Peut-on parler de l’échec du professionnalisme en Algérie ?

Parler du professionnalisme aujourd’hui, trois années après son lancement en Algérie, revient effectivement à aborder un sujet hautement sensible, tant le football est le cœur de la vie de la société et aussi le centre nerveux de la jeunesse, un support clé de civilisation et de progrès. Mais force est de constater qu’aujourd'hui, la pratique du professionnalisme n'a pu être appréhendée dans son vrai contexte et n’ayant pas donné lieu à une assise de management et d'ouverture économique consacrant les règles et les mécanismes de l'économie de marché. Par conséquent, l'ensemble des clubs sportifs professionnels se trouve au cœur d'une brûlante crise et pose trois problématiques importantes et complexes. En tout premier lieu, son application qui est restée jusque-là dans la forme et confuse dans le modèle dit sport amateur, dont notamment l’esprit et la culture du bénévolat persistant. En second lieu, le financement des clubs sportifs professionnels qui est au centre de cette crise agitant fortement et mis ces derniers dans une instabilité chronique face à une gestion incohérente avec pour résultat les dérives du laisser-faire et la violence dans nos stades, alors que leurs ressources financières s’avèrent importantes, provenant principalement des collectivités locales, sponsors, transferts de joueurs, droits de retransmission TV, spectacles, publicité et divers apports qu’ils reçoivent de l’Etat, de la FAF, des bailleurs de fonds, etc. En troisième lieu, un rôle moins ouvert et moins intégré, étant à la fois acteurs sportifs et chefs d'entreprise privilégiant les marchés de l’économie et de la finance. En réalité, tout porte à croire aujourd’hui que l'on s’éloigne des objectifs du professionnalisme ; lorsqu'on évoque les problèmes des clubs sportifs professionnels, on privilégie des aides et subventions, un mode de financement devenu l'une des solutions par excellence sans approche économique, c'est-à-dire football et fric ; ce mode en question est demeuré inefficace et n'a pas réussi à générer de la croissance ni dans le sport ni dans l'économie. Peu de joueurs locaux ont pu émerger en équipe nationale, la majorité ne répondant pas aux critères de la performance. Il est aujourd'hui fondamental d'œuvrer à imposer des règles de saine gestion, car l’aspect relatif à la gestion et à l’usage de l’argent public destiné à ces derniers impose leur rentabilité, leur contrôle rigoureux et la publication des comptes sociaux (bilan et compte de résultat), dans deux journaux au moins à grand tirage, pour une gestion saine des finances et une bonne économie du sport qui s’avère incontournable dans le processus des réformes économiques de notre pays. Car la construction d’un pays développé s’accompagne de l’émergence de l’économie, des sciences et des valeurs humaines qui feront sans doute le génie de notre développement sportif nécessaire et indispensable.
Rappelons que très peu de clubs professionnels ont pu émerger en conformité avec le nouveau contexte juridico-économique et sportif, eux qui relèvent désormais du droit privé (code du commerce et code civil). Ils sont considérés comme étant des sociétés commerciales ayant la personnalité juridique du statut de personnalité morale soumises aux dispositions du code de commerce et se fondent sur la séparation entre le droit de propriété, le droit de gestion (management), le droit d'administration (conseil d'administration) et le droit de contrôle légal (commissariat aux comptes). Par conséquent, ils deviennent un sujet commercial, fiscal, parafiscal et financièrement autonomes. Jusqu’à aujourd’hui, les clubs sportifs professionnels continuent à fonctionner selon l’ancien modèle du sport amateur conçu à la charge et aux seuls moyens de l’Etat. Le professionnalisme est un acte d'investissement et un instrument pour fructifier les finances pour donner l'assise d'ouverture économique afin de rendre nos clubs sportifs performants et rentables. Sans cela, la professionnalisation des clubs sportifs n'a aucun sens. Mais il faut bien admettre aujourd'hui que les mêmes réflexes sont toujours là et les subventions classiques restent sollicitées de la majorité des clubs sportifs professionnels que l’Etat continue à assurer en privilégiant l'activité sportive sans pour autant aborder l'activité économique. Ce soutien financier de l'Etat peut-il pallier l'absence d'organisation économique et les insuffisances d’une gestion rationnelle ? Autrement dit, nos clubs sportifs professionnels sont-ils à la mesure de l’événement de cette profonde réforme du football national pour assurer leur viabilité économique et financière ? Ou encore sont-ils vraiment prêts pour la relance du professionnalisme ?
En attendant, ce mode de financement en question doit se traduire nécessairement à l'avenir par des titres participatifs qui seront détenus par l'Etat sur les clubs sportifs professionnels. L’heure serait, donc, de restaurer les finances du sport à l’ère de la nouvelle économie, notamment en valorisant les finances et en gérant rationnellement ces clubs sportifs à l'heure du défi du professionnalisme où la valeur patrimoniale et le capital social de chaque club doivent représenter la juste valeur économique afin de mieux protéger et rémunérer les actionnaires ou les investisseurs, ce qui est considéré comme vital et incontournable dans la vie économique et sportive de ces derniers
L'argent du sport n'est pas encore orienté ou utilisé dans un esprit d’entreprise, voire avec une culture économique. Le financement ne peut continuer à être perçu ou assimilé à une fonction de caisse afin de ne pas entraver l'instauration du professionnalisme. Sinon, c’est comme arroser du sable. Il y a généralement six grandes sources de financement d'exploitation et d'investissement qui s’offrent à nos clubs dans ce nouveau contexte afin, de développer un climat des affaires et une assise de commercialité dans le processus de leur professionnalisation :
