Trump, sa bombe GBU, Iran, les échecs et les mille et une nuits…
Une contribution d’Ali Akika – Sun Tzu, auteur de L’Art de la guerre, dit : «L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat.» Mais Trump ne se soumet surtout pas aux réalités de la guerre, il préfère se baigner avec délectation dans les délires de l’imagination. Ainsi, alors que les bombardiers qui ont anéanti, selon lui, les installations nucléaires, n’étaient pas encore rentrés dans leurs bases, il fit les déclarations suivantes : «Nous avons mené à bien une attaque très réussie contre trois installations nucléaires en Iran. Toutes les représailles de l’Iran contre les Etats-Unis seront accueillies avec une force bien plus importante que celle dont vous avez été témoin ce soir.» Sa prise de parole publique déclencha une polémique qui allait enfler et s’enflammer à la suite des fuites provenant d’un service de renseignement américain. La polémique a surgi grâce à une journaliste de CNN.
Lors d’une conférence de presse de Trump qui assistait aux rencontres de l’Otan, ladite journaliste posa une question qui contredisait les affirmations plus qu’optimistes sur les résultats du bombardement des installations nucléaires. Furieux, le président américain la traîna dans la boue, l’insulta et demanda même le licenciement de la pauvre et néanmoins courageuse journaliste. Le lendemain, le 27 juin, le Guide de la Révolution iranienne apparut à la télé, sa parole rare et attendue, était sans appel, les Etats-Unis ont reçu une gifle, dit-il, en réponse à leur propre agression et leur soutien à Israël. La prise de position de Khamenei se diffusa à la vitesse de la lumière et arriva comme de juste aux oreilles de Trump. Avec sa délicatesse légendaire et son vocabulaire fleuri, il répondit que ce monsieur, respecté chez lui, a reçu une raclée et a eu la vie sauve grâce à lui. Pareil barnum autour de résultats des bombardements des Américains n’a d’autres raisons que celles de masquer des faits et événements qui dévoileraient l’échec d’une opération saluée par les tambours de la désinformation.
Derrière la guerre faite à l’Iran, l’aide politique et militaire des Américains à Israël, sans accord du Congrès américain, renseigne sur la face cachée de la préparation en commun d’une telle opération qui ne peut s’improviser. Nous assistons là à un tournant stratégique et politique des Etats-Unis dans le Moyen-Orient en relation avec leur ultime objectif, la neutralisation de la Chine dans l’Indo-Pacifique. L’entrée en guerre des Etats-Unis pour détruire les installations nucléaires d’Iran avec des armes jusqu’ici jamais utilisées est le signe que les Etats-Unis et Israël attachent la même importance politique et stratégique à la neutralisation de l’Iran. Nous verrons plus loin les intérêts spécifiques des deux alliés dans une pareille aventure. Mais auparavant quelques mots sur cette nouvelle arme américaine utilisée dans la séquence de guerre préventive initiée par Israël…
Le bombardier B2, la bombe GBU-57A/B et autre Orechnik
Le couple formé par le bombardier B2 et la bombe GBU-57A/B pesant 14 tonne est «atypique» et unique. Ces deux nouvelles armes restent conventionnelles en dépit de leur caractère de destruction massive, sans faire appel cependant aux bombes atomiques. Cette bombe et cet avion existent depuis un certain temps dans l’armée américaine mais n’avaient jamais été expérimentés, et encore moins utilisés. Leur utilisation grandeur nature, et sur un champ de bataille dans les conditions d’une vraie guerre, est un atout non négligeable. Avec cette utilisation «réussie» en Iran, les Américains comblent leur petit retard par rapport aux Russes et leurs fameux Orechnik hypersoniques. Comme par hasard, cinq jours après le bombardement américain des installations nucléaires iraniennes, le président Poutine annonce que son pays va fabriquer industriellement les missiles Orechnik, avec le message crypté aux Américains. Votre bombardier B2 coûtant 2 milliards de dollars et ses bombes tout aussi chères relativement et nécessitant une mission aller-retour de 37 heures, un laps de temps pendant lequel nous pouvons envoyer une pluie de missiles partout dans le monde. A travers cette course et rivalité entre bombe GBU et avion B2 et missile Orechnik, Américains et Russes se donnent les moyens de faire la guerre conventionnelle sans avoir recours à l’arme nucléaire.
