Pour l’honneur de la justice, pour la mémoire de Kerroumi
Après 29 longs mois d’instruction, et alors que l’opinion s’attendait à ce que la lumière soit faite sur ce qui est désormais devenu «l’affaire Kerroumi», le procès de l’auteur présumé de l’assassinat n’a pas eu lieu. Il a été reporté sine die en raison du retrait des avocats de la défense. Ces derniers, en accord avec l’accusé qui n’a pas cessé de clamer son innocence, justifient ce retrait par des carences et autres vices de procédure qui annihileraient toutes chances de tenue d’un procès équitable et de faire, par conséquent, toute la lumière sur cette affaire pour le moins effroyable. Comment ne pas être troublé, voire même choqué, par les interrogations et demandes, somme toute légitimes, restées sans réponses, formulées par les avocats de défense et le père du jeune accusé ? Le doigt a bien été mis sur une foultitude de zones d’ombre, sur des vices de procédures, de dissimulation de pièces… Pourquoi refuse-t-on de verser au dossier la vidéo de l’hôpital dont la police a été destinataire et qui prouverait que l’accusé se serait présenté le matin même de l’assassinat du défunt au service des urgences à la suite d’un accident de moto ? De procéder à une contre-expertise des analyses ADN et à une enquête complémentaire demandée par la défense ? De mettre à la disposition des avocats de la défense l’historique complet et officiel (portant en-tête et cachet des opérateurs téléphoniques) des appels téléphoniques émis et reçus par le défunt depuis le jour de sa disparition jusqu’à la découverte de son corps ? Les enquêteurs, sur commission rogatoire, auraient bel et bien reçu ces relevés, mais pourquoi alors la défense et le père de la victime n’ont été destinataires que d’extraits non officiels traités préalablement ? Le journal de réception remis contient un étrange vide entre 12h01 et 20h46 le 19 avril 2011, jour de la disparition du défunt, alors que son épouse et ses amis affirment n’avoir eu de cesse de l’appeler. Pourquoi le juge a-t-il réservé une fin de non-recevoir ferme à la demande de la défense de convoquer à l’audience le médecin légiste ? Où sont, donc, passées la voiture du défunt et ses affaires restées introuvables à ce jour ? L’accusé serait passé aux aveux (sous la torture, dira-t-il à ses avocats, au procureur et au juge) et aurait ainsi reconnu le meurtre, mais a été incapable de dire où se trouvait la voiture. Comment ne pas être heurté et offusqué par la «fabrication» d’une version des faits publiée par un journal (selon) des sources présentées comme «crédibles et/ou autorisées» au tout premier jour de l’instruction ? Version, faut-il le souligner, corroborée après coup par la chambre d’accusation ! Usant d’amalgames, nourrissant la stigmatisation et l’opprobre dont font l’objet, hélas, certains groupes sociaux minoritaires qui devraient pourtant avoir les mêmes droits et libertés que les autres, les auteurs/promoteurs de cette version visaient à annihiler et étouffer dans l’œuf toute possibilité de sa contestation, de lui donner ainsi le statut de vérité vraie, de vérité révélée. Ce n’est ni un secret ni encore moins une médisance que de dire que la justice de notre pays a beaucoup, beaucoup de chemin à faire pour mériter la confiance des citoyens. Elle a tout à gagner aux yeux de l’opinion nationale et internationale à faire en sorte que des réponses, simplement des réponses, soient apportées aux questions posées et aux demandes formulées, et que la lumière soit faite sur cette affaire. J’ai connu Ahmed Kerroumi il y a de cela plus de 35 ans, je l’ai vu se battre pour ses idées en tant que représentant des étudiants, syndicaliste enseignant, je l’ai vu dispenser des cours de qualité en tant que professeur de philosophie, je l’ai vu exposer les résultats de ses travaux de recherche, je l’ai vu battre le pavé à chaque fois qu’il estimait cela nécessaire et je peux témoigner et dire haut et fort qu’il a été à la fois un «intellectuel total» et un «homme entier».
Noureddine Fethani
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