Le leader de l’Union internationale des syndicats se confie à Algeriepatriotique

Quim Boix
Quim Boix. D. R.

Quim Boix est secrétaire général de l’Union internationale de syndicats (UIS) des pensionnés et retraités de la FSM (Fédération syndicale mondiale) et responsable de la FSM dans l’Etat espagnol, excepté le pays basque. Il a bien voulu répondre aux questions d’Algeriepatriotique. Interview.

Algeriepatriotique : Quel est le but de votre organisation ? Comment fonctionne-t-elle, autrement dit, comment est concrétisée la participation démocratique des adhérents  ?

Quim Boix : Notre organisation, l’Union internationale de syndicats (UIS) des pensionnés et retraités, est née par décision du 16e congrès de la FSM (Fédération syndicale mondiale), tenu à Athènes, en Grèce, en avril 2011. Notre premier congrès comme UIS a eu lieu à Barcelone, en Espagne, en février 2014, avec la participation de plus de 130 délégués de 39 pays des cinq continents. Nous sommes déjà en train de préparer notre deuxième congrès pour le premier semestre de 2019.

Le but de notre UIS est la défense des droits des pensionnés et retraités dans tous les pays du monde, pour assurer que toutes les personnes puissent passer de travailleurs actifs à retraités en recevant une pension mensuelle suffisante pour avoir une vie digne. Vie digne, pour nous, signifie avoir : 1) eau potable à la maison ; 2) aliments sains et suffisants ; 3) un endroit habitable pour loger ; 4) couverture publique et gratuite des besoins de santé, culture et transport de proximité.

Les adhérents à notre UIS sont les syndicats de pensionnés et retraités, avec des positions de classe, des différents pays. Nous acceptons aussi, comme adhérents, les associations de pensionnés et retraités qui ont aussi notre vision, à savoir que le capitalisme est la cause des pénuries vécues par les pensionnés et retraités, car la réalité légale et historique des organisations des pensionnés et retraités dépend de chaque pays.

Toutes les organisations adhérentes à notre UIS ont les mêmes droits, clairement fixés dans nos statuts approuvés au premier congrès (vous pouvez les lire, en français, dans le web : http://www.pensionistas.info/web/fr/node/166). La participation démocratique est assurée, et cela ne peut pas être autrement dans une organisation dirigée par des membres de la classe laborieuse non vendus au capital. Notre force et capacité de lutte (et de victoires) se base sur le travail collectif et l’unité en face des entrepreneurs exploiteurs.

Pour bien exercer cette activité démocratique, nous assurons que tous les membres de notre UIS soient bien informés et puissent participer aux processus de prises de décisions. Nous faisons même des vidéo-conférences pour faciliter la participation de tous aux accords collectifs.

Votre organisation est-elle autonome par rapport à l’Etat et, dans l’affirmative, comment cette autonomie se concrétise ?

Evidemment, sans totale autonomie, vis-à-vis des Etats et des organisations patronales, nous ne pourrions pas arriver à des réussites qui permettent l’amélioration des conditions de vie des pensionnés et retraités.

Premièrement, nous devons lutter pour que le droit à la retraite soit reconnu, comme un des droits fondamentaux, dans toutes les Constitutions de tous les Etats. Ce ne sera pas facile d’arriver à ça, car la plupart, pour l’instant, des pays du monde ont des gouvernements qui imposent le capitalisme, c’est-à-dire qui cherchent à exploiter au maximum la capacité de travail de la majorité de la population. Précisément à cause de ça, ils ne veulent pas que les retraites existent, ou bien ils cherchent qu’elles soient avec des pensions minimes.

La seule façon de lutter, et gagner les batailles, dans cette réalité, est d’être autonome des Etats et de la caste patronale. Comme travailleurs, nous sommes la grande majorité de la population ; nous pouvons donc, avec des petites cotisations individuelles, assurer le fonctionnement d’importantes organisations syndicales, autonomes des pouvoirs capitalistes.

Nos ennemis le savent très bien, et ils font tout pour nous créer des difficultés. Ils ont tué (et continuent à le faire) beaucoup de dirigeants syndicaux, ils ont emprisonné (et continuent à emprisonner) ou à licencier les travailleurs qui font face à l’exploitation capitaliste. Ils essayent de diviser les organisations syndicales en achetant les dirigeants qui se laissent acheter (la surveillance collective du travail de direction est logiquement le seul remède pour faire face à cette corruption).

