Le déni de la réalité du monde par un Occident arrogant et dogmatique

Le président américain Joe Biden harangue ses vassaux. D. R.

Une contribution de S. Bensmail – A tous les niveaux, il est facile d’observer le déclin général des nations leaders : Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, etc. Baisse de la créativité et de l’innovation, absence de remise en cause, refus de l’échange avec l’autre (le Sud, les BRICS, etc.), construction d’une vérité parallèle au monde, durcissement vis-à-vis des autres nations, même vassales.

Le monde occidental est devenu bien incapable de reconnaître ses erreurs et d’apprendre de son passé. Dans la guerre comme dans les relations qu’il mène avec le monde, il répète les mêmes fautes qui l’ont conduit à l’échec. Cette arrogance et ce dogmatisme idéologique empêchent ses élites toute capacité à se corriger.

Ethnocentrique, impérialiste, aveugle et imbu de lui-même : voilà comment l’on peut le caractériser aujourd’hui, occupé qu’il est par une fuite en avant suicidaire et dangereuse pour tous.

Un détail parlant, qui a de grandes répercussions ces temps-ci : lorsque Vladimir Poutine annonce et présente, lors d’une conférence mémorable de mars 2018, l’avancée irrattrapable opérée par de nouveaux systèmes d’armes, les élites, think tanks et autres officiels, de la côte est et de l’Europe, ont crié au «fake», répliquant qu’il ne s’agissait que d’une intimidation, creuse et sans effet, de Moscou.

Bien sûr, la pensée magique du «même pas peur» sur laquelle s’est appuyée une partie du renseignement militaire occidental. Grosso modo, cet appareil, pourtant extrêmement puissant, a été mis en échec par sa propre arrogance : Alastair Crooke note, dans son ««Israël en miettes» – à l’heure de l’autodestruction de l’Occident», l’échec militaire comme économique des mesures prises contre l’Ours russe : «(…) Dans ce qui sera probablement considéré rétrospectivement comme l’échec le plus flagrant de l’ère actuelle en matière de renseignement stratégique, les services de renseignement ont colporté aux Etats occidentaux l’évaluation arrogante selon laquelle la Russie était un Etat arriéré et défaillant. Avec une telle affirmation erronée, les services ont créé en Europe la conviction que des sanctions massives à l’encontre de la Russie et des opérations psychologiques effrénées provoqueraient des troubles économiques, suivis d’un bouleversement politique au Kremlin (au profit de l’Occident).» Il complète : «Le contrecoup de cette erreur de jugement spectaculaire se répercute aujourd’hui bruyamment dans le monde entier. Loin d’avoir cimenté l’ordre libéral, la guerre contre la Russie a éloigné la majorité de la planète du camp occidental. La ruée vers les BRICS est en marche et le récit occidental est irrémédiablement percé. Le nous militaire de l’OTAN est remis en question. Et l’Europe se débat désespérément.»

Depuis le 24 février dernier pourtant, les renseignements OTAN et Pentagone se sont ressaisis et ont constaté que les missiles hypersoniques ne sortent pas de la tête d’un «dictateur issu du KGB», mais sont utilisés effectivement contre des bunkers – préparés durant huit années de faux-semblants quant aux Accords de Minsk I et II.

Merci, là aussi, à Frau Merkel et Monsieur Hollande pour vos francs aveux de trahison lors des négociations avec les Républiques de Lougansk et de Donetsk ainsi que le Kremlin ! On fait semblant de négocier juste pour gagner du temps et, comme l’ont avoué clairement de hauts responsables à Kiev, dont l’ex-président oligarque Petro Oleksiovytch Porochenko lui-même, «le roi du chocolat», préparer la guerre contre la Russie.

