La France en miettes
Par A. Boumezrag – Ah, la politique française ! Ce théâtre permanent où chaque acte est une comédie tragique, et chaque décret une promesse qui disparaît comme par magie. Lundi dernier, la scène s’est encore illuminée d’un spectacle digne d’un vaudeville : François Bayrou s’effondre, Matignon tremble et Emmanuel Macron, le capitaine à la barre, se retrouve… sans copilote. La France, elle, tangue comme un navire dont le gouvernail aurait été confisqué par des mains invisibles, et la République, eh bien, elle se ramasse en miettes.
Nommer François Bayrou Premier ministre semblait, pour certains, une idée audacieuse. Pour d’autres, c’était un pari digne d’un jeu de roulette russe politique. Le hasard a frappé : Bayrou a engagé la responsabilité du gouvernement sur un plan d’austérité drastique visant à réduire de dizaines de milliards le déficit de l’Etat. Résultat ? 364 voix contre, 194 pour. L’Assemblée nationale venait de lui rappeler que les chiffres froids et les avertissements alarmants sont moins convaincants que l’art de la politique de survie.
Pendant qu’il défendait son plan, Bayrou a peut-être cru que son éloquence suffirait à convaincre l’hémicycle. Erreur. Ici, les slogans et les alliances invisibles pèsent plus lourd que les mathématiques ou la gravité de la dette. Le modeste Bayrou s’effondre donc sous le regard d’un président qui applaudit… pour personne.
Emmanuel Macron, depuis l’Elysée, observe la scène comme un capitaine qui aurait perdu sa carte marine. Sans copilote, il navigue à vue, et la France tangue comme un navire dont le gouvernail a disparu. L’image est parfaite : un président isolé, des ministres interchangeables, une Assemblée fracturée, et un peuple qui regarde, perplexe, ce spectacle à la fois drôle et dramatique.
La macronie applaudit. Mais à quoi ? Les mains se lèvent dans le vide, la scène est vide de consensus, et le public – le citoyen – n’a droit qu’aux échos d’un applaudissement creux. Cynisme ultime : fêter un échec comme s’il s’agissait d’une victoire. Bienvenue dans la gouvernance spectacle, où la forme prime sur le fond et où les naufrages deviennent des tableaux vivants.
Depuis 2022, la France semble jouer à un jeu macabre : le manège des Premiers ministres. Attal, Barnier, Bayrou, Lecornu. Quatre chefs de gouvernement en moins de trente mois. A ce rythme, un abonnement Netflix ne serait pas plus long. Chaque Premier ministre est un épisode : l’histoire se répète, mais l’audience diminue. La morale ? Gouverner sous Macron, c’est accepter d’être remplacé plus vite qu’un chef pâtissier qui rate sa crème.
Et la République, dans tout ça ? Elle observe, impassible, tandis que ses institutions se fragmentent et que le dialogue social devient un sport extrême. Entre tempêtes budgétaires et crises parlementaires, la gouvernance française ressemble de plus en plus à un navire à la dérive dont le capitaine navigue au radar d’occasion.
Le plan de Bayrou, avec gel des pensions, réduction des effectifs publics et suppression de jours fériés, avait pour but de sauver l’Etat du gouffre budgétaire. Mais le Parlement, fidèle à sa tradition, a démontré que la pédagogie économique a ses limites. Une leçon simple : vous pouvez expliquer, démontrer, alerter, mais si le théâtre politique ne suit pas, vous n’êtes qu’un comédien parlant à des murs.
Et pendant ce temps, la macronie continue d’applaudir… pour personne. L’ironie atteint son paroxysme : célébrer un échec comme si c’était une prouesse, jongler avec des crises comme avec des balles enflammées, et espérer que personne ne remarque que le bateau prend l’eau.
Dans ce naufrage général, un autre défi reste largement ignoré : la relation avec l’Algérie. Macron a tenté quelques gestes symboliques, quelques phrases bien tournées, mais sans véritable stratégie de co-développement ou de partenariat durable. Cyniquement, on pourrait dire que gérer la dette nationale prend la priorité sur la diplomatie étrangère. Mais ignorer un voisin stratégique est une erreur de scénario que même le meilleur scénariste de comédie politique n’aurait pas osée.
Alors, faut-il rire ou pleurer ? Peut-être les deux. Car dans cette tragédie comique, Macron est seul à la barre, la France tangue sans gouvernail et la République, fidèle spectatrice, se fragmente doucement sous le poids des ambitions et des égos.
Gouverner à vue, applaudir un naufrage : bienvenue à l’enterrement de la Ve République, celle née de la Guerre d’Algérie, où le chaos est devenu spectacle et la dérive norme !
A. B.
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