La colonisation ou comment soigner sa propre impuissance en violant le monde

colonisation
L'indécente France glorifie son honteux passé colonial barbare. D. R.

Une contribution du Dr A. Boumezrag – L’histoire de la colonisation n’a jamais été aussi limpide qu’aujourd’hui, mais elle n’a jamais été aussi mal interprétée. Oubliez les discours moralisateurs de la mission civilisatrice, oubliez les belles paroles sur la «libération» des peuples opprimés. La vérité, nue et brutale, c’est qu’un empire en plein déclin cherchait à soigner une blessure plus profonde que la simple conquête de terres : l’inconfort de sa propre impuissance.

Car derrière chaque colonisation, il y a cette même angoisse refoulée : impuissance à maintenir la grandeur, à conserver la dominance, à faire face aux contradictions internes. Et pour y remédier, quoi de plus simple que de violer le monde ? Non pas dans un élan sadique, mais comme un réflexe de survie, une catharsis nationale. Après tout, comment mieux se sentir puissant qu’en subjuguant un autre peuple, en imposant sa culture, ses lois, son dieu, sa langue et, bien sûr, ses fantasmes sexuels ?

Les colons ne sont pas partis en mission civilisatrice avec l’espoir d’améliorer la vie des «sauvages». Non, ils partaient en quête d’une affirmation de soi, en utilisant les corps et les terres comme terrain de projection pour des frustrations qu’ils n’arrivaient pas à résoudre dans leurs salons parisiens. Les peuples colonisés sont devenus les patients d’un empire en crise, un empire qui se prétendait médecin, mais n’était en réalité qu’un patient atteint d’une pathologie narcissique.

La mission civilisatrice, selon les termes des colonialistes, était en fait une vaste entreprise de psychanalyse collective, mais sans la moindre conscience de ses véritables motivations. C’était une thérapie de groupe où l’on soigne son impuissance en violant le monde, en dominant ce qui ne pouvait pas répondre, en écrasant ce qui ne pouvait résister. Après tout, qu’est-ce que la civilisation, sinon une façon de justifier sa propre supériorité par des actes de violence déguisés en bienfaits ?

Il suffit de regarder l’iconographie de l’époque – la femme colonisée, souvent représentée comme une victime passive ou, pire, comme un objet à conquérir, dénudée, exubérante dans son exotisme. Elle était l’incarnation de l’autre sur lequel le colon pouvait exercer ses fantasmes, ses pulsions de pouvoir. Et que dire du corps masculin africain, surdimensionné, agressivement stéréotypé, conçu pour rappeler à l’Occident son impuissance à s’imposer sans recourir à la violence ? Pas de place pour la véritable égalité. Au contraire, l’Afrique devait être aussi belle que l’Orient dans les fantasmes des colonisateurs : à la fois une terre promise et un corps à exploiter.

Mais la plus grande ironie de tout cela, la tragédie profonde, c’est que cette mission «civilisatrice» a agi comme une réflexion mal orientée, un miroir déformant qui ne faisait qu’augmenter les névroses des colons. Cette quête de supériorité ne visait pas simplement à conquérir des terres, mais à guérir des insécurités psychologiques profondes. Les colonisateurs cherchaient en réalité à reconstruire leur masculinité – celle qui, au fond, avait été abîmée par la montée des révolutions industrielles, par l’émergence de la classe ouvrière et par un monde qui ne cessait de leur échapper.

Ce n’était pas de l’histoire, c’était de l’auto-thérapie impériale

Ceux qui pensaient que la colonisation était une mission de progrès ont en réalité été complices d’un psychodrame collectif, une catharsis mal placée. L’Empire n’était pas un héros civilisateur, mais un patient dont le remède était encore plus destructeur que le mal qu’il prétendait soigner. En imposant sa vision, il a non seulement abîmé les peuples qu’il a conquis, mais aussi exorcisé ses propres démons en laissant des cicatrices indélébiles sur le corps du monde.