Ecoutez le numéro deux russe, Dimitri Medvedev – qui a désormais compris ce que l’occidentalisme veut réellement dire comme duplicité et volonté de domination – quant à l’usage possible de ces systèmes hypersoniques contre les centres de décisions, non plus à Kiev mais dans les capitales pourvoyeuses d’armes à l’Ukraine. Voyez aussi le récent rétropédalage de Washington à la suite de la chute d’un missile ou deux, prétendument russes, tombés en Pologne, ce qui devait appeler, selon Kiev et Varsovie hystériques, à l’entrée en guerre directe de l’OTAN ! Très vite, l’appareil d’Etat américain, conscient qu’il y a des risques de «frappes de décapitation» qui peuvent, en quelques minutes, anéantir ses centres de commandement militaires comme politiques, a calmé les ardeurs déments de ces vassaux en Europe.

En France, quelques généraux, non encore contaminés par la fièvre courtisane, ont estimé que les Armées bleu-blanc-rouge ne pourraient survivre qu’environ cinq à sept jours dans une guerre à haute intensité (face à la Russie), contrairement au narratif de la propagande de CNews et autres experts de salon.

Ce sujet du missile hypersonique, Iskandar, Kinjal, Avanguard et autre, est par ailleurs révélateur du déclin de la pensée scientifique en Occident.

Khaleda Rahman a reconnu dans Newsweek qu’Avangard, par exemple, est capable de voler à vingt-sept fois la vitesse du son et ne peut être intercepté. Selon des analystes militaires consultés, Avangard a une portée de plus de 6 000 km et est capable d’emporter une charge utile nucléaire ou conventionnelle. L’arme peut également survoler l’Antarctique et s’approcher du continent américain par le sud.

Le grand journaliste Pepe Escobar, qui sait de quoi il parle – et nous rappelle l’immense médiocrité des journalistes en France –, nous donne un bref et partiel aperçu de ce qui peut frapper depuis les terres russes : «La Russie peut utiliser le puissant SS-18 − nom de code OTAN : Satan ; chacun transporte 10 ogives avec une charge de 750 à 1 000 kilotonnes [50 à 70 Hiroshima ! NdT] chacune, soit assez pour détruire une zone de la taille de l’Etat de New York. Le Topol M ICBM est le missile le plus rapide au monde à Mach 21 (26 000 km/h) ; contre lui, il n’y a aucun moyen de défense. Lancé de Moscou, il frappe New York City en 18 minutes et Los Angeles en 23 minutes. Les sous-marins russes − ainsi que les sous-marins chinois − sont en mesure de lancer des frappes sur des cibles côtières aux Etats-Unis en moins d’une minute. Des sous-marins chinois sont apparus à côté de porte-avions américains sans avoir été détectés, et les sous-marins russes peuvent faire la même chose. Le système anti-missile S-500 est capable de mettre la Russie à l’abri des missiles balistiques intercontinentaux et des missiles de croisière. Moscou admet officiellement que les S-500 seront déployés en 2016, mais le fait que les S-400 soient bientôt livrés à la Chine implique que les S-500 sont peut-être déjà opérationnels.»

Alors que l’un des pères de l’hypersonique, le Français Jean-Pierre Petit, a développé ses idées en la matière, il fut traité en France de fou et s’est vu écarté par le CNRS, ostracisé par ses collègues. Néanmoins, il réussit à contribuer à la recherche russe lors de ses multiples voyages et séminaires. Il faut regarder ses vidéos toujours très intéressantes, même pour néophyte – n’est-ce pas là le signe de sa haute intelligence que de rendre ce sujet complexe abordable ?

Dans l’une de ses dernières vidéos sur YouTube, J.-P. Petit indique tranquillement qu’il a été approché par les militaires de la Direction générale de l’Armement afin qu’il collabore au rattrapage de la défense française en la matière. Impossible, a-t-il dit, les Russes ont au moins vingt ans d’avance, et c’est effectivement non rattrapable.

Et les Etats-Unis commencent à peine à tester ces jours-ci leur premier missile hypersonique, dans un même timing que l’Iran, pourtant cruellement étouffé par quarante ans d’un embargo total.

