Interview – René Naba : «Israël n’a atteint aucun de ses objectifs militaires»
Né en 1944, René Naba est un journaliste libanais spécialiste du monde arabe. Il a écrit plusieurs livres dont Syrie : chronique d’une guerre sans fin (2011-2021) ; L’Arabie Saoudite, un royaume des ténèbres. L’Islam, otage du wahhabisme (automne 2013), etc. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il aborde divers points liés à la cause palestinienne et nous livre son point de vue quant aux raisons de l’impossibilité de l’unité des pays arabes et les soi-disant «démocraties» américaine et israélienne. Interview.
Algeriepatriotique : Deux jours après l’attentat en série exécuté à distance par les services secrets israéliens au Liban, l’entité sioniste mène des frappes aériennes au sud du pays et envisage même une opération terrestre. Comment décririez-vous la situation sur le terrain ?
René Naba : Près d’un an de guerre à Gaza contre des Palestiniens encerclés depuis quatorze ans, doublé d’une guerre d’usure déclenchée par le Hezbollah contre Israël en soutien au combat des Palestiniens, Israël, la puissance militaire majeure de la zone n’a atteint aucun des objectifs de guerre déclarés par Netanyahou : l’éradication du Hamas et le retour des habitants du nord de la Galilée à leur domicile. Les attentats ciblés contre les dirigeants palestiniens (Ismail Haniyeh) et libanais (Fouad Chokr) ont pour principal objet de compenser l’échec de l’armée israélienne et d’accréditer l’idée d’une armée efficace afin d’éviter un découragement de l’opinion israélienne qui serait fatal au Premier ministre israélien.
La censure militaire israélienne aseptise les informations concernant les dégâts infligés aux Israéliens, accréditant, à tort, l’idée d’une promenade de santé glorieuse face à ses ennemis palestiniens et libanais. Israël redoute la puissance de feu balistique du Hezbollah et se borne à abuser de sa supériorité aérienne pour terroriser la population et l’inciter à se désolidariser de la formation paramilitaire chiite qui a, faut-il le rappeler, un palmarès militaire glorieux en ce qu’il a infligé deux défaites retentissantes à Israël en 2000, en forçant l’état hébreu à se dégager militairement du Liban, sans négociations, ni traité de paix, fait unique dans les annales de la polémologie internationale et, en 2006, en lui infligeant de lourdes pertes dans une mémorable bataille de chars dans le sud Liban
Allons-nous vers une conflagration générale dans la région puisque Netanyahou et ses ministres de la guerre refusent un cessez-le-feu ?
Par dérapage incontrôlé, le conflit peut dégénérer en conflagration régionale. La paix est le cadet des soucis de Benyamin Netanyahou. Son souci majeur est sa survie politique et juridique, lui qui fait face à une procédure judiciaire pour des faits de corruption, une autre plus terrifiante ; son imprévoyance à prévenir l’attaque du Hamas, le 7 octobre, alors qu’il est au pouvoir depuis quatorze ans. Son éventuel procès pourrait entraîner une éclipse durable de la droite radicale israélienne de l’échiquier politique israélien.
Comment expliquez-vous ce mépris du droit international par l’Etat apartheid d’Israël ?
Israël capitalise sur le sentiment de culpabilité qui habite les Occidentaux du fait du génocide hitlérien et de la collaboration vichyste, de même que sur le soutien inébranlable des Etats-Unis, qui considèrent l’Etat hébreu comme le meilleur gardien des intérêts stratégiques occidentaux dans cette zone pétrolière, en même temps que le protecteur des pétromonarchies, les ravitailleurs du système énergétique mondial. Le deuxième levier est la protection absolue américaine de tous les agissements israéliens. 55% des vetos brandis par les Américains au Conseil de sécurité des Nations unies ont été en faveur d’Israël. De surcroît, la plus grande démocratie occidentale, les Etats-Unis, et l’unique démocratie du Moyen-Orient, Israël, n’ont pas souscrit au Traité portant création de la Cour pénale internationale et bénéficient, de ce fait, d’un privilège de juridiction qui leur épargne toute comparution. Ce fait suffit, dans leur esprit, à leur garantir une impunité, mais démontre par là même leur mépris du droit international quand bien même ces deux pays se revendiquent comme démocrates.