– Ouverture du capital social aux collectivités locales, investisseurs, actionnariat populaire.
– S'ouvrir aux banques commerciales pour l'accès aux crédits d’exploitation, crédits leasing.
– S'ouvrir à la bourse des valeurs (emprunts obligataires, cession de titres).
– Concrétiser des prises de participations croisées entre les clubs riches et moins riches.
– S'ouvrir au monde de l'entreprise pour concrétiser des partenariats d'affaires, contrats de publicité.
– Etablir des rapports avec les acteurs économiques en organisant des rendez –vous économiques (partenariat, investissement, OPA…).
Et c'est donc bien là que la problématique de l'acte de diriger, gérer et contrôler pose un sérieux problème pour l'insertion et la professionnalisation des clubs sportifs. De nos jours, qu’il y ait des résultats ou non, on essaye pour chaque saison sportive d’obtenir davantage d’argent, d’appartements, de voitures luxueuses, voyages, soins spécialisés, cadeaux de valeurs, etc. Alors qu’autrefois, tous les grands joueurs et athlètes de performance pensaient seulement à l’intérêt du sport, aux couleurs du club, la ville, et enfin, à l’intérêt suprême du pays au sens large du terme.
Leur standing est tellement énorme aujourd’hui que ce sera difficile d’y faire face sans le concours de l’Etat. Dans ces conditions, à quoi servirait l'instauration du professionnalisme ? Il savoir que le professionnalisme n’est pas un choix, mais une exigence qu’on ne peut remettre en cause. Il est grand temps de s’interroger sur la vie économique et financière des clubs sportifs professionnels dans leurs modes et systèmes : organisationnel, de gestion, de financement, de contrôle interne, de rémunération, comptable et fiscal, et enfin juridico-économique. Car ils sont comptables devant l’Etat, les contribuables et les actionnaires, voire la société civile. C’est à ce niveau-là qu’on évalue les capacités managériales des dirigeants des SSPA à rentabiliser ces importants apports physiques et financiers octroyés par l'Etat et doivent désormais obéir aux règles, méthodes de gestion et aux principes de la rationalité économique et de rentabilité financière.
Quelle situation avons-nous aujourd'hui ?
Premier constat : les clubs sportifs professionnels n’ont pas pu mener un travail en profondeur, se mettant à l’heure du professionnalisme sans s’y être d’abord outillés en management et plus particulièrement en méthode de gestion, de contrôle interne et de consulting.
Deuxième constat : l’évolution des trois années d’application du professionnalisme a mis les clubs en situation d’instabilité et de crise financière chronique face une gestion incohérente.
Troisième constat : ils ne sont toujours pas assainis totalement au plan patrimoine et comptable, et structurés en sociétés commerciales en vue de saisir la dynamique nouvelle juridico-économique entièrement tournée vers une économie d’entreprise qui implique l’initiative entrepreneuriale pour pérenniser et rendre rentable nos clubs sportifs professionnels.
Quatrième constat : la même composante qui était dans les clubs amateurs continue de gérer les sociétés commerciales avec l’esprit et la culture du bénévolat, et les parrainages des entreprises publiques.
Cinquième constat : nos clubs demeurent marqués par l'absence de transparence dans la gestion et de déficit de communication notamment, ils restent peu ouverts aux acteurs économiques, la presse et à la société civile en bon pouvoir socio-économique. Et aucun club apparemment n’est encore porteur à ce jour d’un quelconque projet économique ou commercial, voire la concrétisation d’un partenariat porteur de perspectives économiques.
Cela résume tout le malaise qui nous renseigne sur une gestion critique. Nous n'avons pas travaillé sur l'instauration et le développement du professionnalisme au sein de nos clubs pour cerner justement cette réforme et proposer une stratégie appropriée. Des efforts de gestion s'imposent en mettant entre de bonnes mains, c'est-à-dire les dirigeants qui ont les grandes idées et les capacités managériales.
Il s'agit aussi et surtout d'une question de gestion et d’administration des capitaux de société par actions (SPA) soumise désormais à l’obligation de résultats et de développement économique. Cette réalité ne peut échapper dans ce cas précis ni aux clubs, ni aux pouvoirs publics, ni même au contribuable.
Dans ce contexte, le Groupe Sonatrach s'est engagé à racheter la totalité (100%) des actions constituant le capital social de quatre clubs sportifs professionnels (MCA, MCO, CSC, JSS) ; l’idée certes est bonne et entre dans une logique de la pratique du droit des affaires. Seulement, on est curieux de savoir (transparence oblige) si Sonatrach, qui est une société à capitaux publics marchands, avait mis en avant le projet de l'offre publique d'achat (OPA). Et ce, même si généralement les sociétés qui souhaitent une OPA doivent être cotées en bourse des valeurs. L'option du rachat 100% suppose que le capital social est fermé, excluant quasiment tout autre actionnaire. Nous estimons que seule une prise de participation inférieure à 100% peut contribuer à donner l'assise de l'ouverture économique de notre pays. Enfin, au regard de ses multiples activités et filiales stratégiques, ces sociétés sportives soumises au droit des sociétés peuvent-elles bénéficier du statut de filiale et affiliées à la société-mère qui est Sonatrach ou simplement s'agit-il d'un actionnariat amical et de solidarité, qui ne peut entrer dans le périmètre de la consolidation du bilan financier et comptable du groupe SH ?
M’hamed Abaci, directeur financier et auteur de deux ouvrages : Gouvernance des entreprises et Comptabilité des sociétés

 

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