Quelle est votre fonction et quelles sont vos principales activités ?

Nous travaillons comme organisation mondiale, avec une vision d’ensemble qui tient compte des grandes différences entre pays et continents. C’est pour ça que nous avons structuré nos organisations, continent par continent, et aujourd’hui nous avons, en plus du collectif de direction mondiale, une équipe de direction en Afrique, en Amérique, en Asie-Océanie, en Europe, et pour les pays arabes. Nous sommes en train de préparer notre deuxième congrès mondial, qui se déroulera en Amérique dans le premier semestre de 2019.

Et, surtout, nous sommes en train d’incorporer de nouvelles organisations de retraités de tous les coins du monde, car notre défense des droits des retraités est la même partout, c’est la lutte contre les mesures des dirigeants du capitalisme.

C’est pour ça que cette année 2018, nous allons faire la troisième Journée mondiale et internationaliste de lutte des pensionnés et retraités, le 1er octobre, en renforçant les réussites des deux premières convocations. En plus, cette année, nous avons lancé l’idée d’une Journée de lutte dans chaque continent qui se fera en Europe le 19 mai pour unifier les luttes dans des zones de la planète où la réalité des retraites est semblable.

Quels sont les motifs qui dissuadent les organisations intéressées à adhérer à l’UIS, et comment réussissez-vous à les convaincre de rejoindre l’organisation ? Quel est le taux d’adhésion et comment l’expliquez-vous ?

Nos actuels taux d’adhésion sont encore bas, mais ils augmentent d’année en année.

Le principal motif de ne pas adhérer à notre UIS, c’est notre difficulté à nous faire connaître comme UIS. Depuis des décennies existent différentes UIS (du métal, de la construction, de l’énergie, du textile, de l’enseignement, etc.), mais celle des pensionnés et retraités est la dernière et plus récente de toutes les UIS.

Les conquêtes de la classe laborieuse, surtout dans les ex-pays qui construisaient le socialisme, ont fait augmenter le nombre des pensionnés et retraités, qui arrivent à être de 20% de la population et de 30% des personnes avec le droit au vote. Il faut organiser ces personnes pour assurer la défense de leurs droits.

Pour l’instant, seulement les syndicats de classe ont créé des organisations des pensionnés et retraités avec volonté de lutte internationaliste. Je peux apporter une expérience personnelle : quand j’ai participé à Dakar (Sénégal) à un séminaire avec des dirigeants du pays, Mme Fatima, représentante de la CSI (Confédération syndicale internationale, les «jaunes», les vendus) et aussi de l’OIT (Organisation internationale du travail), a dit publiquement : «En Afrique ne sont pas nécessaires les pensions de retraite, car les personnes âgées ont toujours la solidarité de leur famille.»

C’est bien clair, les syndicats «jaunes», ceux qui disent défendre les travailleurs mais qui fonctionnent grâce aux aides financières du patronat, n’ont pas (pour le moment) une UIS mondiale des pensionnés et retraités. Ils ont seulement une petite organisation européenne qui, pour l’instant, ne fait que des réunions-touristiques de ses dirigeants. C’est normal, en cohérence avec l’affirmation publique de la dirigeante africaine de la CSI que je viens de mentionner.

En conséquence de cette réalité, notre UIS est la seule organisation mondiale des retraités, et comme telle, nous avons obligé le BIT (Bureau international du travail) à nous reconnaître comme organisation mondiale.

Comment concrétisez-vous vos orientations mondiales tout en travaillant syndicalement dans chaque pays ?

C’est aux organisations de chaque pays de décider la façon de concrétiser la lutte dans leur propre réalité. Nous les aidons à le faire en respectant toute leur indépendance dans leurs décisions.

De plus, nous savons que les lois sont différentes d’un pays à l’autre, et que cela donne des façons différentes de s’organiser et de réagir. Par exemple, il y a des pays (l’Espagne, mon pays, en est un) où les retraités ne peuvent légalement créer une organisation syndicale, mais peuvent créer une association non syndicale. Pour nous, en tant qu’UIS, toute organisation, syndicat ou non, avec des critères de classe, est bienvenue si elle décide d’adhérer à notre UIS.

