Moyen-Orient et Afrique du Nord : quelle langue commerciale commune ?

Il y eut un moment de brève confusion, lors de l’ouverture de l'atelier ministériel sur le commerce régional au Maghreb. Habib Ben Yahia, secrétaire général de l’Union du Maghreb arabe (UMA), s’est demandé à voix haute dans quelle langue il devait s’exprimer devant une assistance variée : en arabe, en français ou en anglais ? Aziz Rabbah, le ministre du Transport et de l’Équipement marocain, assis à ses côtés, a alors lancé : «Parlez la langue du commerce !» Cette répartie a servi de thématique à l’atelier : les discussions ont porté sur la façon dont le commerce rapproche les pays, en créant des régions plus solides et plus dynamiques et en permettant une meilleure intégration dans l'économie mondiale. Cependant, pour que cette langue commune prospère et puisse apporter de nombreux avantages, elle doit s’inscrire dans un environnement porteur, ce qui suppose de faciliter l’accès aux marchés régionaux par un cadre réglementaire commun et un réseau de transports assurant une circulation des biens rapide et efficace. L’atelier, organisé par la Banque mondiale avec l’appui du ministère du Transport et de l’Équipement marocain et de l’UMA, a passé en revue de nombreux exemples de régions parvenues à un meilleur niveau d'intégration grâce au commerce. Les bénéfices, qui sont manifestes, se traduisent par un accroissement du commerce intérieur et, plus important encore, une participation plus active et plus compétitive dans l’économie mondiale.
En matière d’intégration régionale, ce n’est pas l’envie qui a manqué aux pays du Maghreb. La région est déjà dotée d’une langue, d’une culture et d’une histoire communes, ce qui limite d’autant le nombre d’obstacles à lever. Habib Ben Yahia est revenu à plusieurs reprises sur la situation de l’UMA, dont la création a été scellée en 1989, mais dont la concrétisation, 23 ans plus tard, se fait toujours attendre. Un nouveau rapport de la Banque mondiale, présenté lors de l’atelier, signale également qu’en dépit des nombreuses affinités entre les États, l’absence de commerce intérieur est flagrante. Certes, un certain nombre de facteurs sont habituellement mis en avant pour expliquer le faible niveau des échanges à l’intérieur du Maghreb, comme l’absence d'une véritable dynamique de l’offre et de la demande, la prépondérance du secteur pétrolier dans les économies de l’Algérie et de la Lybie, ou encore le fait que les entreprises marocaines et tunisiennes privilégient les relations avec les partenaires européens, au détriment d’opportunités régionales. Cependant, plusieurs participants à l’atelier ont fait valoir que des complémentarités existent bel et bien, citant un fort potentiel commercial dans l’agriculture et le partage de production, à destination des marchés régionaux et extérieurs, dans les secteurs pharmaceutique et automobile, par exemple. Ralf-Michael Kaltheier, spécialiste des infrastructures à la Banque mondiale pour l'Amérique latine, a expliqué comment les pays d’Amérique centrale ont su accroître leurs échanges régionaux et leur intégration, et en quoi ce processus est complémentaire des liens importants qu’ils entretiennent avec leurs deux puissants voisins : le Mexique et les États-Unis. Aujourd’hui, 17 % du total du commerce de l’Amérique centrale concerne des échanges entre pays de la région (contre moins de 3 % pour le Maghreb).
Le Maghreb est également sensible à la question du commerce intérieur, dont l’atonie ne s’explique pas précisément par le principe de l'offre et de la demande. Hakim Marrakchi, un représentant du secteur privé marocain, a plusieurs fois employé le terme «d'incertitude». En privé, il reconnaît les bonnes relations avec les partenaires commerciaux de la région, mais hésite à les faire fructifier à cause du maquis réglementaire qui régit la production et les normes de qualité, et de la quasi-impossibilité d’en prévoir les modalités d'application. De nombreux accords régionaux destinés à favoriser l'intégration ont permis la réduction des droits de douane, mais leur effet est sapé par une série de règles et de normes redondantes qui, selon Mona Haddad, responsable sectorielle pour le commerce international à la Banque mondiale, créent un écheveau réglementaire. Cette situation défavorise le recours aux préférences commerciales et constitue l’un des principaux freins à l’essor du commerce régional. Elle complique et ralentit l’acheminement des marchandises, ce qui augmente par conséquent les coûts, et conduit in fine à la fabrication de versions multiples d'un même produit afin de répondre à la diversité des normes. À ces difficultés s’ajoutent la faiblesse des infrastructures et une pléthore de mesures non tarifaires qui sont autant d’entraves supplémentaires au commerce régional.
Ruth Banomyong, professeur à l’université Thammasat en Thaïlande, a souligné le rôle du secteur privé dans l’essor du commerce régional au sein de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Anase). Les groupes d’intérêts régionaux et nationaux ont milité pour des réformes réglementaires et des investissements infrastructurels qui ont eu pour effet une hausse du commerce intérieur (24% du volume total des échanges de l’Anase) et permettront, à terme, la création d’un marché commun. Du fait de son intégration régionale accrue, l’Anase est aujourd’hui beaucoup plus compétitive dans l’économie mondiale. Le processus d’intégration a en effet favorisé le développement de réseaux de production régionaux qui ont permis d’améliorer l’efficacité de la fabrication et de réduire le coût des biens à l’exportation.
L’adoption d’une langue commerciale commune s’impose au Maghreb. Elle passe par une uniformisation des normes et un dispositif réglementaire unique, afin de renforcer la confiance du secteur privé et de lui permettre de jouer un rôle similaire. Le Maroc et la Tunisie ont pris des mesures qui vont dans ce sens, avec pour résultat un accroissement des échanges bilatéraux. Cependant, comme l’a noté Abdemoula Ghzala, spécialiste principal des infrastructures à la Banque mondiale et responsable de l’équipe qui a produit l'étude sur le Maghreb, les réformes et les programmes sont d’autant plus efficaces qu’ils sont mis en œuvre de manière coordonnée et globale. La conclusion de ce rapport présente un plan d’action détaillé qui a fait l’objet d’une présentation lors de l’atelier. Ce plan peut servir de feuille de route à l’élaboration d’un cadre régional qui œuvrerait à l'élimination des barrières commerciales au Maghreb et au sein duquel les initiatives individuelles pourraient être renforcées, ce qui jetterait les bases d’une intégration économique accrue.
«Les pays du Maghreb ne soupçonnent pas l’ampleur de leur potentiel. La réduction des coûts des échanges à un niveau proche de celui des autres régions favoriserait l’établissement de chaînes d’approvisionnement qui renforceraient l’intégration des pays et leur permettraient de réaliser des économies d’échelle et de commercer de manière plus compétitive avec les autres marchés», estime Jean-François Arvis, économiste senior à la Banque mondiale et coauteur du rapport. « Ils doivent cependant agir de concert, afin d'éliminer les goulets d’étranglement qui affectent les échanges dans la région, comme ils ont su le faire pour faciliter les échanges avec l’Europe. Ces mesures complémentaires sont fondamentales.»
William Stebbins
 

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