Pourquoi Hammouchi espionne son roi et pourquoi Paris protège Hammouchi
Par Karim B. – L’explication à cette énigme nous est fournie par Le Canard Enchaîné qui s’est intéressé de près à la personnalité du patron de la sécurité intérieure marocaine. Le journal satirique français a fait parler quatre spécialistes français et espagnols qui connaissent les arcanes du Makhzen comme leur poche. Pourquoi Abdellatif Hammouchi espionne-t-il son propre roi ? «C’est dans le but de protéger la monarchie», répond Ignacio Cembrero, qui a travaillé comme correspondant au Maghreb l’essentiel de sa carrière.
Le journaliste espagnol explique que «Mohammed VI est devenu trop proche de trois boxeurs allemands d’origine marocaine, qui affichent leur proximité avec lui sur les réseaux sociaux, leur opulence, leur arrogance» et que «cela choque profondément les élites du pays». «Hammouchi est inquiet de cette dérive», poursuit-il, sans aller plus loin dans son postulat. L’inversion du roi du Maroc est un secret de Polichinelle et son comportement lors de ses nombreux déplacements à l’étranger donnent des sueurs froides à la cour et au gouvernement où l’on craint que des images compromettantes du «commandeur des croyants» circulent sur les réseaux sociaux. Aussi écouter le souverain et épier ses moindres mouvements relèvent-ils de l’affaire d’Etat. Tout le monde sait, mais personne ne doit voir. La philosophie du Makhzen se résume à cela.
Pour pouvoir percer les secrets d’alcôve, Abdellatif Hammouchi est suffisamment râblé pour oser regarder par le trou de la serrure de la chambre du roi. «Jamais dans l’histoire du Maroc un flic n’a disposé d’un tel pouvoir. Hammouchi a une double casquette, sécurité intérieure et services secrets. Personne du temps du roi Hassan II n’était aussi puissant. Il est dans les murs depuis trente ans, discret, efficace, intouchable», confie un diplomate français au Canard Enchaîné. Jean-Pierre Tuquoi, auteur du Dernier roi, crépuscule d’une dynastie, confirme : «ll [Abdellatif Hammouchi, ndlr] n’a pas fait ses études au Collège royal, comme la quasi-totalité des proches du roi, il est donc une sorte d’intrus et profite évidemment du fait que, dans le fond, Mohammed VI n’est pas intéressé par le pouvoir, mais par la fête et la bamboche.»
Mais pourquoi tant de prévenance de la part de Paris ? demande Le canard Enchaîné. «L’homme est une source unique de renseignements sur le djihadisme», répondent ses sources. «Juste après les attentats de Casablanca en 2003, Hammouchi a eu l’intuition qu’il s’agissait là d’un sujet central. Il s’est investi à fond dans l’étude des mouvances radicales. Sa connaissance du sujet en fait un interlocuteur très soutenu en France […]», explique Vinent Hugeux, auteur de Tyrans d’Afrique. Antoine Glaser, fondateur de La Lettre du continent le rejoint : «La France a trop besoin de ses lumières et de son soutien pour l’opération Barkhane pour faire contrepoids aux Algériens qui jouent double jeu dans le nord du Mali. Les services de Hammouchi surveillent, en plus, les imams marocains qui forment les imams français et c’est un allié contre les Turcs, qui obsèdent Macron.»
Faut-il déduire que contrairement à ce qu’on veut faire croire à Paris, c’est Mohammed VI qui était espionné pour le compte d’Emmanuel Macron et non l’inverse ? Un ancien officier de la DGSE, le service du renseignement extérieur français, esquisse une réponse : «Les pudeurs de chaisière des officiels français qui s’en vont répéter que si les faits sont avérés, tout cela est d’une extrême gravité, font sourire.»
K. B.
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