La France en déclin prépare-t-elle une guerre de reconquête de l’Algérie ? (II)
Une contribution de Khider Mesloub – Une chose est sûre : l’Etat français est dominé par une logique de guerre. L’interventionnisme militaire constitue désormais l’occupation essentielle de l’Etat impérialiste français. Pour preuve, ces dernières années, par son activisme militaire, la France a acquis le statut de pays occidental le plus interventionniste, déclassant les Etats-Unis. A cet égard, il convient de corréler cette bellicosité de la politique extérieure française (illustrée récemment par les propos diplomatiquement attentatoires et vexatoires à l’égard du gouvernement algérien) à la crise systémique du capitalisme occidental induite, entre autres, par l’émergence de l’Asie comme nouveau pôle de l’économie mondiale, appelé bientôt à représenter 62% du Produit intérieur brut mondial. Force est de relever que l’intensification de l’engagement militaire de la France intervient dans ce contexte d’accroissement de l’hégémonie de la Chine à l’étranger, notamment en Afrique et en Asie.
Cette prépondérance géostratégique chinoise s’est illustrée par l’installation de sa première base militaire à Djibouti et par l’investissement dans le développement, la gestion ou l’acquisition de ports stratégiquement positionnés. A cet égard, il est utile de souligner qu’un exercice naval français portant le nom de code «La Pérouse», auquel avaient participé des navires de guerre indiens, japonais et australiens, eut lieu le mois d’avril dernier dans la zone indo-pacifique, dans le golfe du Bengale. Sans conteste, ces exercices militaires avaient pour dessein d’envoyer un message à la Chine dont les ambitions navales inquiètent ses voisins et leurs alliés, notamment les pays impérialistes occidentaux «immergents», autrement dit pays en pleine submersion économique, noyade civilisationnelle.
La France en déclin économique renoue avec ses vieux démons militaristes
Nul doute, la politique agressive interventionniste française vise à compenser sa faiblesse économique, sa marginalisation militaire. En proie à une très forte désindustrialisation (en 30 ans, 2,5 millions d’emplois industriels ont été détruits), au décrochage économique, au déclassement social de ses populations actives en voie de paupérisation et de prolétarisation, la France est réduite à s’octroyer par la force armée les moyens de ses ambitions d’hégémonie mondiale. Tout se passe comme si les engagements militaires de la France constituent l’ultime programme politique pour préserver ses positions géostratégiques, son rang de puissance mondiale désormais en déclin.
Aujourd’hui, la France se prépare-t-elle à de nouvelles guerres de conquêtes pour suppléer son déclassement économique, juguler sa déliquescence politique et culturelle, dévoyer le mécontentement social de sa population ordinairement frondeuse ? A lire les déclarations des hauts gradés militaires français, tout indique que la France fourbit ses armes pour des interventions impérialistes de grande ampleur, dans le dessein de rétablir sa puissance déclinante.
Comme l’a déclaré le chef des armées françaises, Thierry Burkhard, au journal The Economist, la France mobilise son armée en vue «de conflits de haute intensité». «L’armée de terre doit changer d’échelle et se préparer à des conflits plus durs.» Autrement dit, des conflits d’Etat à Etat. Son confrère, le général Vincent Desportes, dans une interview accordée au journal numérique Atlantico, confirme ces orientations militaristes : «Je crois qu’aujourd’hui il serait déraisonnable de ne pas imaginer une guerre beaucoup plus vaste et beaucoup plus violente, engageant beaucoup plus de moyens que les conflits que nous conduisons depuis la fin de la Guerre froide.» (…). «Les guerres de demain ne seront pas les guerres du terrorisme, c’est une parenthèse qui va se refermer et les guerres de demain seront probablement des guerres interétatiques qui pourront être extrêmement violentes, même si probablement pas très longues ; il faut donc que l’armée française s’y prépare.» (…). «Il faut que l’armée française retrouve des capacités d’engagement beaucoup plus massives. Aujourd’hui, l’armée française serait incapable d’engager une division – pas un corps d’armée – capable de manœuvrer, et c’est pour ça que cet exercice (Orion) vise à redonner à l’armée française l’habitude à engager et commander des moyens sur de vastes espaces et des durées longues.»
Des exercices de combat de grande ampleur sont déjà à l’œuvre, notamment au travers de l’opération Orion visant à préparer l’hypothèse d’un engagement majeur (HEM), selon la terminologie polémologique française. L’exercice Orion se caractérise par le déploiement de toutes les capacités militaires françaises à une échelle inégalée depuis des décennies. L’opération compte mobiliser plusieurs milliers de soldats. Outre les troupes au sol, l’armée de l’air et la marine participeront également aux exercices de combat. Actuellement, la France dispose de 5 100 soldats au Sahel dans le cadre de l’opération Berkhane. Or, pour assurer le succès des futures opérations militaires, la France compte augmenter ses forces armées pour atteindre 25 000 soldats.
Si, au cours des dernières décennies, pour justifier ses interventions militaires, la France invoquait le prétexte de la lutte contre le terrorisme, désormais, avec l’épuisement de cet alibi devenu inopérant à force d’instrumentalisation outrancière, d’autres mobiles seront allégués pour légitimer ses guerres de conquêtes.