Voilà où mène le bannissement de tout esprit critique et non conforme à la doxa, scientifique ou autre, dans un pays emprisonné par une bureaucratie puissante au service d’une haute fonction publique qui a vendu son âme à cette oligarchie dont nous parle justement Bruno Guigue ! Un pays où toute question dérangeante est évacuée plus ou moins brutalement.

La gestion de la recherche scientifique à Alger et dans les villes universitaires de notre pays devraient faire très attention aux déboires provoqués par l’excès de confiance d’un système voisin sur le déclin, excès qui contamine, à cette habitude d’exclure un chercheur (ou un groupe de chercheurs) atypique ou simplement novateur. Fermons cette petite parenthèse.

Assurément, l’hubris ou la démesure destructrice est démultipliée, comme le note Thomas Assheuer dans Idées. Notre arrogance nous mène-t-elle à notre perte ? «Mais l’idée d’un monde formé de démocraties pacifiques n’est qu’un mythe occidental, peut-être même un exemple d’hubris. Le rideau de fer est à peine tombé que des combats d’un autre temps déchirent déjà les Balkans. La ville de Srebrenica et le Rwanda sont décimés par des génocides, le terrorisme islamiste se déchaîne et les attentats du 11 septembre 2001 font près de 3 000 morts. Les Etats-Unis commettent ensuite une erreur monumentale en envahissant l’Irak : ils enfreignent le droit international, torturent leurs prisonniers et tuent un nombre apparemment sans précédent de civils – d’après les investigations du New York Times. (…) Tous ces événements annoncent le retour de l’hubris.»

Il est temps, même brièvement, de tenter une explication à propos de cette arrogance occidentale. Pourquoi, au fond, pareille arrogance et autant d’aveuglement de la part de l’Occident collectif ? Rien de tel que de laisser parler un analyste russe ou slave, depuis sa conception orthodoxe proche de l’islam, du monde et de la nécessaire spiritualité et transcendance de l’homme.

Dans Arrêtez la guerre de l’Empire contre le monde, de Tom Lehrer à Robert Frost, Batiushka écrit, si justement, à propos de l’absence de foi et de la supposée infaillibilité de l’Occident : «(…) Toutes les civilisations sont fondées sur la foi, sur une intuition et une expérience spirituelle originelle. C’est un fait historique. Peu importe que vous soyez juif, animiste, hindou, zoroastrien, bouddhiste, confucéen, chrétien orthodoxe, maya, musulman, shintoïste, catholique, inca, aztèque, sikh ou, plus récemment, protestant, votre civilisation, et donc votre culture, dépend de votre foi. Une civilisation qui n’a pas de base spirituelle, la foi, n’est pas une civilisation, c’est une anti-civilisation.

(…) La civilisation occidentale, qui existe essentiellement depuis un millier d’années (ce qui signifie qu’elle est assez récente en termes historiques comparatifs), est la seule qui prétend être unique et qui a constamment mis en œuvre sa prétendue infaillibilité et l’intolérance qui en résulte sur une base systématique et institutionnalisée par le biais de la violence organisée tout au long de son existence millénaire.

La grande différence entre l’Occident et toutes les autres civilisations est son intolérance unique car il est convaincu d’être infaillible. (L’infaillibilité papale n’a peut-être été dogmatisée qu’au XIXe siècle, mais elle avait déjà été proclamée par Hildebrand/Grégoire VII au XIe siècle). L’Occident doit imposer. A l’inverse, le président Poutine accepte tout, comme le faisait l’URSS, comme le faisaient les Tsars russes. Ecoutez à nouveau deux parties de son discours du 30 septembre 2022 : «Qu’est-ce que, sinon le racisme, la conviction dogmatique de l’Occident que sa civilisation et sa culture néolibérale sont un modèle indiscutable que le monde entier doit suivre ? Vous êtes soit avec nous, soit contre nous.»