Rappelons que Trump voulait en finir avec la guerre en Ukraine en faisant des «cadeaux» à Poutine. Il lorgnait les richesses de la Russie tout en espérant détacher ce pays de la Chine, le cauchemar des Américains depuis la fin de la guerre du Vietnam. A l’évidence, l’idylle entre Trump et Poutine est finie, et bien finie, surtout que la Russie et la Chine, entre temps, ont noué des relations solides avec l’Iran qui a un poids considérable dans le Moyen-Orient. Le trio Russie, Chine et Iran ayant de bonnes relations avec l’Arabie, autre pays qui compte, introduit des données nouvelles qui bousculent les calculs des Etats-Unis. Jusqu’ici, les Américains tenaient les bras d’Israël qui voulait détruire les installations nucléaires de l’Iran.
Après l’échec de détacher la Russie de la Chine, le désengagement des Etats-Unis de l’Europe et la défaite annoncée de l’Ukraine, l’Oncle Sam se met à l’écoute des angoisses d’Israël pour régler les comptes à l’Iran et faire sauter le trio Russie-Chine-Iran. Dans la guerre qui a été préparée depuis belle lurette, l’Oncle Sam et son allié indéfectible nouent l’accord qui sied à l’un et à l’autre. Détruire les installations nucléaires, une menace «existentielle» pour Israël et décapiter la tête de l’Etat iranien. Rappelons qu’en 1953, la CIA a décapité le régime de Mossadegh qui nationalisa le pétrole, le nucléaire de l’époque. Le scénario d’aujourd’hui a été mis en application entre le 13 juin et le 22 juin, douze jours de guerre qui rappelle la guerre des Six Jours. Comparaison n’est pas raison et la médiocre trouvaille de la société du spectacle, éphémère par nature alors que l’histoire a une autre nature, elle se confond avec le temps. La preuve, ces douze jours de combats se sont arrêtés sans aucun accord de signer mais imposer à Netanyahou par la fureur de Trump qui l’exprima en direct à la télé en donnant l’ordre de faire revenir ses bombardiers en partance vers l’Iran.
L’Iran, quant à lui, avait affirmé qu’il cessera le combat quand Israël arrêtera ses actes d’agression. Et le 27 juin, Trump fit une proposition qui se noya parmi ses innombrables et quotidiennes déclarations. Et cette proposition était une alternative à l’Iran consistant à abandonner le nucléaire et bénéficier de 30 milliards de dollars généreusement financés par les pays du Golfe. Cette offre est la preuve que les installations nucléaires n’étaient pas anéanties et que les 30 milliards reçurent la réponse d’un grand peuple sous la forme d’une phrase : «Nous avons sacrifié notre sang pour notre terre, et l’Iran, dans son histoire, il n’y a pas de trace de capitulation.»
La nouvelle carte géostratégique du Moyen-Orient
Netanyahou, après son attaque surprise du 13 juin et quelques gains tactiques limités dans le temps, a cru fanfaronner, comme à son habitude, en disant qu’il allait changer le Moyen-Orient. Mais avant lui, tant de dirigeants israéliens en ont rêvé, faisant appel à la force comme Sharon ou au développement économique comme Pérez, mais les peuples sont toujours là et la lutte continue. Et c’est Netanyahou, contrairement à ses prédécesseurs, qui a, le premier, assisté au spectacle jamais vu dans ses villes en ruine et dont les habitants passaient leurs nuits dans des abris préparés ou bien improvisés, métro, parkings, etc. Excité par ses illusions de conquête facile, il ne cesse de courir derrière des «victoires», mais comme Sisyphe de la mythologie, il se fatiguera et saura que son univers mental se nourrit d’illusions alors que les peuples transmettent les clés du futur, héritage d’une histoire née et enracinée dans une terre qu’ils n’ont jamais quittée.
Ainsi, la carte de la région qu’il rêve de dessiner va nécessiter la traversée des fleuves, escalader des montagnes, sauter par-dessus des ravins, autant de lieux défendus par leurs habitants. Gaza donne l’exemple déjà, et l’Iran confirme que les chimères sont du côté des conquérants. Après les illusions de ces derniers, alors que la muraille de l’histoire protège les peuples de la région, voyons les acteurs qui vont influer sur la géostratégie de la région. Il y a évidemment la puissance américaine déjà sur place et deux autres puissances voisines par la géographie, la Russie et la Chine. Jusqu’ici, les Etats-Unis se contentaient d’assurer la stabilité du Moyen-Orient pour se consacrer à leur objectif et dessein forcenés, contenir la Chine et demeurer la première puissance du monde. Mais la contenir par la force de la paix ou la paix par la force, oxymores bébêtes, ça marche dans les forums mais pas chez les peuples qui connaissent les atrocités de la guerre tout en chérissant la paix.
