Amnésie d’Etat

8 mai 45
Hommage aux victimes des massacres du 8 Mai 45. D. R.

Par Khaled Boulaziz – Le 8 mai approche. Cette année, cela fera 80 ans. 80 ans depuis ce jour funeste où, tandis que l’Europe célébrait la fin du nazisme, l’Algérie entrait dans une nuit rouge. 80 ans de silence, d’amnésie, d’hypocrisie officielle. L’Europe, comme chaque année, ressortira ses trompettes, ses gerbes, ses hymnes. Elle saluera ses héros, ses résistants, ses martyrs – et dans le même souffle, oubliera les nôtres.

A Sétif, Guelma, Kherrata, ce 8 mai, nous compterons les morts qu’on n’a jamais vraiment comptés. Non pas parce qu’on les aurait oubliés, mais parce qu’on ne a jamais voulu les reconnaître. Des milliers de vies brisées, broyées, effacées sous les ordres d’une République en armes, soucieuse de «mater» l’Algérie avant même qu’elle ne parle d’indépendance.

Dans Libération, temple du progressisme de salon, tribune des causes triées sur le volet, un article daté du 26 avril s’intitule «Tensions entre Paris et Alger : la reconnaissance par la France des massacres de Sétif en 1945 en suspens». Encore un envol de colombes de papier. Encore un renoncement empaqueté dans la «prudence diplomatique». On lit, entre deux paragraphes tièdes, que l’Elysée «songeait» à un geste mémoriel. Mais voilà : renvois d’ambassadeurs, atmosphère tendue. Prétexte trouvé, rideau baissé.

Libération, fidèle à son rôle, ne rate jamais une gamelle quand il s’agit d’annoncer de mauvaises nouvelles sur l’Algérie. Comme un oiseau de mauvais augure, il survole, tourne, fond. Quand ce n’est pas pour relayer des tensions, c’est pour justifier l’inaction de Paris sous couvert de «contexte». Messager zélé du silence officiel, il maquille l’amnésie d’Etat en stratégie de communication. Une constance admirable dans la petitesse.

Et, pendant ce temps, on nous parle de patience. De dialogue. On nous demande de comprendre. D’attendre encore. Alors même que les juifs d’Algérie, persécutés sous Vichy, ont été indemnisés par l’Allemagne. Rubis sur l’ongle. Normal, légitime, humain. Mais pour les Algériens musulmans, mitraillés, égorgés, incendiés dans les gorges de Kherrata ? Rien. Le néant. Juste cette injonction : attendre encore, à la manière du prophète Jacob.

Et qu’on ne vienne pas nous parler de gratitude. Car, pendant que la moitié de la France pactisait avec le IIIe Reich, pendant que des préfets organisaient des rafles et que des notables se pressaient à la Kommandantur, des dizaines de milliers d’Algériens, arrachés à leurs terres ou engagés par obligation, tombaient sur les champs de bataille européens. A Monte Cassino, à Royan, à Marseille, ils ont versé leur sang pour libérer une patrie qui n’était pas la leur. Ils combattaient dans les tranchées pendant qu’on dénonçait dans les salons. Ils mouraient au nom d’une liberté qu’eux-mêmes n’avaient jamais connue. Le drapeau tricolore sur leurs cercueils n’effaçait pas l’indignité du statut indigène. On leur demandait de mourir pour la France, mais pas de voter pour elle. De se sacrifier, mais pas d’exister.

Aujourd’hui, les maîtres de la mémoire à Paris s’appliquent à métamorphoser l’histoire en ballet funèbre, en pantomime de cour. Ils alignent les «gestes forts» comme des cierges tièdes dans une cathédrale sans croyants. Ils empilent projets, commissions, rapports, plaques commémoratives – ces stèles bureaucratiques que personne ne lit – pour mieux diluer la vérité dans le formol de l’oubli organisé. Tout est là : le cérémonial, les rubans tricolores, les discours rédigés à la virgule près par quelque sous-chef de cabinet. Et, derrière, le vide sidéral. Une mémoire sans chair, sans colère, sans noms. Une liturgie de la mémoire morte, administrée par des fonctionnaires de l’oubli.

Et Libération, toujours là, pour servir de haut-parleur, pour mettre en récit cette dilution, cette rature.

Mais qu’ils gardent leur reconnaissance. Qu’ils la plient, l’encadrent, l’exposent entre deux commémorations de façade. Nous, nous avons notre devoir de mémoire. Celui que nous faisons sans ministères ni préfets. Celui qui perpétue l’éclat de ceux qui sont partis au petit jour de la nuit coloniale. Ceux qui, à défaut d’avoir reçu justice de leur vivant, nous sont revenus par la grande porte de l’histoire.

Et cela vaut plus que toutes les couronnes fanées qu’on déposera dans les jardins de la République.

K. B.

Comment (2)

    Kadder-Messaoud
    4 mai 2025 - 18 h 22 min

    Merci Khaled BOUAZIZ, pour cette tannée aux fachos ainsi qu’à leurs maquilleurs de <>

    Dr Kelso
    4 mai 2025 - 17 h 04 min

    Je reprends mon commentaire :
    Allah Yarhmoum chouhadas.
    La colonisation française est l’une des plus BARBARE qui ait existé, à côté Hitler fait office de saint.
    Ces massacres de Sétif Guelma et Kherrata sont un CRIME CONTRE L’HUMANITÉ et doivent être reconnu comme tel au niveau international.
    Le 08 mai 2018 une rue a été baptisée du nom du Président Abdelaziz Bouteflika en Cisjordanie à Tubas en référence aux massacres de Sétif Guelma et Kherrata.
    Jacques Vergès a dit en interview juste avant sa venue à l’université Guelma pour commémorer ces massacres : « Une originalité que le Président Bouteflika a raison de souligner c’est l’agression culturelle, les colonialistes disent c’est Mr FinkelCrotte qui dit on a apporté la civilisation AUX SAUVAGES, QUELLE CIVILISATION?!,… vous avez Mr Klarsfeld qui dit on leur a apporté la culture, on n’a pas apporté la culture ON A NIÉ LA CULTURE LOCALE…l’agression culturelle est aussi grave que l’agression physique », un bref extrait de cet interview vous noterez que FinkelCrotte et Klarsfeld sont tous 2 des zélateurs d’IsRatHell des ultrasionistes islamophobes notoires.
    PS : toujours Jacques Vergès : « Oradour a fait 20 fois moins de morts que Guelma et Sétif, mais en plus, ce qu’il y a de plus grave à Guelma et à Sétif, si Oradour a été fait par des SS, les MASSACRES DE GUELMA et SÉTIF ont été ACCOMPLIS en grande partie PAR DES CIVILS, PAR DES COLONS, c’est à dire la population y a participé. Qui a donné les armes à la population ? C’est l’État, c’est un crime d’État ».
    Gloire à nos martyrs !
    Allah Yarham EL CHOUHADAS AL ABRAR
    TAHIA EL-DJAZAÏR

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