La lutte contre les flux migratoires alibi des interventions impérialistes
Tout semble indiquer que la lutte contre les flux migratoires en partance de l’Algérie constituerait le futur paravent à une intervention militaire en Algérie, comme nous l’avons analysé dans notre texte consacré aux velléités interventionnistes de l’impérialisme français en Algérie. A cet égard, il convient de relever que les dernières déclarations belliqueuses de Macron visant à délégitimer les autorités algériennes qualifiées de «système politico-militaire», mais, plus gravement, à dénier l’existence de la nation algérienne – le chef de l’Etat français a affirmé «la construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder». «Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question.» Traduction : l’Algérie est une création de la France, l’œuvre de la France, donc l’Algérie reviendrait à ses fondateurs, ses légitimes propriétaires –, s’inscrivent dans cette entreprise de «diabolisation» et de marginalisation de l’Algérie. Pis, comme cela s’était produit avec l’Irak et la Libye, à isoler diplomatiquement l’Algérie. A discréditer le pouvoir. A l’acculer vers une forme de radicalisation «politique et diplomatique» afin de pouvoir le désigner comme «Etat voyou» dans le dessein de justifier une intervention militaire (depuis le Maroc comme base arrière, épaulée par l’entité sioniste, désormais son fidèle parrain).
Au reste, c’est du Maroc que le ministre des Affaires étrangères d’Israël, en visite officielle début août 2021, avait, de manière provocatrice, lancé des attaques à peine voilées en accusant l’Algérie de «déstabiliser la région», lui reprochant également son «rapprochement (supposée) avec l’Iran» (manière machiavélique de postuler l’existence d’un Axe du mal formé par une alliance Algérie-Iran, induisant une riposte de la «communauté internationale» pour enrayer ce danger désormais surgi d’Afrique du Nord).
Stratégie de diabolisation de l’Algérie pour l’isoler et l’envahir ?
De toute évidence, il est manifeste que l’Etat impérialiste français, par ses agissements agressifs et déclarations provocatrices, vise à pousser l’Algérie à l’erreur. Le même scénario irakien et libyen (avec en ligne de mire Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi propulsés soudainement comme des ennemis à abattre, après avoir été, longtemps, intronisés comme des alliés) semble se rejouer contre l’Algérie, avec dans le rôle du méchant le «système politico-militaire» (l’Etat algérien), accusé de nuire aux intérêts de sa population «dramatiquement paupérisée par ses dirigeants» (sic) – au point d’être acculée à l’émigration, source d’inquiétude pour la France, principal pays destinataire des harragas –, comme à ses pays voisins, notamment le Maroc, campé dans le rôle de victime à protéger, donc à défendre, y compris au prix d’une intervention militaire contre son «agresseur», supposément l’Algérie.
Sans attendre pour ces préparatifs de guerre, l’Etat français a constitué plusieurs groupes d’experts afin d’étudier toutes les éventualités. Notamment la question de l’acceptabilité par les citoyens d’un nombre élevé de morts, jamais égalé depuis la Seconde Guerre mondiale. A cet égard, les pays ciblés par cette «guerre de haute intensité» ne sont pas nommément désignés. Cependant, tous les experts s’accordent pour citer, outre la Russie, la Turquie, un pays d’Afrique du Nord (serait-ce l’Algérie ? : intervention militaire française épaulée par le Maroc, aidée en arrière par Israël, nouvel allié du Makhzen).
Un auteur a écrit à juste titre : «La guerre ? Un constant d’échec.» En tout cas, c’est le constat d’échec qu’on pourrait établir de la France, réduite à guerroyer sur les champs de guerre extérieure pour maintenir son rang au prix de la destruction de pays au lieu d’œuvrer sur les chantiers de son économie intérieure pour bâtir son pays.
Curieusement, d’aucuns vantent le pacifisme de Macron. Or, sous sa présidence, les dépenses militaires auront augmenté de 46%, passant de 32 milliards en 2017 à plus de 50 milliards d’euros à l’issue de son mandat. Bien éloigné du prétendu renouvellement démocratique claironné par Macron, ce dernier a imprimé une dimension militariste à son régime, par l’augmentation exponentielle du budget de l’armée (confirmant la préservation de la centralité du complexe militaro-industriel, fleuron de l’impérialisme français) et le durcissement autoritaire du pouvoir, matérialisé par la militarisation de la société, inaugurée par la répression sanglante du mouvement des Gilets jaunes, parachevée par la dictature sanitaro-sécuritaire instaurée à la faveur de l’apparition de la pandémie du Covid-19, exacerbée par ses déclarations belliqueuses à l’égard de l’Algérie.
Depuis plus d’un siècle, pour résoudre ses contradictions internes, matérialisées notamment par la crise de valorisation du capital, le capitalisme recourt à la guerre généralisée destructrice. En effet, le capitalisme, depuis le début du XXe siècle, fonctionne essentiellement sur le triptyque crise-guerre-reconstruction.
Aujourd’hui, dans cette phase de crise multidimensionnelle, l’ère de la guerre totale est ouverte. Celle de la conflagration généralisée imminente.
A la veille de la Seconde Guerre mondiale, Hitler avait déclaré, en guise de justification de l’entrée en guerre de l’Allemagne étranglée par le blocus économique imposé par les «Alliés», assoiffée d’espace vital lucratif : «L’Allemagne doit exporter ou périr.» La France, en proie au décrochage économique, qui n’a rien à exporter, sinon sa technologie meurtrière et sa propension atavique interventionniste, semble renouer avec cet agenda militariste séculaire : «La France doit conquérir ou périr.»
K. M.
(Suite et fin)
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