Les produits agricoles cultivés à Dakhla inondent l’Europe : silence, on pille !
Par Mohsen Abdelmoumen – Les produits agricoles cultivés au Sahara Occidental occupé par le Maroc inondent le marché européen, nous avions déjà évoqué ce fait dans un précédent article où nous avions notamment parlé de la protestation de la COAG, Coordination des organisations d’agriculteurs et d’éleveurs espagnole, première organisation professionnelle agricole nationale, qui se plaint de l’invasion du marché européen par les fruits et légumes en provenance du Sahara Occidental occupé par le Maroc. En effet, le Maroc pratique une concurrence déloyale basée sur des modèles de production à bas coût, reposant sur l’utilisation intensive de produits phytosanitaires extrêmement agressifs pour l’environnement et non autorisés dans l’UE, et des conditions de travail très précaires en termes de salaires, de couverture sociale et de risques. Ainsi, une heure de travail payée par un exploitant agricole espagnol équivaut à une journée de travail d’un ouvrier au Sahara Occidental occupé. Bien sûr, cette différence de coût de production se répercute sur le prix de vente et les agriculteurs espagnols ne peuvent pas rivaliser avec les prix pratiqués par le Maroc. Résultat, en une décennie, le secteur espagnol des fruits et légumes a perdu 43 000 propriétaires agricoles.
Non seulement les producteurs marocains accaparent les terres du Sahara Occidental, font venir de la main-d’œuvre du Maroc pour ancrer davantage la colonisation en territoire occupé, exploitent leurs travailleurs, utilisent des produits phytosanitaires interdits par l’UE et fraudent sur l’étiquetage mais, en plus, ils envahissent le marché européen avec des fruits et légumes gorgés de pesticides, moins chers et étiquetés en «provenance du Maroc», tout en participant à des foires agricoles internationales où leurs produits empoisonnés bénéficient de la renommée des produits européens cultivés selon des normes beaucoup plus strictes. On retrouve bien là toute la perfidie du Makhzen qui pratique un entrisme éhonté pour mieux phagocyter tous les lieux susceptibles de lui être profitables. Toutes les grandes surfaces européennes sont achalandées par les fruits et légumes en provenance du Sahara Occidental occupé. Certains pays européens refusent de se pourvoir en produits issus du territoire sahraoui mais le Maroc a trouvé un stratagème pour écouler sa marchandise en l’envoyant à Agadir, où elle est mélangée avec la production locale et étiquetée «en provenance du Maroc».
Tomate cerise et le goutte à goutte
La production agricole au Sahara Occidental occupé est concentrée dans un périmètre d’environ 70 km autour de la ville de Dakhla. La production sous serre y a attiré plusieurs producteurs-exportateurs en raison des conditions climatiques qui permettent aux fruits de mûrir 2 à 3 semaines avant les cultures situées un peu plus au nord, comme à Agadir, par exemple, ce qui représente une aubaine pour écouler la marchandise avant la concurrence. Les principales cultures de la région sont les tomates (80%) et les melons (20%), les tomates cerises constituant l’essentiel de la production. Depuis 2021, s’est ajoutée la culture de la myrtille. En 2018, les exportations de tomates et melons de Dakhla s’élevaient à 65 000 tonnes/an. Les techniques utilisées pour la culture des tomates dans cette région exigent une grande quantité d’eau, beaucoup plus qu’en Europe. Les plants de tomates sont placés, non pas dans la terre, mais dans des petits récipients remplis d’un substrat composé de divers ingrédients chimiques et irrigués par un système de goutte à goutte qui utilise énormément d’eau. Ces produits chimiques se déversant dans la terre représentent une grave menace pour l’aquifère. Mais au diable l’eau du peuple sahraoui, n’est-ce pas ! Quant au goût des tomates…
Pis, la surexploitation des réserves d’eau souterraines du Sahara Occidental par les propriétaires des grandes plantations agricoles menace les nappes phréatiques qui ne sont pas renouvelables. Par exemple, les propriétaires d’exploitations autour de Dakhla, dont font partie Les Domaines agricoles, société appartenant à la holding du roi Mohammed VI, procèdent au forage de puits sans posséder les permis nécessaires. Ainsi, on apprend que l’Agence hydraulique locale de Dakhla a prévenu que la ville serait confrontée à une grave pénurie d’eau d’ici 2030. Les calculs prédisent que près de 20 millions de mètres cubes d’eau additionnels devront être importés vers Dakhla pour maintenir le niveau actuel de la consommation d’eau. Il apparaît que les propriétaires d’entreprises agricoles exercent de fortes pressions pour empêcher toute réglementation au sujet du pompage des eaux souterraines, car cela les obligerait à cesser leurs activités, ce qui leur ferait perdre des centaines de millions de dirhams. Inutile de préciser que cette «pression» provient du palais royal. Cerise sur le gâteau, pour encourager l’implantation de colons au Sahara Occidental, les exploitations agricoles au Sahara Occidental occupé sont exonérées d’impôts.