L’entreprise française Africa Global Logistics (AGL) participe au transport d’armes vers Israël. Dans quelle mesure la France est-elle impliquée dans le génocide des Palestiniens et les bombardements au Liban ?
Après avoir été en pointe, en proposant la constitution d’une coalition internationale contre le Hamas, la France a opéré un rétropédalage vertigineux du fait de l’incongruité de cette proposition. Quant à Emmanuel Macron, les dernières péripéties politiques le confirment, est un balnéaire du Touquet hors sol, et la France est en phase de déclassement accéléré et, fait plus grave, ne s’en rend même pas compte. Dans une génération, elle sera reléguée au rang de puissance moyenne.
Le lobby sioniste en Occident a réussi à lier l’antisionisme à l’antisémitisme – critiquer Israël serait aussi condamnable que s’en prendre à la communauté juive – et lancé des campagnes tous azimuts afin de diaboliser les musulmans. Quel commentaire en faites-vous ?
L’accusation d’antisémitisme est l’arme de destruction massive pour neutraliser toute critique à l’encontre d’Israël.
J’ai abondamment traité ce sujet dans le passé, qui fausse le débat public dans les pays occidentaux. Sur ce sujet, cf. ce lien https://www.madaniya.info/2017/04/07/de-l-accusation-d-antisemitisme-comme-arme-de-neutralisation-de-toute-critique-a-l-egard-d-israel/.
Que ce soit pour l’intervention militaire russe en Ukraine ou le génocide des Palestiniens par l’entité sioniste, les médias dominants occidentaux, notamment en France, ne cessent de manipuler leur opinion publique et de travestir la réalité. Pourquoi ?
Du fait du phénomène de concentration de la presse, les grands vecteurs internationaux sont adossés à des conglomérats industriels, de sorte qu’il leur est particulièrement interdit de tenir un discours heurtant les intérêts de leurs patrons effectifs. Aucun patron ne prendra le risque d’une accusation aussi corrosive d’antisémite, d’autant qu’Israël est considéré comme appartenant à la grande famille des démocraties occidentales.
Vous avez consacré un long article sur la nécessaire et salutaire remise en cause du monde arabe intitulé «La bataille de la modernité du monde arabe». Vous préconisez «une remobilisation interarabe, le préalable à son repositionnement international». Pensez-vous réellement qu’une réconciliation entre pays arabes est possible ?
Foin d’illusion lyrique. Le monde arabe est divisé en deux zones. La zone méditerranéenne, une zone de pénurie populeuse et frondeuse, et la zone du Golfe, une zone d’abondance et peu peuplée. La stratégie occidentale s’est appliquée à découpler ces deux zones pour mettre en coupe réglée les anciens bédouins pétro-dollarisés de l’ancienne côte des pirates. Les pétromonarchies sont le seul groupement politique au monde à être passé du protectorat britannique à la domination américaine, sans le moindre instant de liberté. Alors que les pays arabes de la zone méditerranéenne ont tous, sans exception, mené une guerre d’indépendance. Les pétromonarchies ne sont pas partageuses de leurs richesses. L’unité arabe leur importe peu. Ce qui importe pour eux est la survie de leur trône. Entre les deux zones, le fossé psychologique est considérable.
La énième tragédie que vivent les Palestiniens depuis le 7 octobre a pesé sur la conscience des populations mondiales et dévoilé le visage hideux de l’entité sioniste, la complicité des dirigeants occidentaux mais, surtout, les dirigeants arabes lesquels ont brillé par leur lâcheté devant ce génocide. Comment l’expliquez-vous ?
Les pétromonarchies sont allergiques à des notions telles que lutte armée, guérilla, guerre de libération nationale. Des termes qui portent en germes une menace à leur survie dynastique. Ceci explique leur reptation collective envers Israël (Bahreïn, Emirats arabes unis, Jordanie, Maroc) dont ils cherchent sa protection. Ils sont donc hostiles au Hamas dans sa confrontation avec Israël.
Interview réalisée par Kahina Bencheikh El-Hocine
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