Contribution de Mourad Benachenhou – Effondrement diplomatique de l’Algérie
Par Mourad Benachenhou(*) – Affirmer que l’Algérie est «à la croisée des chemins» est un euphémisme qui projette une vision optimiste de notre pays et laisse croire que les choix que les responsables politiques actuels, quelles que soient leur identité et leurs positions officiellement établies, doivent faire, dans la conjoncture actuelle, seraient clairs et sans ambigüité et qu’il suffirait de prendre un des chemins qui leur seraient ouverts pour dépasser la crise actuelle.
Le paysage politique : loin d’être une plaine sans relief !
Mais, même une analyse superficielle de la situation actuelle prouve que le paysage politique du pays, dans toutes ses données, est loin d’être une plaine dont l’horizon le plus proche comme le plus lointain apparaîtrait clairement, même si quelques nuages en estomperaient la vue.
Le règne sans partage de Abdelaziz Bouteflika, dont l’irresponsabilité est accentuée par l’évidente immunité dont il bénéficie jusqu’à présent, alors que nombre de ses complices et comparses, en fait des marionnettes jetables, payent le prix de leurs compromissions, ce règne a jeté l’Algérie dans un abîme dont il paraît difficile qu’elle puisse s’en sortir sans rompre de manière décisive avec le chemin que cet ex-président, démissionnaire, mais non encore déchu, lui a fait prendre, au corps défendant du peuple algérien et sans que jamais il ait été consulté.
Bouteflika, un «prodige» de la diplomatie internationale ?
Alors que cet ex-président projetait l’image d’un prodige de la diplomatie, d’un maître des coulisses des relations internationales, voici que l’aspect le plus visible de l’effondrement de notre pays est notre position internationale qui se détériore quasiment au jour le jour et de manière continue, insurmontable et irrésistible.
On a cru, avec une certaine naïveté, que la présence d’un diplomate de «haute volée» à la tête du pays allait nous garantir un certain respect international, et une certaine voix non seulement dans les affaires du monde, mais également dans la région à laquelle notre pays appartient géopolitiquement et où il détient des intérêts qui ne peuvent lui être déniés.
La toute récente évolution à l’ouest de notre pays, qui ne change ni à la nature de colonie de peuplement de l’Etat d’Israël, ni à la nature du conflit du Sahara Occidental, qui, de l’avis de l’écrasante majorité de la communauté internationale, ressortit exclusivement du processus de décolonisation, prouve, s’il le fallait encore, que les ennemis déclarés ou cachés de l’Algérie profitent de sa faiblesse, momentanée – il faut l’espérer – pour faire avancer leurs pions et lui enlever une fois pour toutes tout poids même dans son propre espace géopolitique.
Un effondrement diplomatique lié aux problèmes internes du pays
L’effondrement sans conteste de la position extérieure de l’Algérie a, sans doute, beaucoup à voir avec la dangereuse évolution de l’ordre international où l’agression armée unilatérale prend le pas sur la diplomatie sous l’égide des organisations internationales.
Mais cet effondrement trouve également son explication dans la très sérieuse crise institutionnelle que connaît le pays, et que ne peut que compliquer l’absence d’un leadership au sommet, comme dans la crise économique et financière dans laquelle Bouteflika a délibérément mis le pays, en livrant son économie aux intérêts étrangers.
Un pays ne peut prétendre au respect international s’il se trouve incapable de gérer ses propres affaires internes, dont il commande tous les leviers sans partage, alors que dans ses relations internationales il est tenu de faire des calculs complexes et de prendre en compte des données sur lesquelles il a peu de contrôle, si ce n’est aucun contrôle.
Comme ses capacités d’influer sur le cours des événements extérieurs, y compris celles qui touchent directement ses intérêts vitaux, sont actuellement limitées, la meilleure stratégie est de reprendre en main la maîtrise de la situation intérieure du pays, en faisant preuve d’audace, quitte même à compliquer encore plus, dans le court terme, sa position internationale.