En tenant compte que votre lutte est non seulement mondiale, mais également en Espagne, quelle est la réalité syndicale dans votre pays ?

En Espagne, nous avons une très longue expérience de lutte de la classe laborieuse, dirigée par des anarchistes et/ou des communistes pendant plus de 100 ans.

Sous la dictature fasciste de Franco, nous avons été obligés de nous organiser clandestinement, et cela a duré 40 ans. Les communistes ont été les mieux organisés dans cette étape. Notre lutte contre la dictature n’a pas été une réussite : le dictateur est mort malade dans son lit à plus de 80 ans, et la nouvelle étape politique a été la trahison de plusieurs organisations politiques et syndicales qui ont agi de manière très différente de ce qu’elles avaient promis.

En particulier la CCOO (Commissions ouvrières) s’est converti en un syndicat «jaune» – vendu au patronat – par ses dirigeants (pas de sa base, qui l’abandonne petit à petit). Le syndicat CCOO, qui était dénoncé par la presse bourgeoise comme syndicat communiste, est aujourd’hui appuyé par cette même presse et les médias contrôlés par les capitalistes. Ses dirigeants ont été achetés par les capitalistes. Les deux successeurs de Marcelino Camacho (communiste qui a souffert la prison) ont appuyé les partis politiques bourgeois : le premier, Antonio Gutiérrez Vegara, a fini dans le PSOE (parti social-démocrate qui a imposé les pires lois contre les salariés), le deuxième, José María Fidalgo Velilla, a fini à côté de José María Aznar du PP (le parti plus à droite après les franquistes).

Pour mieux connaître cette triste réalité de transformation de la CCOO de syndicat de classe en syndicat «jaune» lire : http://www.pensionistas.info/web/fr/node/962.

Cette réalité a provoqué des sanctions et expulsions des plus actifs dirigeants de la CCOO à cause de leur défense des positions de classe, en apparaissant trop syndicalistes face aux CCOO. Aujourd’hui, il y a en Espagne onze syndicats affiliés à la FSM qui ne se coordonnent pas comme il faudrait.

Quelle est la réalité des pensionnés et retraités en Espagne ?

Il y a presque 9 millions de pensionnés et retraités, mais la plupart touchent des pensions inférieures au salaire minimum, c’est-à-dire ne peuvent avoir une vie digne.

Nous avons aidé à l’organisation des pensionnés et retraités, en dehors des syndicats «jaunes» vendus (CCOO et UGT). Cela a duré cinq ans, mais maintenant il y a un large mouvement unitaire, avec des positions de classe, qui est capable de faire des grandes actions pour défendre les intérêts des PeR. Voir sur le web de notre UIS un document qui explique cette réalité : http://www.pensionistas.info/web/fr/node/1045.

Quel est le rôle des Fonds de pensions privés et comment votre UIS intervient ?

Dans le monde, les pensions ont initié leur existence comme des pensions publiques. Elles étaient la conséquence des luttes des masses de la classe laborieuse face aux gouvernements et au patronat. Après la grande Révolution d’Octobre des communistes bolcheviques, il y a eu une universalisation de cette conquête dans tous les pays socialistes. Dès lors, le système public des pensions est plus que centenaire.

Dans ce système public, en tenant compte de l’important nombre de retraités, la quantité d’argent gérée par les caisses publiques était énorme, et augmentait chaque année.

Avec les successives crises (structurelles et systémiques) du capitalisme, les dirigeants de la Banque mondiale (BM) et du FMI (Fonds monétaire international) ont planifié une façon de s’approprier cet argent. Ils ont inventé les Fonds privés des pensions qui, selon leurs prévisions, devraient remplacer les Fonds publics. Ils ont acheté l’appui des syndicats «jaunes» en leur offrant une petite partie des gros bénéfices que ces Fonds privés allaient fournir aux grandes entreprises financières privées (surtout des banques).

C’est ainsi que, pendant la dictature fasciste de Pinochet au Chili, les syndicats de la CIOSL (Confédération internationale d’organisations syndicales libres), organisation qui, en 2006, s’est transformée en CSI (Confédération syndicale internationale), a appuyé les mesures prises par le dictateur Pinochet qui a transformé les pensions publiques de son pays en pensions privées. La fausse promesse, appuyée par les syndicats vendus, était que les retraités auraient ainsi une première pension d’un montant du 100% de leur dernier salaire comme travailleurs actifs au lieu des 70% qu’ils avaient à l’époque (années 70 du siècle passé).