Et aujourd’hui ? Eh bien, la thérapie a échoué. Les névroses sont toujours là, dans les conflits postcoloniaux, dans les rapports raciaux tendus, dans la persistance des inégalités. La quête de pouvoir a peut-être trouvé une forme de satisfaction temporaire, mais la véritable guérison, elle, n’a jamais eu lieu. Les cicatrices de la colonisation sont aujourd’hui visibles à travers l’histoire et les sociétés modernes, comme des souvenirs d’un passé qui, pour certains, ne semble toujours pas guéri.

Mais si l’on se penche un instant sur les mécanismes de domination qui ont permis à la colonisation de s’installer durablement, on se rend vite compte que l’impérialisme a bien plus à voir avec la psychologie individuelle et collective que l’on veut bien l’admettre. La France, comme d’autres puissances coloniales, ne se contentait pas de faire grandir ses frontières. Elle les invisibilisait, les rendait inaccessibles au regard du peuple, tout en imposant une vision du monde figée et unilatérale : celle de la grandeur impériale, face à un monde qu’il fallait maîtriser pour le comprendre.

Sous les airs de la mission civilisatrice, il s’agissait de créer un rapport de force symbolique : un rapport où les colonisateurs se sentaient rassurés dans leur propre identité en invisibilisant l’autre, en le réduisant à un objet. C’est l’idée même d’une réparation collective, celle d’un peuple européen désireux de se prouver qu’il était encore capable de faire un monde – ou, plus précisément, de faire le monde à son image.

De cette manière, l’autre – qu’il soit africain, asiatique ou indigène – devient non seulement l’objet de violence, mais aussi celui de la projection collective d’une angoisse non résolue. Chaque geste de domination, chaque occupation de territoire, chaque imposition culturelle faisait partie d’un processus où l’Europe soignait ses fractures internes en les transférant sur des peuples dépossédés de leur autonomie et de leur identité. Ce n’était pas simplement la conquête d’espaces géographiques, mais la construction d’un empire imaginaire, celui où l’Europe pourrait se donner des raisons d’être fière tout en cachant ses propres défaillances et ses propres failles.

Une psychanalyse de l’impuissance impériale

Les colonisateurs, obsédés par la quête de puissance et de prestige, s’étaient laissé convaincre que leur mission allait les réparer. En imposant l’ordre, la culture et les principes occidentaux sur des peuples perçus comme inférieurs, ils pensaient pouvoir, en quelque sorte, guérir leurs frustrations – et que ces gestes violents étaient justifiés par des principes de progrès et de bienveillance. Ils voulaient guérir cette impuissance collective, cette angoisse de se retrouver relégués dans un monde qui échappait à leur contrôle.

Mais au lieu d’apporter des solutions, la colonisation a détourné les tensions internes de l’Europe vers un exutoire extérieur : les colonies sont devenues les patients invisibles d’un empire malade, où l’exploitation et l’humiliation servaient de catharsis pour des frustrations profondes. Chaque domination était un moyen de compenser une faiblesse, un reflet d’une insécurité collective qui s’exprimait par la force plutôt que par la compréhension. L’exemple même de la «mission civilisatrice» en devient le symbole par excellence : un mécanisme psychologique de défense, où l’agression prend le visage de la vertu.

Le retour du refoulé

Aujourd’hui, bien après la fin de l’empire, les symptômes du traumatisme colonial sont toujours là, à la surface de nos sociétés modernes. Ils apparaissent sous forme de fractures sociales, de discriminations raciales et de résurgences de stéréotypes liés à l’Autre, l’immigré, le «sauvage» – cette figure mythifiée et stéréotypée qui continue de hanter l’imaginaire collectif. Ce n’est pas un hasard si, dans de nombreux débats contemporains, les termes de race, identité et exclusion restent des sujets brûlants.