Batiushka prolonge et donne les raisons de cette haine profonde que voue l’Occident élitaire, en particulier les Anglo-Saxons, à la Russie : «L’une des raisons de la russophobie séculaire, l’animosité non dissimulée des élites occidentales à l’égard de la Russie, est précisément le fait que nous n’avons pas permis qu’ils nous volent à l’époque des conquêtes coloniales et que nous avons forcé les Européens à commercer avec nous, dans des conditions mutuellement avantageuses. Nous y sommes parvenus en créant un Etat centralisé fort en Russie, qui a grandi et s’est renforcé sur la base des grandes valeurs morales du christianisme orthodoxe, de l’islam, du judaïsme et du bouddhisme, ainsi que de la culture russe et du monde russe ouvert à tous.»

Cette intolérance unique de la «civilisation» occidentale, dit Batiushka, la caractérise exclusivement, du fait de sa conviction, profonde, qu’elle est «infaillible», qu’elle est sur terre pour le «Bien» des Autres.

Voilà pourquoi, après ses victoires trop vite proclamées de 1945 et 1991, l’Occident se voit encore comme pouvant et devant écraser le reste de l’humanité – c’est ce qu’écrit Jean Bricmont dans Le Mythe du 8 mai 1945.

Exemple d’hubris qui tourne mal : la tour biblique de Babel, bâtie avec la volonté d’égaler Dieu. Ecraser le monde, simplement parce que l’on se croit invincible, et continuer à agir de la sorte malgré toutes les déroutes et les génocides, du Vietnam à l’Afghanistan, en passant par l’Irak, la Syrie et la Libye.

Voilà pourquoi, aussi, le conseiller inamovible du prince à Paris, Jacques Attali, apôtre de cette mondialisation heureuse de la dépossession des Etats et des hommes – dont la capitale devra se trouver, selon lui, à Jérusalem – écrit : «A terme, soit la Chine rejoindra le mode de vie occidental, soit elle s’effondrera ; dans les deux cas, ce sera un triomphe du modèle occidental de développement.» Sans toutefois noter, curieusement, le véritable effondrement de cet Occident dont il parle !

Nulle surprise donc de l’entendre dire, comme l’un des porte-voix de cette oligarchie transnationale, que la Chine a une «diplomatie chinoise conquérante, voire arrogante». Toujours l’inversion accusatoire. Mais il est déjà trop tard, et les dupés ne sont plus dupes désormais…

Le «jardin» de l’Europe, cher à Josep Borell, ce Catalan à la tête des Affaires étrangères de l’Union européenne qui veut détruire la Russie par la guerre (Allo Docteur !), vire au terrain vague hostile, tandis que la «jungle» du reste du monde, toujours selon ses mots, se réorganise avec intelligence, imagination et richesses.

Il est donc plus qu’urgent que notre pays, comme tout autre pays un tant soit peu sensible à cette question de souveraineté, entre de plain-pied dans la danse de la Jungle, en y apportant toute sa part en la matière.

Comme le dit Mike Withney, le dépeçage de la Russie en plusieurs petits Etats a longtemps été le rêve des néoconservateurs, et l’ex-colonel du renseignement militaire américain Scott Ritter ne cesse de le répéter, comme d’autres.

Le grand danger aujourd’hui, c’est que ce même rêve est partagé par quasiment tous les dirigeants politiques de l’Occident. D’Angela Merkel au patron de l’OTAN, les décideurs occidentaux de premier plan ont déclaré vouloir à tout prix atteindre cet ultime but. Les préparatifs militaires, comme les livraisons d’armes lourdes à l’Ukraine, mais aussi aux autres membres voisins de l’OTAN, tels que la Pologne, augmentent malgré de multiples avertissements de Moscou.

Avec, en ligne de mire, la destruction définitive de la Russie afin de maintenir et renforcer l’hégémonie anglo-saxonne et, par ricochet, préparer l’élimination de son allié stratégique : la Chine.

Il serait difficile d’imaginer une stratégie plus dangereuse pour l’humanité.

S. B.