Quand les Frères musulmans s’ingèrent dans les élections algériennes du 12 juin
Par Mohamed K. – Leur avancée se confirme. Le prochain Parlement sera majoritairement islamiste, à la faveur d’une loi électorale qui ouvre la voie toute grande à cette mouvance pratiquement seule en lice pour occuper une position confortable à l’hémicycle de Zighout-Youcef. Le président de la République s’est même presque félicité de cet état de fait, en vantant, dans son interview au magazine français Le Point, les «réussites» qui auraient été réalisées dans des pays comme la Turquie et la Tunisie où l’AKP d’Erdogan et Ennahdha de Ghannouchi sont au pouvoir.
Cette tendance à l’islamisation de l’APN et du gouvernement se confirme à travers un dossier spécial concocté par le média des Frères musulmans fondé et dirigé par le théoricien de cette organisation, Azmi Bishara. La Une de l’édition d’Al-Araby de ce samedi est barrée par un titre en guise d’avertissement aux partisans du boycott, illustrée, par ailleurs, avec la photo d’une Algérienne – évidemment – en hidjab. «Des courants du Hirak s’accrochent au choix du boycott des élections législatives du 12 juin prochain, alors que d’aucuns estiment que cela fait perdre une occasion de poids pour réaliser le changement», écrit le journal arabophone dans son exergue.
Un vote massif arrangerait donc les islamistes, selon le point de vue de l’ancien député arabe israélien financé par le Qatar où il a été nommé en 2013 comme conseiller politique et médiatique de l’émir Tamim Ben Hamad, alors prince héritier. Cet intellectuel organique palestinien, ancien membre de la Knesset, a pris la nationalité qatarie en 2007 et est devenu, dès lors, omniprésent sur les plateaux d’Al-Jazeera où il s’est fait le porte-voix du «printemps arabe».
En octobre 2020, Al-Araby s’est joint subrepticement à la meute du «qui tue qui» dans un article insidieux consacré au discours prononcé par le président Abdelmadjid Tebboune au siège du ministère de la Défense nationale. Faisant parler un «politologue algérien», le correspondant du journal à capitaux qataris à Alger glissait, dans un article fleuve, l’affirmation suivante : «La confiance du peuple en l’institution militaire est d’autant plus forte que l’armée s’est débarrassée de ses officiers dont les mains sont maculées du sang des innocents durant la décennie noire.»
La révélation récente de la teneur de nombreux courriers électroniques entre l’ancienne secrétaire d’Etat de Barak Obama et la secte des Frères musulmans aux bras tentaculaires au Moyen-Orient et au Maghreb fait état d’un échange dans lequel Hillary Clinton et ses interlocuteurs convergeaient vers la nécessité de créer un nouvel organe médiatique pour appuyer les soulèvements arabes et soutenir le renversement des régimes en place en Syrie, en Egypte, en Tunisie et ailleurs.
Al-Araby s’inscrit donc en droite ligne avec cette logique subversive et persévère sur la voie que lui ont tracée ceux qui ont présidé à sa création. Pour redorer son blason, l’émir du Qatar, Tamim Ben Hamad, qui venait de prendre le pouvoir à Doha, sur proposition de l’ex-Premier ministre Hamad Ben Jassem, qui voulait, lui aussi, faire son retour, avait lancé une nouvelle chaîne d’information en continu et un journal éponyme qui devait reprendre la propagande qui a fondé Al-Jazeera sous une autre forme plus subtile. C’est ainsi qu’il a confié la direction du projet à son conseiller attitré, Azmi Bishara.
Présenté comme un partisan de la «force douce», voire comme un anti-islamiste, Bishara était, au contraire, un des maîtres à penser de la communication officielle du Qatar, au temps déjà de Khalifa Ben Hamad Al-Thani, et c’est lui qui, en intellectuel organique, assurait la meilleure promotion du «printemps arabe» à travers ses chroniques à connotation académique. La présence, comme responsable de la rédaction de cette nouvelle chaîne à son démarrage, de l’ancien directeur d’Al-Jazeera, Wadhah Khanfar, connu pour ses accointances avec le mouvement des Frères musulmans – et aussi de la CIA – achevait de confirmer le retour, en douceur, à la ligne radicale qui a toujours caractérisé Al-Jazeera.
D’un point de vue stratégique, le lancement d’un tel projet devait permettre aux dirigeants qataris d’atténuer, un tant soit peu, l’ardeur des autres monarchies du Golfe qui avaient accentué leurs pressions sur Doha pour l’amener à se défaire de ses alliances avec la mouvance des Frères musulmans et, en même temps, de garder intacte leur influence idéologique sur le public acquis à la doctrine salafiste et de repartir à la reconquête de l’opinion arabe.
S’exprimant dans son propre journal, sous forme d’interview, le mentor de Moncef Marzouki a prodigué, en février dernier, trois conseils aux Tunisiens, en continuant de décrire la Tunisie comme un «exemple de réussite en matière d’alternance au pouvoir et d’élections», occultant sciemment la situation économique et sociale désastreuse dans laquelle se trouve ce pays voisin. Le conseiller des Al-Thani, qui s’ingérait ainsi dans les affaires internes de la Tunisie, avait décrété que «la période de transition en Tunisie est finie» et que «nous sommes face à un système démocratique en danger», estimant que la crise tunisienne est la conséquence de la «non-application de la Constitution» et l’«absence d’une loi électorale» car «les textes en vigueur ont été promulgués spécialement pour l’élection du Conseil national et non pas pour le Parlement».
Azmi Bishara semble donc connaître parfaitement le système politique tunisien au point de laisser entendre qu’il en serait presque l’initiateur. Ce qui n’est pas impossible, commentent des sources informées. Si bien, d’ailleurs, que le directeur de la chaîne Al-Araby TV, succédanée d’Al-Jazeera, estimait que la Loi fondamentale tunisienne «est parmi les meilleures au monde», au point donc de vouloir l’exporter en Algérie en suggérant aux Algériens de suivre l’exemple des Tunisiens au profit desquels l’architecte du chaos a formulé trois solutions «miracles», consistant en un accord «urgent» pour la mise en place d’un gouvernement constitutionnel, un changement de la loi électorale et un «comportement responsable (sic) de la présidence de la République de sorte qu’elle ne soit pas partie prenante dans les attaques contre le gouvernement et le Parlement».
Le président Tebboune est averti.
M. K.
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