La véritable question qui émerge est donc celle de la guérison : peut-on se libérer des fantômes de la colonisation, et si oui, comment ? Si la colonisation a été une thérapie violente, un acte de projection collective, comment aujourd’hui guérir cette psyché collective ? Peut-on espérer un jour que les fractures créées par l’impérialisme se referment, ou sommes-nous condamnés à vivre dans une névrose collective, héritée d’une époque où l’Occident s’est vu grandir sur la douleur des peuples qu’il dominait ?

La névrose impériale toujours vivante

Il faut bien l’admettre : l’Empire, dans ses dernières heures, n’était plus qu’un mélange de haine, de déni et de désespoir, où l’homme blanc se sentait tout puissant en niant l’existence de l’Autre. Mais ces pouvoirs ne se sont pas évaporés avec la fin des colonies. Le processus de désintégration de l’empire, loin de le libérer, a simplement laissé une cicatrice béante dans l’histoire des peuples concernés. L’impérialisme a ainsi laissé une trace psychologique indélébile, à la fois sur les colonisés et sur les colonisateurs.

Les cicatrices de la colonisation ne sont pas seulement visibles dans les ex-colonies, elles hantent aussi le cœur de l’Empire, dans les rapports sociaux, les discours politiques, et même dans la culture populaire. Et malgré tous les efforts pour «tourner la page», la question de l’impuissance impériale, de la violence déguisée en mission civilisatrice, demeure toujours pertinente. Comme si, dans les plis de l’histoire, l’Europe n’avait jamais cessé de vouloir guérir son mal-être en dominant.

«La mission civilisatrice ? Une thérapie de groupe où l’on soigne son impuissance en violant le monde.» Voilà un constat qui, loin de se refermer, est plus que jamais d’actualité.

A. B.

Comment (9)

    Anonyme
    20 mai 2025 - 9 h 47 min

    IGNOBLE dites vous, et la colonisation arabe c’est quoi ?

      Anonyme
      20 mai 2025 - 15 h 46 min

      @ Anonyme 20 mai 2025 9h – 47 min.
      L’Algérie pays Imazighen ou berbère si vous voulez n’est pas concerné par la colonisation arabe. Vous n’avez qu’à le dire aux arabes

    Terrien
    20 mai 2025 - 9 h 33 min

    Pourquoi l’Amérique a-t-elle abandonné sa politique étrangère traditionnelle, qui consistait à ne pas s’impliquer dans la politique des puissances européennes ? À quelques exceptions près, c’était la politique étrangère de l’Amérique depuis la fondation de notre République jusqu’à la fin du XIXe siècle, lorsque la poursuite de l’Empire par l’Amérique a commencé. La politique traditionnelle était résumée dans la célèbre déclaration de John Quincy Adams dans son discours du 4 juillet 1821, jour de l’indépendance : « L’Amérique ne va pas à l’étranger à la recherche de monstres à détruire. Elle est la bienfaitrice de la liberté et de l’indépendance de tous. Elle n’est le champion et le défenseur que des siens. Elle recommandera la cause générale par l’expression de sa voix et la sympathie bienveillante de son exemple. Elle sait bien qu’en s’enrôlant une fois sous d’autres bannières que les siennes, fussent-elles celles d’une indépendance étrangère, elle s’impliquerait, sans pouvoir s’en dégager, dans toutes les guerres d’intérêts et d’intrigues, d’avarice individuelle, d’envie et d’ambition, qui prennent les couleurs et usurpent l’étendard de la liberté. Les maximes fondamentales de sa politique passeraient insensiblement de la liberté à la force. Le bandeau sur son front ne rayonnerait plus de la splendeur ineffable de la liberté et de l’indépendance ; à sa place se substituerait bientôt un diadème impérial, brillant d’un éclat faux et terni, de l’éclat trouble de la domination et du pouvoir. Elle pourrait devenir la dictatrice du monde. Elle ne serait plus la souveraine de son propre esprit ».