Aujourd’hui, le mensonge s’est dévoilé complètement, les travailleurs chiliens qui prennent leur retraite au lieu d’avoir une pension équivalente aux 100% de leur dernier salaire comme travailleurs actifs, touchent seulement 35% de ce salaire, c’est-à-dire la moitié de ce qu’ils touchaient avec le système public aboli par Pinochet avec l’aide des syndicats vendus.

L’argent volé est passé aux bénéfices des banques et une petite partie (mais quand même beaucoup de millions de dollars) aux syndicats de la CIOSL, aujourd’hui CSI.

Les capitalistes ont réussi, dans les pays qui ont suivi l’exemple du Chili de Pinochet, à avoir d’énormes sommes d’argent qui leur ont permis de surmonter en partie leurs crises économiques. Les perdants sont les travailleurs.

Devant toute cette situation, notre UIS intervient en informant les travailleurs de la vérité sur les Fonds privés, en appuyant les luttes des travailleurs chiliens (qui sont sortis, en plus d’un million à chaque action, trois fois dans les rues pour réclamer la restitution des Fonds publics) et beaucoup d’autres dans le monde, et en dénonçant les mensonges dits par les syndicalistes vendus de la CSI.

En plus, nous avons dénoncé ce fait devant l’OIT (Organisation internationale du travail), non pas parce que nous croyons que cette énorme et bureaucratique institution va faire quelque chose (impossible, car elle est gérée par des pro-capitalistes), mais pour l’utiliser comme haut-parleur au niveau de notre dénonciation mondiale.

Finalement, nous travaillons pour bien informer les travailleurs, et nous aidons à qu’ils ne soient pas trompés par les syndicats «jaunes» de la CSI.

Comment expliquez-vous brièvement le rôle actuel des syndicats vendus au capitalisme ?

Il y a une photo qui donne une claire réponse à cette question. Vous pouvez la voir sur le site : http://www.pensionistas.info/web/fr/node/652, avec un texte en français qui l’explique bien. Pour d’autres informations voir le site : http://www.pensionistas.info/web/fr/noticias, en français.

Ce n’est pas un sujet nouveau. Notre ennemi de classe a su toujours travailler pour nous diviser. Et il y a réussi à plusieurs reprises. Mais le syndicalisme de classe va plus loin que les personnes individuelles qui se sont laissées acheter.

Pour concrétiser ma réponse sur la lutte des pensionnés et retraités, je reprends la phrase de Mme Lagarde, présidente du Fonds monétaire international qui gère le capitalisme mondial : «Les retraités ne sont plus exploitables chaque jour, ils ne sont plus productifs, c’est une dépense inutile.» Alors, c’est bien clair, les dirigeants capitalistes préfèrent que nous, les retraités, mourons le plus vite possible et ils aident à ça avec des pensions minimales, des soins médicaux faibles, etc. Le plus douloureux de cette réalité, c’est que les syndicats vendus, les syndicats «jaunes», aident à ça.

Quelles difficultés, internes et externes, rencontrez-vous dans la réalisation des objectifs de votre organisation et quelles solutions adoptez-vous pour les résoudre efficacement ?

Notre actuelle principale difficulté, dans notre travail quotidien, ce sont les difficultés économiques. Nos organisations affiliées ne peuvent pas avoir des ressources économiques suffisantes car les retraités sont les personnes avec des ressources plus limitées. Alors, leurs cotisations sont les plus faibles. Nous avons de sérieuses difficultés pour faire des réunions internationales à cause des coûts des voyages. Nous avons initié le remplacement de ces réunions physiques par des réunions virtuelles en utilisant internet (bien que, à cause de l’âge, les retraités ne sont pas normalement les plus doués dans cet usage).

En plus, quand la réunion physique est nécessaire, nous constatons que notre ennemi de classe pose toutes les barrières qu’il peut, par exemple en ne concédant pas le document visa pour se déplacer d’un pays à l’autre. Nos ennemis ont toujours su comment créer des difficultés à la classe laborieuse.

Propos recueillis par Kaddour Naïmi

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