Le royaume fissuré

Maroc Israël
Manifestation à Rabat contre la normalisation. D. R.

Par Mohamed El-Maadi – Depuis la normalisation des relations entre le Maroc et Israël en décembre 2020, le régime de Mohammed VI semble avoir engagé une course en avant, dont il ne maîtrise plus les effets. Loin de se limiter à une coopération économique ou militaire classique, cette alliance est en train de provoquer un déséquilibre structurel au sein même du pouvoir marocain, fondé sur des équilibres précaires entre cour royale, services sécuritaires, grandes familles et notables religieux. L’intrusion massive de l’appareil israélien dans les rouages du Makhzen a fracturé ces équilibres, provoquant des tensions internes dont les premières secousses sont déjà visibles.

Le système marocain fonctionne depuis des décennies sur une base féodale et tribale, où chaque acteur du pouvoir – famille royale, hauts gradés de la gendarmerie, dignitaires religieux, puissants clans économiques – a sa place, ses privilèges et surtout ses frontières. L’arrivée brutale d’un partenaire israélien omniprésent dans le renseignement, la cybersécurité, la formation policière, les affaires stratégiques (via NSO Group, AGT, ou encore des coopérations militaires directes) a introduit un corps étranger dans cet organisme politique fermé.

Comme toute greffe non maîtrisée, elle crée un rejet, silencieux mais profond. Ce déséquilibre n’est pas seulement institutionnel, il est psychologique : la monarchie, pilier de la stabilité apparente du royaume, est aujourd’hui perçue par certains cercles du pouvoir comme ayant cédé une partie de sa souveraineté à une puissance étrangère aux ambitions opaques.

Ce malaise transparaît dans la rue. Depuis octobre 2023, des milliers de Marocains ont manifesté dans les grandes villes pour dénoncer la normalisation avec Israël, en particulier dans le contexte de la guerre à Gaza. À Tanger, le port est devenu un symbole de la contestation. Ces mouvements, bien qu’encadrés, ont révélé l’ampleur du rejet populaire de cette politique d’alignement. Le divorce entre le peuple et la politique étrangère royale est consommé.

Mais, au-delà du peuple, ce sont les élites traditionnelles qui grondent en silence. Certains clans, autrefois loyaux au roi, voient d’un très mauvais œil les avantages accordés aux acteurs israéliens dans des secteurs sensibles. L’armée, notamment, semble divisée entre factions pro-occidentales et nationalistes. Des diplomates chevronnés, en poste depuis des décennies, ont été brutalement écartés ces derniers mois au profit de nouveaux réseaux liés à Tel-Aviv.

A cela s’ajoute une crise économique persistante : chômage des jeunes supérieur à 30% dans certaines régions, inflation sur les produits de base, accès aux soins et à l’éducation en chute libre. Selon la Confédération démocratique du travail, le modèle marocain est «verrouillé par les rentes et les ententes opaques». Le mécontentement social s’intensifie, mais le régime préfère réprimer que réformer.

La monarchie tente de masquer ce malaise par une posture agressive envers l’Algérie. L’instrumentalisation du MAK – mouvement séparatiste kabyle financé par des circuits opaques, dont certains sont liés à des figures sulfureuses comme Mustapha Bouizid alias Aziz, intermédiaire franco-marocain au passé trouble – n’a d’autre but que de détourner l’attention des failles internes du royaume.

Mais ce jeu dangereux pourrait se retourner contre le Maroc. En croyant affaiblir l’Algérie à distance, le régime de Rabat a ouvert ses portes à une influence israélienne qui fragilise de l’intérieur les piliers de son propre pouvoir.

En intégrant Israël au cœur de son appareil, le roi Mohammed VI a cru s’assurer d’un appui inconditionnel des Etats-Unis dans le dossier du Sahara Occidental. Mais en négligeant les équilibres internes du Makhzen, en méprisant les attentes du peuple marocain et en alimentant une politique de diversion agressive envers ses voisins, il a commis une erreur historique.

L’histoire du Maroc montre que les vraies secousses viennent rarement de l’extérieur : elles naissent dans l’ombre des palais, là où les alliances mal digérées créent des appétits de revanche.

M. E.-M.

Comment (2)

    Bataille D'Alger
    22 mai 2025 - 14 h 24 min

    C’est la dislocation du marrouk qui est en marche.

    Madjoun
    22 mai 2025 - 13 h 59 min

    Le maroc est désormais un royaume postérieur divisé en deux et naturellement le roi se trouve au centre.
    Conprenne qui voudra.

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