Le «roi de la tomate» et les «barons de la tomate»
Quatre grands agro-opérateurs cultivent les plantations de Dakhla : Rosaflor, Soprofel, Azura et Les Domaines agricoles. On appelle leurs propriétaires les «barons de la tomate», dont le principal est bien plus qu’un baron puisqu’il s’agit de Mohamed VI, lui-même, son surnom de «roi de la tomate» n’est donc pas usurpé. Les «barons» sont à la tête de puissants conglomérats marocains et d’entreprises françaises qui vendent leurs produits sous les marques Azura, Idyl, Etoile du Sud. Les Domaines agricoles appartenant au roi du Maroc sont la plus grande entreprise agroalimentaire du Maroc qui est présente dans plusieurs régions. Mais le site de production royal qui nous intéresse est situé à Dakhla et produit des tomates et des melons depuis 1989 sous le label «Les Domaines».
Les fermes sont la propriété de la société de production «Les Domaines agricoles», entreprise créée en 1960 sous le nom «Les Domaines royaux» et l’une des nombreuses filiales du holding royal Siger. Mohammed VI ne cultive pas que la tomate et le melon, il cultive aussi le secret, car beaucoup d’informations concernant cette société sont classées strictement confidentielles et ne sont pas du domaine public. La société Les Domaines a mis en place le «Groupe d’exportation des domaines agricoles» (GEDA), responsable de l’entreposage, du conditionnement et de l’expédition de la production royale dans le monde entier. Ensuite, c’est la société «Domaines Export», créée fin 2014, qui a pris le relais en commercialisant les fruits et légumes des Domaines agricoles. La société française Frulexxo, basée à Perpignan, est le partenaire principal des Domaines. Le chiffre de ventes de Frulexxo se calcule en dizaines de millions d’euros. Frulexxo est dirigée par les hommes d’affaires Marc Granado et Bernard Louchon, deux Français de Perpignan.
La marque Azura est le fruit d’une coopération commerciale entre l’entrepreneur français, aujourd’hui décédé, Jean-Marie Le Gall du Groupe Soproma et un homme d’affaires marocain d’Agadir, Mohamed Tazi du groupe Tazi. Cette collaboration a débuté dans les années 1980, le Français cherchant à fournir au marché français des tomates en hiver, et Tazi avec son associé Pierrick Puech, un pied-noir qui a exporté sa mentalité coloniale d’Algérie au Maroc, cherchant à agrandir leur exploitation agricole basée à Souss-Massa. Après avoir créé Maraissa, une compagnie axée sur la production de tomates à Agadir visant l’exportation en France et ensuite en Europe, Tazi, Le Gall et Puech ont créé une compagnie commerciale en droit français appelée DISMA international-Groupe Azura afin de mieux commercialiser leurs produits et se sont implantés à Dakhla. La production de Dakhla estampillée Azura est transportée vers l’une des quatre stations de conditionnement Azura à Agadir, avant d’être exportée vers l’Europe, sous le label «Production du Maroc» bien sûr.
De la tomate cerise à la palourde européenne
Ce n’est pas tout, nous avons vu dans un précédent article l’engouement des producteurs actifs à Dakhla occupée pour les noms latins. Il se fait que le Groupe Azura Maroc a créé un pôle d’aquaculture dans la baie de Dakhla sous le label Azura Atlantic, spécialisé dans la production intensive d’un autre animal, la Ruditapes decussatus, ou palourde européenne, qui n’en revient pas, elle non plus, d’être un centre d’intérêt pour le marché européen comme ses frères de captivité destinés à finir dans l’estomac des gourmets européens l’Octopus vulgaris (poulpe) et la Crassostrea gigas (huître) dont une Française, Pascale Lorcy, a été une pionnière enthousiaste en s’installant comme ostréicultrice à Dakhla en 2002.
