Les sondages français passent à côté des questions de diversité

Un sondage Ipsos récemment publié et commenté dans Le Monde, un quotidien français de premier plan, révèle la grande méfiance des Français à l'égard de l'islam. 74% des personnes interrogées trouvent l'islam «intolérant» ou «pas tolérant du tout». Ces résultats laissent entendre qu'en France, la situation est extrêmement difficile entre musulmans et non-musulmans, même si la réalité échappe régulièrement aux sondages.
La France se distingue de ses voisins européens tant au niveau de l'importance de sa population musulmane – évaluée entre 4 et 10 millions personnes – qu'au niveau de l'importance du débat national sur l'islam. Ces vingt dernières années, la France a connu un débat national tumultueux sur la place de l'islam dans le pays, débat qui a été ponctué par quelques controverses sur le foulard islamique et le niqab (voile intégral), sur la participation politique dans les cités de banlieues françaises à forte population musulmane et sur une relation historique compliquée avec les pays majoritairement musulmans du sud de la Méditerranée. L'identité culturelle de la France idéalise à la fois la fidélité du citoyen à l'Etat, avant toute autre identification, et le rôle fort de l'Etat dans l'unité et l'orientation de ses citoyens. Il est redouté que les valeurs islamiques ne s'harmonisent pas avec cette tradition républicaine. Toutefois, avec l'interaction des personnes, les craintes que la religion et la nationalité française s'excluent mutuellement peuvent s'estomper. Le célèbre débat sur l'identité nationale demeure : l'islam est-il compatible avec la laïcité de l'Etat ? La quête d'une réponse définitive au milieu de ces déclarations monolithiques n'est cependant pas la voie vers un apaisement social en France ou dans tout autre pays.
La notion de «musulman français» englobe un tel éventail de patrimoines culturel, national, linguistique et religieux qu'elle perd rapidement de sa valeur. Attribuer un caractère commun à un groupe si varié et si divisé ne peut que fausser la donne et détourner l'attention des efforts vraiment réels et personnels des individus pour définir leur place dans un paysage social complexe. Des enfants de confessions religieuses différentes jouent dans la même équipe de foot. Mon boulanger musulman réalise à la perfection ces merveilles de baguettes que l'on mange depuis des générations le matin. Dans les bars et les rues du pays, la religion et la race s'effacent.
Cette question en France n'est donc au fond ni une question de religion ni une question d'idéologie. Elle fait partie d'une histoire plus vaste de la différence qui se déroule dans une société dont le sentiment d'identité est fort, vieux et déstabilisé bien qu'en période de transition.
Le système scolaire français met en lumière cette tendance. Le fait d'occuper une place extrêmement importante dans l'histoire de la nation a, depuis longtemps, reflété des tendances et servi de chaudron à l'identité nationale. L'enseignant détient une position particulièrement élevée en tant que transmetteur de cette identité et créateur de citoyens. Un enseignant d'une petite école publique dans une banlieue française m'expliquait à quel point l'identité ethnique et religieuse pouvait devenir insignifiante aux yeux des collègues. «J'ai des collègues musulmans avec lesquels je m'entends très bien! Ils sont gais, chaleureux, aimables, serviables… mais je ne me préoccupe pas de leur religion; nous ne parlons jamais de notre milieu ou de notre religion. Ils sont comme mes autres collègues (plus ou moins).» Toutefois, ces commentaires sont souvent difficiles à entendre au beau milieu des gros titres tapageurs des journaux et de l'abstraction des résultats des sondages.
Il semble qu'un avenir pacifique pour les musulmans en France puisse émerger des liens tissés entre les individus au sein des communautés, qui apprennent à se comprendre et à s'accepter malgré l'attrait de la pensée catégorique des sondages et des votes. L'anxiété qui consiste à trouver une solution à ce problème en France est permanente. C'est peut-être un réflexe naturel, surtout dans un pays aussi fortement centralisé. Toutefois, on ne peut régler la différence, pas plus qu'on ne peut débattre de l'intégration jusqu'à en faire une résolution. Il faut la vivre – lentement et maladroitement certes – en classe, sur son lieu de travail, dans ses relations et dans sa vie. Il est aisé d'oublier la longue histoire de la France qui a absorbé de nombreuses vagues d'immigrants venus du monde entier. La France a survécu à ces vagues et s'est enrichie grâce à celles-ci. Et bien qu'il soit difficile de prévoir l'avenir, un nouveau cycle est possible. Un cycle où une meilleure connaissance et une plus grande confiance permettront une plus grande intégration des musulmans. Cela commence avec de vraies relations humaines, au-delà des groupes.
Derek Kane O'Leary, employé au cabinet du secrétaire général du Parlement européen
 

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