Menace, chantage et mensonge : les trois seules «valeurs» du Makhzen
Contribution de Sabri Oukaci – Le 2 mars 2021, la CJUE doit se pencher sur le recours en annulation de l’accord de libre-échange UE/Maroc que le Front Polisario a introduit le 27 avril 2019 car il incluait les territoires occupés du Sahara Occidental, en violation flagrante et en contradiction avec le droit international et européen !
Le Front Polisario reproche également au Conseil européen un manquement à l’obligation d’examen de la question du respect des droits fondamentaux et du droit humanitaire international, lors de l’adoption de l’accord de libre-échange UE/Maroc, «le Conseil ne se serait pas interrogé sur la question du respect des droits de l’Homme en territoire sahraoui occupé».
Ces légitimes et très sérieuses accusations dérangent tant le Makhzen qu’elles ont contraint, les 24 et 25 février 2021, le ministre des Affaires étrangères du royaume, Nasser Bourita, à aller prier l’Union européenne de reconsidérer sa position sur le Sahara Occidental, suivi le lendemain par Omar Hilal, le représentant du Maroc à l’ONU, qui a exposé un piètre et grossier rapport dans le but de tenter de convaincre son secrétaire général, Antonio Gutteres, et les membre du Conseil de sécurité qu’Alger serait responsable de tous les maux que vit le Maroc, détournant l’attention sur les conditions de vie des Sahraouis dans la ville algérienne de Tindouf.
Mais comme l’a si bien rappelé le journaliste Nicolas Niarcho le 10 février 2021 sur le New Yorker, si les Sahraouis se sentaient bien au Maroc, pourquoi la plupart des cent soixante-dix mille d’entre eux se sont-ils réfugiés en Algérie et «ne veulent pas retourner sur les terres dont le Maroc s’est emparées» ? avant de répondre sans détour : «Ils craignent la police secrète du royaume !»
Il faut dire que les rapports sur les violations des droits de l’Homme dans les territoires occupés du Sahara Occidental par le Maroc sont nombreux, constatés, vérifiés et documentés.
Le 2 février 2021, un groupe de travail de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies a récemment adopté un avis sur l’arrestation, les actes de torture et la détention arbitraire dans la ville de Smara du journaliste sahraoui et défenseur des droits de l’Homme qui milite en faveur du droit à l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental, Walid El-Batal.
Le groupe de travail a considéré que «l’arrestation et la détention d’El-Batal semblent être liées à l’expression d’une opinion politique sur la situation du Sahara Occidental et à l’exercice de sa profession de journaliste, en violation de la protection dont il bénéficie en vertu de l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et de l’article 19 du Pacte qui garantissent le droit à la liberté d’expression», avant de conclure que «l’arrestation et la détention d’ El-Batal découlent de l’expression de l’une de ces libertés fondamentales et sont donc arbitraires» !
Un constat qui fait suite à la correspondance envoyée par l’ambassadeur et représentant permanent de l’Afrique du Sud au secrétaire général de l’ONU, le 29 décembre 2020, concernant les décisions de la quatorzième session extraordinaire de la Conférence de l’Union africaine, sur le thème «Faire taire les armes», dont une décision sur la question du Sahara Occidental.
A la fin de l’année 2020, et après plusieurs décennies de statu quo et d’hésitation, l’Union africaine, sous la présidence de l’Afrique du Sud, a voulu récupérer le dossier du Sahara Occidental qui relève jusqu’ici de la responsabilité exclusive des Nations unies.
En plus de ces nouvelles sources d’embarras, il faut noter que la monarchie moyenâgeuse marocaine a lamentablement échoué à placer un représentant parmi les huit commissaires élus par le Conseil exécutif de l’Union africaine (UA). En effet, Mohammed VI espérait voir le candidat marocain Hassan Abouyoub remplacer l’Algérien Smaïl Chergui au poste de commissaire à la Paix et à la Sécurité. Espoir vain !
Les pays africains ont préféré élire le Nigérian Bankole Adeoye à la tête de l’organe décisionnel de l’UA, chargé de la gestion et de la résolution des conflits. Le Nigeria, cet autre poids lourd africain, qui a, depuis 1984, reconnu l’indépendance du Sahara Occidental et rejeté la colonisation des territoires de la RASD par le Maroc.
C’est dire que le Makhzen est mis sous pression avant l’échéance européenne de début mars, et après les graves révélations de diplomates espagnols se demandent si Rabat ne laissait pas des milliers de clandestins partir depuis la ville de Dakhla au sud du Sahara Occidental pour atteindre les côtes espagnoles des îles Canaries pour ainsi faire pression sur Madrid afin qu’elle reconnaisse son offre d’autonomie et une éventuelle souveraineté sur le Sahara Occidental.
Frontex, l’agence européenne pour le contrôle des frontières et le ministère de l’Intérieur epagnol indiquaient que Dakhla représentait le point de départ de 68% des candidats à l’exil à la fin du mois de décembre 2020 et que le flux avait augmenté de plus de 750% !
Comment le royaume chérifien peut-il expliquer que ce territoire désertique de 266 000 kilomètres carrés, dont les deux tiers sont contrôlés par l’armée marocaine, la gendarmerie royale, la police et les forces auxiliaires, puisse constituer une rampe de départ à l’émigration clandestine ? Et que comprendre de cette étrange demande que Rabat fait à l’Espagne et à l’Union européenne, les priant de lui reconnaître une autorité sur le Sahara Occidental et qui confirme de facto que le Maroc se sait non souverain au Sahara Occidental ?
Le royaume avait réintégré l’UA en 2017 avec pour un objectif clair d’«expulser la République arabe sahraouie démocratique [RASD ] des organes de l’organisation», mais cela n’est resté que promesse en l’air.
Depuis, Rabat a décidé de discrètement acheter l’appui de certains pays à travers une aide financière individuelle afin qu’ils reconnaissent la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental, contournant ainsi les institutions africaines et internationales.
Conséquence, le Maroc se retrouve depuis le 25 février 2020 placé sous surveillance par le Groupe d’action financière (Gafi) pour ses manquements dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme !
Menaces, chantage et mensonges, voilà les seules valeurs que le Makhzen a imposées à la politique du royaume du Maroc, à l’opposé des valeurs du peuple marocain. Jusqu’à quand ?
S. O.
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