Décès du moudjahid Salim Saâdi : le bâtisseur qui n’avait pas peur des mots
L’Algérie perd non seulement un cadre de la nation mais, surtout, un grand homme en la personne de Salim Saâdi, appartenant à une famille de moudjahidine. En effet, lui et son frère Salih ont fréquenté l’école de Koléa. Ce dernier a rejoint l’ALN en Kabylie en 1957 et Salim Saâdi l’ALN des frontières est dès sa sortie de l’Ecole des transports, en 1958. Ils sont tous deux blessés de guerre.
Si son frère a poursuivi sa carrière dans le civil, Salim Saâdi est resté dans l’armée. Il fut chargé dès l’indépendance de mettre sur pied les transports militaires, puis il en a pris le commandement. Il fut directeur des armes de combat, chargé de mettre sur pied des unités de transport, blindés, artillerie, de défense anti-aérienne et d’infanterie. En somme, celles qui constituent le corps de bataille de toute armée.
Puis, il fut commandant de la 3e Région militaire, dont le siège se trouve à Béchar, sous Houari Boumediene. A l’avènement de Chadli Bendjedid, il fut ministre de l’Agriculture (1979-84), ministre de l’Industrie lourde (1984-86), ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales (1993-94), ministre des Ressources en eau (1999-2001) et ministre des Transports (2001-2002).
Dans son Recueil des mémoires, le général Khaled Nezzar a consacré de nombreux passages aux actions héroïques de Salim Saâdi durant la Guerre de libération nationale et à ses inlassables efforts pour améliorer les conditions de vie des 50 000 hommes qui étaient sous sa responsabilité lorsqu’il commandait la 3e région militaire.
L’ancien ministre de la Défense écrit : «Lorsque je fus rappelé de l’Ecole de guerre de Paris, une réunion au ministère de la Défense rassemble autour de Boumediene les colonels Mohamed-Salah Yahiaoui, commandant l’Académie militaire de Cherchell, Chadli Bendjedid, commandant la 2e Région militaire, accompagné de son adjoint Abdelmalek Guenaïzia, le lieutenant-colonel Salim Saâdi, commandant la 3e Région militaire, Kasdi Merbah, chef des services [de renseignement], et moi-même. Boumediene avait mis en place ce qu’il avait déjà fait pendant la guerre en 1960, 1961 et 1962. Il avait divisé les territoires frontaliers avec le Maroc en deux zones, sud et nord. Salim Saâdi au sud, et Chadli Bendjedid au nord. Les troupes à Tindouf, renforcées dans l’urgence, sont encore mal équipées. Salim Saâdi, chef de Région, et Mokhtar Kerkeb, assurant l’intérim du SOST après le rappel de Yahiaoui, se démènent comme ils peuvent pour améliorer les choses. Je suppose que ce sont leurs mises en garde répétées qui ont conduit le Président à vouloir regarder de plus près la situation générale de l’armée dans cette stratégique 3e Région militaire.
Une seule question est à l’ordre du jour : le renforcement de nos forces de Tindouf par les importants éléments blindés – jusque-là implantés en avant de la ville de Sidi Bel-Abbès – non loin de la frontière avec le Maroc. Leur mission était, en cas d’attaque des FAR et occupation de n’importe quel point du territoire national, de contre-attaquer et de pénétrer à leur tour au Maroc. La discussion tourne autour de l’emploi de ces forces une fois translatées. Deux visions diamétralement opposées sont exposées, celle de Boumediene et celle de Salim Saâdi. Salim insiste pour qu’elles soient en hérisson, c’est-à-dire en défense autour de Tindouf, et Boumediene ne veut pas donner une telle force de frappe pour la cantonner en défense. Salim, qui sait de quoi il parle, insiste : Ils se pommeraient, Monsieur le Président ! […]
Le Sahara, c’est la chaleur, la soif, les immenses distances, la souffrance des matériels, la mise à l’épreuve de la logistique encore embryonnaire chez nous et, à chaque instant, le risque pour des unités en mouvement de se paumer, comme dit Salim. […]
Houari Boumediene a une vision spartiate de la condition militaire. Les doléances des militaires sont pour lui de fâcheuses récriminations, à peine un degré en dessous de l’atteinte à la sécurité de l’armée. Leurs demandes d’équipements, une fixation malvenue sur el-kazdir (la ferraille). Mais il est quand même ébranlé par la justesse des arguments de Salim. Salim ne croit pas du tout aux garde-fous diplomatiques ou, plutôt, il veut qu’ils soient garantis par de bons garde-fous militaires.
Quelques années auparavant, nous avions jugé utile de rajouter le mot opérations à l’ordre du jour des réunions que Houari Boumediene préside, une fois par an, avec les officiers de l’armée. Nous savions, nous qui n’avions aucune arrière-pensée politique, qu’il manquait quelque chose d’essentiel à l’ANP : un commandement opérationnel unique. Lors de cette réunion consacrée à Tindouf, nous espérions que le Président allait enfin aborder cette question de l’état-major qui nous tenait tant à cœur. Sans état-major, aucune armée ne peut accomplir ses missions. Il avait fait à chaque fois la sourde oreille. Traumatisé par la sédition de Zbiri en décembre 1967, il ne veut pas d’une structure qui ferait écran entre lui et ses militaires. J’ai fait une expérience une fois. Vous savez comment cela s’est terminé. Je n’en ferai pas deux ! dit-il. Et d’ajouter : J’ai réglé les problèmes de bon voisinage avec le Maroc, instruisez-vous, formez-vous, le moment du kazdir viendra. Il ferme le dossier qu’il a devant lui et lève la séance. Salim, assis à ma gauche, lance un juron, puis il dit à haute voix, sans crainte d’être entendu : Je pars à l’Ecole de guerre !
Houari Boumediene n’en veut pas à Salim qui ose lui tenir tête et le contredire. Il sait que Salim est dans son rôle de chef militaire responsable de la vie de ses hommes et de la sauvegarde de ses matériels. Il sait, au fond de lui-même – on peut tout reprocher à Houari Boumediene sauf de manquer d’intelligence – que Salim a raison.»
Ses compagnons les généraux à la retraite Khaled Nezzar et Mohamed Touati ont tenu à lui rendre un vibrant hommage et à saluer son parcours honorable durant la Révolution armée et après l’indépendance du pays, et présentent leurs sincères condoléances à la famille du défunt.
R. N.
Comment (11)