Une légitimité affaiblie n’est pas une justification de la passivité des décideurs
L’avantage de cette stratégie est qu’elle ressortit exclusivement du domaine de décision indiscutable, puisque les dirigeants agissent dans le strict cadre du pouvoir dont ils disposent à l’intérieur du pays, et que ce pouvoir n’est limité que par leur courage politique et leur capacité de trouver des solutions aux maux internes du pays.
Or, on constate avec consternation qu’à l’exception de l’activisme judiciaire, qui ne saurait ni être discuté, ni être délégitimé de quelque manière que ce soit, les autorités actuelles font preuve, si ce n’est de passivité, mais du moins d’extrême caution dans leur approche.
Il faut reconnaître que leur légitimité est loin d’être assurée, et les résultats du référendum du 1er Novembre 2020 sont loin d’en donner la preuve. Cependant, à faire preuve d’un excès de prudence dans la prise de décisions urgente ne va pas contribuer à combler ce dangereux déficit de légitimité qui restreint la capacité décisionnelle même dans un système où la classique indépendance des pouvoir est loin d’être assurée, permettant à ces autorités de prendre unilatéralement toutes les décisions qu’ils jugeraient indispensables pour redresser la situation économique et financière du pays, qui a pour conséquence directe une situation sociale de plus en plus intenable. La marge de manœuvre intérieure des autorités n’est limitée ni par la nécessité de passer par des instances délibératives puissantes, ni par l’obligation de négocier avec des institutions de la société civile, particulièrement revendicatrices et influentes. Ce mode de gestion passive de la crise ne peut que la rendre encore plus difficile, si ce n’est impossible à surmonter.
S’attaquer avec détermination aux causes premières de la crise
Certes, dans le contexte actuel, tout remède ne peut qu’accentuer les peines du peuple algérien, et il ne faut se faire aucune illusion à ce sujet : il n’y a pas de voie de sortie sans peine de cette crise multidimensionnelle.
Des intérêts bien assis seront touchés, qu’ils soient internes ou extérieurs. Les oppositions idéologiques s’exacerberont et ceux qui ne veulent aucun bien à l’Algérie, qu’ils soient mus par des convictions sincères, mais divergentes, sur le chemin à suivre pour sortir notre pays du précipice où l’a jeté Abdelaziz Bouteflika, ou qu’ils soient des mercenaires clandestins au service des intérêts de puissances étrangères, monteront au front pour saboter toute tentative raisonnable et rationnelle de la part des autorités en place, et les «médias privés et libres» nationaux ou étrangers ne manqueront pas de se faire les échos de leurs critiques. Mais qu’importe ! Le mouvement vaut mieux que la passivité et l’attaque est la meilleure des défenses.
Parmi les problèmes les plus urgents à aborder est la mainmise étrangère sur le système économique et financier algérien. L’Algérie s’est engagée, sous la houlette incompétente de l’ex-Président non encore déchu, dans une politique d’ouverture qui est l’une des causes de la situation économique et financière, comme budgétaire, catastrophique du pays.
Ne pas hésiter à abandonner l’Accord d’association avec l’Europe et le GATS
L’Accord d’association avec l’Union européenne tout comme l’adhésion clandestine à l’Accord international sur la libéralisation des activités de service (GATS) : banques, assurances, fret, consulting, télécommunications ont permis à des sociétés étrangères de s’installer en Algérie et d’en tirer des bénéfices immenses en devises et payés sur les réserves de changes provenant quasi exclusivement de la rente pétrolière, alors que l’Algérie n’a aucune projection internationale dans tous ces domaines, et est loin de disposer des capacités financières ou techniques lui permettant de s’assurer une présence internationale dans ces secteurs équivalente à la présence des sociétés internationales activant dans ces domaines à l’intérieur du territoire de notre pays.