Avec l’agression israélienne soutenue militairement par les Américains en bombardant l’Iran avec une arme jamais utilisée, la Russie et la Chine, généralement peu «guerrières» dans leurs expressions diplomatiques, la guerre entamée le 13 juin les a fait sortir de leur sagesse habituelle. Le ministre chinois des Affaires étrangères a dit sans ambages : «La Chine ne restera pas les bras croisés.» Quant au président chinois, Xi Jinping, il téléphona à Poutine, son homologue russe. Lequel reçut le ministre iranien des Affaires étrangères au lendemain du bombardement des installations nucléaires de l’Iran. Ce ballet diplomatique est le signe que l’affaire est sérieuse car les conséquences de cette guerre sur l’Ukraine et dans l’Indo-Pacifique créent une situation dangereuse.
Ce Moyen-Orient, que les Américains se contentaient de stabiliser pour protéger leurs clients, n’est plus totalement dans les cordes de l’Oncle Sam. On comprend dès lors pourquoi les Américains ont sorti leurs bombardiers B2 capables de voler 37 heures sans escale. Certainement pas pour faire plaisir à Netanyahou mais sûrement pour tester les capacités de leurs bombes GBU qui pourraient devenir une bombe tactique comme on parle de bombe nucléaire tactique. Il est probable que le cirque clownesque sur les résultats du bombardement en Iran cache des enjeux autour des doctrines militaires construites autour des relations entre les armes conventionnelles et le nucléaire. On sait, par exemple, que la Chine s’est engagée à ne jamais utiliser la première la bombe atomique. Ce n’est pas le cas des Etats-Unis (comme d’autres) qui ne s’interdisent pas l’emploi de l’arme nucléaire tactique, mais préfèrent entretenir le doute sur le nucléaire stratégique. Bref, ces changements dus aux nouvelles armes, bombe GBU américaine et Hoshnicks russe, le armes Laser et l’Intelligence artificielle, vont investir et influencer le champ de bataille au Moyen-Orient comme ailleurs…
Il est facile de deviner que la hantise des guerres nucléaires et l’incertitude de gagner une guerre conventionnelle avec des armes à la portée des puissances militaires nombreuses ont poussé l’Amérique à utiliser une autre stratégie. La CIA a bien inventé et réussi parfois le soft power pour renverser des régimes qui ne courbent pas l’échine, l’Etat profond géré par la finance et l’économie perfectionne l’arme de s’accaparer des gisements d’énergies et de mettre des bâtons sur les routes de commerce que construit la Chine. Rappelons que Trump a menacé l’Iran de vendre son pétrole et, sans le dire, il s’adresse à la Chine qui importe les trois-quarts de son pétrole d’Iran. A défaut d’aller à la guerre contre la Chine, l’Oncle Sam et le pragmatisme américain conseillent la maîtrise de routes, ports, détroits pour «embêter» la Chine.
En guise de conclusion, on peut d’ores et déjà dire que la guerre peut reprendre à tout moment si les menaces et autres mensonges ne produisent pas des effets et n’impressionnent pas l’Iran. Car l’inflation des mots ronflants n’ont jamais accouché de «victoires». Les auteurs de cette inflation de mots avouent leur impuissance à se connecter avec la réalité et donc de dire le vrai. Certes, les poètes avec la beauté de leur langue et la richesse de leur vocabulaire savent «mentir vrai» pour accoucher de la vérité. Mais ce tour de force, ils le réussissent car ils savent conjuguer le mot juste avec une pensée féconde, loin du spectacle lamentable des bateleurs du monde médiatique. Aussi allons-nous nous retrouver avec une reprise de la guerre quand la guerre des mots n’imprime que zéro pointé sur la réalité, quand Trump dit que les Iraniens ont demandé à reprendre les négociations, etc. Alors que les Iraniens avec la subtilité et le talent de leur diplomatie ont répliqué qu’ils n’ont jamais quitté la table de négociation. La première fois en 2018 quand Trump a déchiré le traité d’accord nucléaire signé par le conseil de sécurité de l’ONU et le 15 juin 2025 lorsque Netanyahou a «bombardé» le rendez-vous à Oman, en déclenchant une vraie guerre d’agression contre l’Iran. Voilà donc deux dates inscrites et entrées déjà dans l’histoire, et qu’on ne vienne pas raconter des balivernes à des gens qui ont inventé les échecs et la région qui a fait hériter l’humanité des «Milles et une nuits».
A. A.
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