Pour la petite histoire, cette Pascale Lorcy est la fille d’un ex-militaire breton appelé en Algérie en 1956 et ayant commandé une compagnie de 150 hommes chargée du maintien de l’ordre dans les Hauts Plateaux algériens à Tiaret et Aflou. Ce Jean-Marc Lorcy s’est vu remettre début mai 2019 «la médaille commémorative des opérations de sûreté et de maintien de l’ordre en Afrique du Nord avec agrafes Maroc-Algérie» par le colonel de gendarmerie Le Ny, lors du septième pèlerinage des anciens combattants et opex, ainsi que la croix du combattant par le général Le Vaillant, de l’UNC, l’Union nationale des combattants dont certains drapeaux portent encore le devise «Unis comme dans le bled». Bon sang ne peut mentir, dit-on : colonialiste un jour, colonialiste toujours ! Et sachant que la France distribue encore de nos jours des médailles commémorant les «opérations de sûreté et de maintien de l’ordre» en Algérie, on ne peut que se demander si une certaine France nostalgique de l’Algérie française a bien enregistré le fait que notre pays est indépendant depuis 1962. Quoi qu’il en soit, il semble donc, au vu du nombre de Français intéressés par les richesses sahraouies, que la France considère que le Sahara Occidental soit définitivement une terre marocaine puisque TF1 elle-même faisait la promo pour les huîtres «marocaines» de Dakhla en 2018 déjà : https://www.tf1info.fr/international/les-huitres-du-dakhla-des-incontournables-dans-le-sud-du-maroc-2095532.html
«Règlement de comptes à OK Corral»
Le partenariat Tazi-Puech est également à l’origine de la compagnie Idyl, créée en 1996. Comme Maraissa, Idyl a d’abord été établie dans la région de Souss-Massa, où elle possède aujourd’hui des dizaines de plantations. Idyl a ensuite ouvert deux usines à Dakhla en 2006, avec l’aide d’un homme d’affaires de Laâyoune, Hassan Derham. On y cultive les tomates en grappe, les tomates cerises, les melons, les courgettes et les herbes fraîches. Ces produits sont commercialisés sous la marque Etoile du Sud. De Dakhla, les produits sont transportés dans des camions réfrigérés jusqu’à Souss où Idyl est propriétaire de deux usines de conditionnement : Soprofel à Biougra et Rosaflor à Khmis Aït Amira. Les exportations d’Idyl vers l’Europe sont coordonnées par la plate-forme de distribution située à Châteaurenard, en France, dont le président est Philippe Puech, fils de l’autre. Le chiffre d’affaires d’Idyl en 2020 était de 27 917 063 euros. Parallèlement au partenariat entre Mohamed Tazi et Pierrick Puech, ce dernier s’est associé avec Hassan Derhem pour créer Agrodep, l’un des plus importants groupes agricoles constitué de plus d’une dizaine de fermes, de 2 stations de conditionnement et travaillant à l’export. Le groupe était spécialisé dans le maraîchage, l’arboriculture fruitière, les agrumes et les palmiers dattiers. Les deux associés se sont chamaillés comme des chiffonniers, l’affaire est passée en justice, et ils ont fini par se séparer et à scinder le groupe en deux sociétés distinctes.
Il est à noter que ces collaborations générant d’énormes profits ont donné lieux à des batailles rangées entre les fondateurs des différentes sociétés eux-mêmes, avec des accusations de détournements de fonds et de dilapidation qui ont mené à des divorces et scission des sociétés, chacun ramassant ses billes, et ensuite, lorsque les ex-associés sont décédés, comme Puech et Le Gall, ce sont les héritiers qui se sont livrés à des batailles juridiques, y compris dans la famille Tazi. Bref, tout cet argent issu de l’exploitation des ressources du peuple sahraoui a conduit les patrons des sociétés et leurs héritiers tirant profit des terres de Dakhla à se comporter comme dans un remake de «Règlement de comptes à OK Corral».
Le Premier ministre marocain versé dans le tourisme, l’énergie…
Les Domaines Abbès Kabbage (DAK) est l’une des filiales de Groupe Kabbage, un véritable conglomérat qui est aussi implanté de multiples façons à Dakhla, notamment avec la plantation DAK qui est actuellement estimée à 30 hectares. Le Groupe Kabbage est présidé par l’ancien maire d’Agadir, Tariq Kabbage. Avec son frère Chems, Tariq Kabbage dirige un conglomérat actif dans l’immobilier, le tourisme (DAK Tourisme à Dakhla), la pêche (DAK Atlantic Pêche à Dakhla), et les projets agricoles (notamment les agrumes comme les clémentines). Il a investi dans des projets agricoles au Brésil, en collaboration avec son associé Akhannouch Aziz, actuel Premier ministre marocain qui est accusé par l’ex-eurodéputé José Bové d’acheter des députés européens pour le compte des services marocains, et dont la fortune était estimée à 2 milliards de dollars par Forbes en 2019. Akhannouch Aziz est l’un des actionnaires principaux du Groupe Akwa, holding marocain aux nombreuses filiales présent dans l’énergie, le tourisme, la presse, la distribution, l’immobilier, etc. Le Groupe Kabbage possède deux usines d’emballage au Maroc proprement dit, la Société Kabbage Massa et la Société Kabbage Souss, pour conditionner les fruits et légumes de Dakhla, avant qu’ils ne soient transportés à l’étranger, soit aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada, en Suède, en Russie… La société qui gère les exportations et la commercialisation des produits du Groupe Kabbage est GPA dont le PDG est Tariq Kabbage.