    Bien sûr, on ne peut pas reprocher à Wilson notre poursuite de l’Empire en 1898. La responsabilité première en incombe à Theodore Roosevelt et à ses alliés. Mais la politique d’implication dans la politique de puissance européenne a fait un pas de géant lorsque Wilson, anglophile invétéré, a suivi une ligne de conduite peu neutre après le déclenchement de la Première Guerre mondiale en août 1914. Bien qu’il ait exhorté l’Amérique à rester neutre en pensée, en parole et en action, Wilson a rapidement fait pencher notre politique étrangère en faveur de la cause britannique. Il a insisté pour que les Allemands respectent strictement la neutralité américaine tout en étant de connivence avec le blocus britannique illégal de l’Allemagne, un blocus responsable d’un grand nombre de morts de faim.

    GE
    20 mai 2025 - 8 h 58 min

    Combien de temps les colons arabes sont restés en espagne, les colons ottoman en europe centrale ou en grèce ? ? ?

      Terrien
      20 mai 2025 - 10 h 37 min

      @GE, commenter c’est bien, faire justice à l’histoire cést éclairer, je suis stricto-senso algérien, mais les « colons » n’étaient pas arabes, les pogroms et les massacres ne sont pas signalés. Ne pas mélanger les genres, les Ottomans en Europe centrale c’est une toute autre histoire.

    reillant
    20 mai 2025 - 8 h 57 min

    Nous ne devons pas nous mêmes être amnésique sur les 700 ans de colonisation de l’Espagne par les Musulmans d’Afrique du Nord

      sagat06
      20 mai 2025 - 10 h 01 min

      Comment oser comparer Al-Andalus à la colonisation française de l’Algérie ??

      Les civils n’ont jamais été des cibles lors de la conquête de l’Ibérie, ni de près ni de loin. Contrairement à la colonisation française qui a massacré indistinctement jusqu’à 1/3 des algériens de l’époque. Même si les chiffres sont à caution, la réalité des massacres de masse est indéniable !!

      Les batailles lors de la conquête de l’Andalousie se faisaient entre combattants officiels et dans les codes de la Guerre de l’époque en respectant les obligations coraniques. Puis une fois vainqueur les musulmans n’ont jamais infériorisé sous l’équivalent d’un code de l’indigénat les chrétiens et juifs présent sur place, qui ont pu garder leurs biens, la plupart de leur terre et leur pratique religieuse. Jamais ils ont été victime d’une déculturation et d’un effacement de leur mémoire comme la France a tenté de le faire en Algérie

      Comparer l’incomparable, il fallait oser !

      Anonyme
      20 mai 2025 - 13 h 01 min

      Ce n’est pas les musulmans de l’AFN mais ceux du non Maghreb!

    LES FRANCAIS SONT EN RIEN DES NOBLES MAIS DES IGNOBLES
    20 mai 2025 - 8 h 46 min

    L’impuissaance des francais emane de leur histoire culture vide ainsi qu’un historique d’esclavage quils cherchent a camoufler a tout prix. les esclaves francaises se vendaient aussi bien a alger que du cote d’istanbul meme si alger etait la capitale de lesclavage des européennes. Il faut rappeler aux francais et aux européens que nous sommes leur maitres et que par consequent le Coran en lui même ^parle de lesclavage a travers plusieurs versets :
    Sourate An-Nisa (4:36)
    « Adorez Allah et ne Lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté envers vos parents, les proches, les orphelins, les pauvres… et envers ceux que votre main droite possède [esclaves]. »
    Sourate Al-Baqara (2:177)
    « [La piété] consiste à… dépenser ses biens pour l’amour d’Allah… pour affranchir les esclaves… »
    Sourate Muhammad (47:4)
    « Puis, ensuite, soit [vous les] libérez gratuitement, soit contre rançon, jusqu’à ce que la guerre dépose ses fardeaux… »
    Sourate At-Tawba (9:60)
    « [Les aumônes] sont destinées… à ceux qui sont enchaînés [esclaves ou prisonniers à libérer]… »

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