Aux origines d’un malaise révolutionnaire
Par Azar N-ath Quodia – Ceci n’est qu’un rappel face à l’oubli, il est une invocation pour apaiser nos esprits face à cette amertume historique, il est également un appel pour la réconciliation avec la mémoire des hommes sacrifiés. «Qui ne gueule pas la vérité, quand il sait la vérité, se fait le complice des menteurs et des faussaires.» (Péguy.)
Le spleen impose ses refrains sur cette existence éphémère, le sang de la cruauté humaine s’impose aux esprits apaisés et à leurs idées savantes, il coule ruisselant sous les manœuvres d’envieux fauchards.
On est à quelques jours prêts pour célébrer l’assassinat par strangulation d’un grand homme, un révolutionnaire à l’envergure nationale ; il est important de rappeler à ceux qui ont l’oubli comme une ombre et aux générations à venir quelques origines de nos tribulations et d’un anathème qui court encore soixante ans après.
Un enfant, un prude s’éteint, comme un chandelier soufflé par le vent de la barbarie ; une fine raison étouffée sous l’impulsion d’un fil, à pressage de foin, en strangulation. Ainsi donc la mort guette nos pépites constellées, laissant la patrie sous les mains des lourdauds, manœuvriers de la Révolution. Bien d’autres mourront sous le primitivisme des haches et sous la pondue du cochon. Très peu de marge pour saisir le flegme, on apprend à mourir sans répit, à chaque lueur de lumière on élimine nos frères, on tue l’espoir au détriment de l’ambition et le désespoir, nous répudiant la vérité dans l’amnésie pour mieux nous sentir légers dans les ricochets et la lumière du jour. A la marge de nos vies, nous traînons l’atavisme anathème, ainsi nous n’aurions jamais de paix dans l’ici-bas, on apprend donc à mourir, fauchés par la jalousie, ruinés par la haine et la bévue. Des vents incertains soufflent sur l’avenir, à chaque nouvelle aube, un flux de morts hantera nos esprits, on part alors ailleurs, vadrouiller sur la terre entière pour retrouver un semblant de vie, vainement on tente de résister, de survivre, mais le sort nous précède, nous mourrons ainsi, simplement aux couleurs de nos déficiences cérébrales.
Si seulement le temps était un espace et qu’il pouvait se plier d’un revers d’une main, nous redressant alors l’histoire, nous imposerions une halte à la vie, nous rattraperions les manœuvres dilatoires dans les grandissantes frictions, loin du sadisme et la barbarie, la magie referait surface, nous sentirions la brise de la paix et de l’émancipation. Mais comme dit l’adage de nos ancêtres : «A quoi bon danser devant un aveugle ou jouer de la musique à un sourd ?» On se noie dans l’absence du rêve, dans cette omission incommensurable. Le monde des impassibles n’est qu’utopique, le vrai est lugubre par sa persistance dans son imposture humaniste, ainsi donc nos mots titillent les haltes absurdes de nos songes sur une destination longtemps restée précaire…
Et le destin de ces braves hommes, les flammes les plus ardentes de leur lutte, le prélude dévorant de leur passion, où s’achève-t-il ? N’est-ce pas plus souvent dans l’évidence tragique de l’oubli ?
Ces hommes pour qui la vie n’avait d’égale aucun prix ont fini, malgré eux, par faire abstraction de vivre, et avec un amour sans nom, ils ont accepté de le donner en offrande à la mère patrie, laissant leur âme vaillante transcender la fatalité de la mort !
Il n’y a rien de matériel dans la vie qui puisse laisser l’homme vivre sans sa liberté, l’homme, et quel que soit son statut social, donnerait à la vie ce qu’il possède de plus cher pour la reconquérir car, sans liberté, l’homme serait un éternel esclave.
Dans notre pays, le nôtre en particulier, nos ancêtres se sont battus contre nombre d’envahisseurs ; ce combat, cette lutte, est encore testament sur notre patrie, il est au prix de la dignité humaine, à force de conviction de courage et abnégation. Les combattants de la liberté avaient déclenché la Guerre de libération sans réel projet de société, ils ne souhaitaient pas mettre de côté leurs querelles partisanes et intestines, l’urgence était d’en finir avec la tyrannie coloniale. Plus tard, des congressistes politiques ont pensé la question de projet politique d’une nation souveraine.
Les efforts et les souffrances consenties, les sacrifices déployés dans la frénésie de la lutte ont dépassé tout entendement et même toute logique et raison. Leurs engagements et leurs déterminations inébranlables dans l’inconscience de la guerre étaient des forces mystérieuses pour ne pas dire providentielles ; le paysan qui a chassé le parachutiste commandos, le fellah exproprié de ses terres face aux capitalistes colons, le dominé face à son dominant, la liberté face à la tyrannie !
Les conflits d’intérêts entre pays, on écrit l’histoire, ainsi les guerres ont façonné l’humanité, le vainqueur avide de matières premières et le vaincu cupide de la liberté.
L’instinct est le réflexe primitif de l’homme c’est aussi sa défense naturelle, contre l’envahisseur, l’intrus, l’autre humain qui exproprie son semblable de sa dignité. Les empires coloniaux ne sont plus, mais le néocolonialisme a vu le jour au lendemain des pseudo-indépendances, les jougs des forces dominantes sont donc le frein éternel aux perpétuels opprimés ? Dans le siècle à venir verrons-nous en tant qu’opprimé d’autres formes de lutte qui changeront nos conditions humaines et obtenir ainsi une chance à l’émancipation pour de nouveaux destins ?
Le travail consenti dans la lutte pour la libération de l’Algérie est sciemment noyé dans l’oubli. Comment des criminels usurpateurs sans vergogne s’y sont-ils pris pour effacer de tels sacrifices de nos mémoires ?
Il est, certes, question d’avancer, d’aller de l’avant, mais il n’est jamais question de l’oubli ou d’amnésie. Il faut récupérer l’acquis de nos baroudeurs, de nos paysans, de nos vaillants martyrs. On ne sait par quel miracle ni par quelle intelligence il faut agir, mais la force mystérieuse, la force providentielle d’hier, reviendra aux opprimés comme une évidence sur les chemins sinueux de la justice et la vérité.
Gloire à nos vaillants martyrs.
A. N.-Q.