Une classe d’entrepreneurs prédatrice et antinationale à neutraliser
La libéralisation des importations a tué une partie de notre industrie et nos entrepreneurs ont profité de cette libéralisation, non pour renforcer la capacité de production industrielle nationale, ni pour se lancer dans l’exportation de biens et services, mais pour transférer, de manière plus ou moins illicite, leurs gains mal acquis vers des pays tiers qui tirent déjà de manière unilatérale profit de cette libéralisation. L’Algérie n’a bénéficié d’aucun des effets positifs de cette ouverture à tout vent, ni maîtrise de technologies nouvelles, ni investissements productifs directs, ni même création d’emplois dans des secteurs traditionnels ou de pointe, et en a subi tous les désavantages, un saignement financier qui rapproche dangereusement le pays de la cessation de payement, et un saignement humain facilité par l’intégration du système universitaire algérien dans l’espace européen.
Au secours, nos prédateurs veulent nous aider !
Croire en la générosité des partenaires internationaux pour surmonter cette crise et laisser la situation se détériorer jusqu’à la perte de son contrôle sont des voies dangereuses qui ne peuvent qu’aboutir à la détérioration de la position diplomatique algérienne. Faire confiance aux paroles mielleuses qui promettent d’aider le pays à naviguer dans les eaux de cet océan en furie qu’est la crise est une marque de naïveté périlleuse. Les requins sont attirés par le sang de la victime qui saigne et sont prêts à la déchirer tout en versant sur elle des «larmes de crocodile» et en se réclamant de principes universels destinés à lénifier leur victime et à lui faire accepter son sacrifice comme un tribut à leur propre «humanité».
En conclusion
L’effondrement diplomatique de l’Algérie est évident et les récents événements dans sa proche région sont la toute dernière preuve de cet effondrement, dû au lourd héritage de mal gouvernance laissé par Abdelaziz Bouteflika, après deux décennies de règne sans partage.
Les autorités actuelles souffrent d’un déficit de légitimité prouvé encore une fois par les résultats du référendum du 1er novembre.
Ce déficit ne doit pas être un prétexte, ni une justification pour leur passivité dans l’affrontement des problèmes sérieux que connaît intérieurement le pays, et qui ne sont pas sans conséquence sur la position internationale du pays et la montée des dangers extérieurs et de l’agressivité de certaines puissances étrangères régionales ou autre.
Il est indispensable que ces autorités, qui ont tous les moyens de prendre les décisions qui s’imposent et de les mettre en œuvre, s’attaquent aux causes immédiates de la crise interne, sans attendre la stabilisation de la situation institutionnelle, obérée par l’absence de leadership au sommet.
Parmi ces causes visibles est la politique brutale d’ouverture économique unilatérale et dont l’Algérie n’a tiré aucun des bénéfices projetés.
Parmi les mesures, la plus urgente est la dénonciation de l’Accord d’association avec l’Union européenne et la sortie de l’accord sur la libéralisation des activités de services, qui s’est effectuée clandestinement en violation du principe de réciprocité.
L’Algérie, dans cette conjoncture, ne peut compter que sur elle-même et non sur la bonne volonté ou les bons sentiments des puissances extérieures, qui ne seront bien disposées à son égard que si elle leur abandonne une partie de sa souveraineté nationale et sans contrepartie positive autre que de gentils mots.
Toute offre d’aide, d’où qu’elle vienne, si généreuse puisse-t-elle paraître, ne se fera qu’en contrepartie de concessions qui rendront l’Algérie encore plus soumise aux intérêts politiques, économiques et financiers internationaux.
L’Algérie ne doit pas redevenir le feuilleton qui offre de nouvelles épisodes aux médias internationaux dans leurs journaux du soir.
Il vaut mieux maîtriser la crise en l’affrontant avec audace, même si elle s’accentue momentanément, que de la laisser échapper à son contrôle et tomber dans le piège des soi-disant «organisations internationales» qui sont au service exclusif de cette fameuse «communauté internationale» club fermé dont l’Algérie ne fait pas, hélas, partie.
M. B.
(*) Ancien ministre de l’Economie, professeur des universités
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