Militarisation forcée
Par Mohamed El-Maadi – «La défense est la forme la plus forte de la guerre.» (Carl von Clausewitz.) Par-delà les comparaisons actuelles entre l’armée algérienne et les troupes de Mohammed VI, un fait central demeure trop souvent oublié : la militarisation de l’Algérie n’a jamais été un choix, mais une nécessité imposée dès les premières années de son indépendance par la politique agressive du Maroc voisin. Il est temps de rappeler que l’Algérie est devenue une puissance militaire non par goût de l’armement, mais parce qu’elle a failli perdre une partie de son territoire un an à peine après son accession à la souveraineté. Cette vérité historique, soigneusement effacée des récits officiels marocains et marginalisée dans certains cercles occidentaux, est pourtant fondatrice de l’architecture de défense algérienne contemporaine.
En octobre 1963, moins de quinze mois après l’indépendance, le Maroc lance une opération militaire contre l’Algérie, prétendant «récupérer» les régions de Béchar et de Tindouf. L’attaque est brutale, opportuniste, menée alors que l’Algérie panse à peine les plaies d’une guerre coloniale dévastatrice. A Tindouf, des éléments marocains hissent même le drapeau chérifien, dans une tentative manifeste d’annexion territoriale. Ce geste, souvent minimisé par la propagande marocaine, représente une véritable agression contre l’intégrité du territoire algérien. N’eût été l’intervention courageuse et rapide des anciens maquisards de l’ALN, mal équipés mais aguerris, Tindouf aurait pu basculer dans le giron marocain. L’Algérie, dès lors, comprend une chose essentielle : sa survie passe par la construction d’une armée forte, disciplinée, souveraine et dissuasive.
Loin des regards médiatiques, l’Algérie consacre la décennie suivante à bâtir une armée nationale digne de ce nom, avec un double objectif : ne plus jamais être surprise, et ne plus jamais dépendre d’un autre Etat pour sa sécurité. Sous la houlette du haut commandement, une doctrine de défense prend forme : défensive, non-alignée, souverainiste. L’Algérie s’équipe, forme ses cadres, consolide son territoire et développe une culture stratégique profondément ancrée dans la dissuasion.
La coopération militaire avec l’Union soviétique donne accès à des équipements modernes, mais l’Algérie reste attachée à son autonomie doctrinale. Elle ne copie pas, elle adapte. Contrairement à d’autres armées africaines, l’Armée nationale populaire (ANP) n’est jamais devenue un appendice d’une puissance étrangère, ni un jouet de factions rivales. Elle se structure, se professionnalise, se moralise. Et surtout, elle n’oublie ni Béchar, ni Tindouf.
En janvier 1976, l’Histoire se répète. Des soldats algériens – des unités de logistique non combattantes – sont envoyés à Amgala, en territoire sahraoui, pour porter assistance humanitaire aux réfugiés du Front Polisario. Ils sont encerclés, attaqués, faits prisonniers par l’armée marocaine, dans ce qui s’apparente à une véritable embuscade planifiée. Cette trahison provoque la colère du commandement algérien. En réponse, le 17e Régiment parachutiste de Biskra est déployé, et la riposte est fulgurante, chirurgicale, sans appel. Le message est clair : toute attaque contre un soldat algérien, fut-il cuisinier ou logisticien, recevra une réponse d’une intensité dissuasive.
Depuis Amgala, plus aucun soldat algérien n’a été ciblé impunément car le Maroc a compris ce que la guerre des Sables avait déjà annoncé : l’Algérie ne pardonnera jamais une atteinte à sa souveraineté.
Aujourd’hui, certains commentateurs s’étonnent de voir l’Algérie dotée d’une armée puissante, technologiquement avancée, aux manœuvres indépendantes, aux chaînes de commandement fluides. D’autres feignent de s’inquiéter de cette montée en puissance. Mais ils oublient que cette force n’est pas offensive : elle est défensive, préventive, existentielle.
Contrairement à d’autres armées de la région, l’ANP ne bombarde aucun voisin, n’occupe aucun territoire, n’abrite aucune base étrangère. Sa force repose sur une équation simple : l’Algérie veut la paix, mais est prête à la guerre. C’est ce qui en fait une puissance respectée, non redoutée. Une armée de stabilité, non d’ingérence.
Elle inspire confiance à ses partenaires européens, africains, asiatiques. Et dans un monde où les alliances sont mouvantes et les fidélités achetées, l’indépendance stratégique algérienne est devenue un modèle pour de nombreux Etats du Sud.
Tant que l’on oubliera que Tindouf a failli tomber, que des soldats algériens ont été trahis à Amgala, que la guerre des Sables a précédé toute rivalité saharienne, on continuera de mal lire la vocation militaire de l’Algérie. La vérité est simple : si l’Algérie est aujourd’hui une puissance militaire africaine, c’est parce qu’elle a été agressée dès son indépendance.
C’est ce que l’histoire impose de retenir. Et c’est ce que le futur exige de ne jamais oublier.
M. E.-M.
Comment (5)