13 avril 1847 à Orléansville.

F. B.

27 juillet 2020

(Suite et fin)

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