Exclusif – Maître Aoudia : «Retailleau encourt trois ans d’emprisonnement !»
Par Abdelkader S. – Maître Khadija Aoudia est optimiste quant à l’aboutissement de la plainte qu’elle vient de déposer contre le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, pour incitation à la haine. Interrogée par Algeriepatriotique, l’avocate d’origine algérienne a expliqué que le locataire de la place Beauvau encourt une peine de trois ans d’emprisonnement et une amende de 75 000 euros. A la question de savoir si un tel verdict est possible ou si la plainte n’est qu’une action symbolique, Maître Aoudia a expliqué que son objectif était de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), «pour obtenir la condamnation de l’Etat français pour violation de l’article 6» de cette institution judiciaire. «Mais je dois préalablement épuiser toutes les voies de recours interne», a-t-elle souligné.
«Tenant compte du faible taux de condamnation devant la Cour de justice de la République, nos chances de succès devant cette juridiction sont quasi inexistants», a-t-elle relevé, en précisant toutefois qu’un observateur de l’ONU était présent à la conférence de presse qu’elle animée pour annoncer le dépôt de plainte. Ce dernier, a-t-elle fait savoir, soutient la présente procédure et la portera au sein des Nations unies pour des poursuites contre l’Etat français. «Nos chances de succès sont réelles et sérieuses devant les instances européennes et internationales», a encore affirmé la bâtonnière du barreau de Nîmes.
«La plainte en question vise des faits constitutifs d’une infraction pénale commise par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions», relève Maître Khadija Aoudia dans sa plainte, en mettant en avant le fait que les propos tenus par Bruno Retailleau «engagent sa responsabilité pénale ministérielle, [à partir du moment où] ils sont prononcés publiquement dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions». Pour elle, l’ensemble des déclarations de Retailleau «ne peut plus être considéré comme une simple opinion politique», en ce sens que ces déclarations «répondent aux critères légaux et jurisprudentiels du délit de provocation publique à la discrimination».
«Dans une démocratie fondée sur la prééminence du droit, laisser impunis de tels propos au prétexte de leur origine ministérielle revient à opérer une redéfinition pernicieuse des normes. La frontière entre le discours républicain et l’incitation à la haine se brouille : la justice est désarmée, les victimes sont affaiblies et l’espace public est transformé en théâtre d’injustices normalisées», fait constater Maître Aoudia, convaincue que «c’est ainsi que le délit de provocation publique à la haine et à la discrimination se trouve progressivement vidé de sa substance», dès lors qu’«il n’est plus perçu comme une faute grave, mais comme un simple écart de langage réservé aux puissants». «A force de tolérance sélective, la République organise sa propre contradiction : elle proclame l’égalité, mais admet que l’inégalité naisse dans la bouche même de ses représentants les plus éminents», argumente-t-elle.
«En laissant un ministre s’exprimer dans des termes portant atteinte à la dignité d’une partie de la population, en l’espèce les citoyens de confession musulmane ou issus de l’immigration algérienne et afghane, l’Etat cautionne implicitement l’impunité des discriminations raciales et religieuses lorsque sont visées les personnes supposées ou avérées de confession musulmane», objecte l’avocate, pour laquelle «l’ensemble de ces propos et décisions participent d’une entreprise cohérente de stigmatisation d’une partie de la population».
Me Aoudia explique, en outre, que les discours de Retailleau, «en ce qu’ils nient l’existence même de l’islamophobie, tout en tenant des propos qui en relèvent, constituent non seulement une provocation indirecte à la haine, mais également un dévoiement des principes républicains de neutralité, d’égalité et de respect des convictions». «Il engage, poursuit-elle, sa responsabilité pénale et politique à double titre : d’une part, pour avoir contribué, par sa parole, à la diffusion d’un climat d’hostilité à l’égard de certaines composantes de la population nationale ; d’autre part, pour avoir méconnu, dans l’exercice de ses fonctions, les normes constitutionnelles et conventionnelles qui s’imposent à tout détenteur de l’autorité publique.»
«L’infraction de provocation à la haine ou à la discrimination est constituée dans tous ses éléments : matériel, en ce qu’elle repose sur des propos publics, directs ou indirects, diffusés à large échelle ; et intentionnel, en ce que les déclarations s’inscrivent dans une stratégie idéologique assumée et mise en œuvre depuis l’appareil de l’Etat», conclut Maître Khadija Aoudia.
Victime de menaces et d’insultes, Maître Aoudia est soutenue par la Conférence régionale des bâtonniers du Grand Sud-Est et de la Corse, «suite au déclenchement de propos haineux et racistes proférés à son encontre», lit-on dans un communiqué rendu public ce samedi. La corporation «condamne avec la plus grande fermeté de tels comportements intolérables, visant à intimider et porter atteinte à un avocat agissant dans l’exercice de ses fonctions».
A. S.
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