Bien sûr, avec le temps, des filiales de ces groupes ont été créées, le site étant particulièrement attractif pour les investisseurs peu regardants sur le fait qu’ils produisent dans un territoire occupé dont la population est ostracisée. Ainsi, Soprofel Idyl à travers Tawarta production agricole, dont le chiffre de ventes en 2016 était de 1 190 944 969 dirhams marocains et MIJK Domaine Agricole dont le revenu en juin 2022 était de 12 066 511 dirhams marocains, en plus de Maraîchage du Sahara, filiale du Groupe Derham ainsi que la société Maraissa, du Groupe Azura et Ajida, un groupement de 15 jeunes producteurs qui se sont coalisés pour un meilleur rendement. En fait, l’annuaire internet Infobel a recensé 4 543 sociétés enregistrées à Dakhla. Ces entreprises ont un chiffre d’affaires global estimé à 108 872 milliards de dirhams marocains, dont le peuple sahraoui ne voit pas le premier centime.
Corruption, Yassine Mansouri : l’UE ne voit rien, n’entend rien, ne dit rien
Il faut rappeler que tout ce beau monde pille sans vergogne un territoire occupé illégalement et notamment dans le domaine de la pêche où les bateaux européens vont jeter leurs filets dans les eaux sahraouies alors que, et nous citons une question soulevée au Parlement européen du 3 février 2017 par plusieurs eurodéputés, dont José Bové : «Dans l’affaire C-104/16, la Cour de justice européenne a statué que le Sahara Occidental ne fait pas partie du territoire souverain du Maroc et qu’en vertu du principe d’autodétermination et du principe de l’effet relatif des traités, les accords d’association et de libéralisation UE‐Maroc ne peuvent pas s’appliquer au Sahara Occidental sans le contentement du peuple du Sahara Occidental.» https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/E-8-2017-000810_FR.html
Sachant le scandale qui secoue actuellement le Parlement européen avec les eurodéputés cachant dans des appartements des valises remplies de billets de banque distribués par le Makhzen et où l’on retrouve l’empreinte des services de renseignement marocains (DGED) de Yassine Mansouri, on comprend mieux pourquoi l’Union européenne ferme les yeux sur le commerce débridé du Maroc avec les produits issus des territoires sahraouis occupés. Et on comprend mieux aussi pourquoi le Makhzen a essayé d’acheter José Bové.
Mais revenons aux tomates et autres fruits et légumes. Comme cette culture intensive épuise les réserves d’eau souterraine et que les sociétés exploitantes ne veulent pas renoncer à la manne que représente la production de fruits et légumes de Dakhla, il a bien fallu trouver le moyen de pallier au manque d’eau. C’est ainsi que la société française Engie – dont l’Etat français est actionnaire à 19,64% – a signé, le 22 juin dernier, un protocole d’accord avec le gouvernement marocain ainsi que plusieurs accords de partenariat public-privé afin de construire une station de dessalement éolienne à environ 75 km à l’extérieur de Dakhla.
C’est en présence du Premier ministre milliardaire Aziz Akhannouch que les accords ont été signés entre les ministère marocain de l’Agriculture, de la Pêche, du Développement rural, des Voies navigables et des Forêts, l’Agence nationale marocaine de l’électricité et de l’eau potable ONEE et la joint-venture Dawec (Dakhla Water & Energy Company) détenue 50/50 par Engie et la société énergétique Nareva appartenant au roi du Maroc. L’objectif principal de la station est de permettre au gouvernement marocain de transformer 5 000 hectares supplémentaires de terres sahraouies en plantations et en serres. Une fois achevée, la station desservira non seulement les entreprises agroalimentaires voisines, mais également le nouveau port géant Dakhla Atlantique que le gouvernement marocain est en train de construire pour faire davantage main basse sur les stocks de poissons de la région.
On le voit à travers toutes ces entreprises impliquées dans le pillage du Sahara Occidental, la population sahraouie est complètement niée, non seulement par l’occupant marocain mais aussi par les partenaires étrangers qui participent à la curée et qui exportent leurs produits vers l’Europe, «grande démocratie» qui ne respecte pas ses propres lois. Par les faits, nous avons vu que la France est partie prenante de l’occupation marocaine. Quant à l’UE, étant le principal marché pour les produits agricoles cultivés à Dakhla, elle est complice de cette exploitation éhontée des territoires sahraouis.
Toutes ces informations viennent corroborer les faits extrêmement graves qui éclatent aujourd’hui concernant la corruption endémique dans les institutions européennes mais elles seront utiles aussi à ceux qui voudront boycotter les produits en provenance du Sahara Occidental occupé par le Maroc, ce que nous encourageons fortement.
M. A.
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