La balade des ministres

Le Premier ministre s’est beaucoup déplacé cet été 2013 pour des visites de travail. C’est bien, ça réconforte, ça anime. Du théâtre. Il sait bien, l’énarque, lui qui était wali que l’été ça farniente, on n’inaugure pas, on augure. Et cette gueulante, rapportée par la presse, lors d’une inspection où il s’offusque pour les couleurs d’immeubles : «C’est quoi ces couleurs ? Je veux qu’on me revoie cela !» Sait-il que du goût et des couleurs on ne discute pas ? Cette notion de «visite de travail» me surprend quand les ministres vont inspecter les projets à l’intérieur du pays. Ils écoutent, ils donnent des orientations, inaugurent une stèle et terminent par un couscous avant de reprendre l’avion. Les journalistes devraient donc écrire «visite d’inspection» au lieu de «visite de travail», car pendant le Ramadhan de ce juillet on digère la nuit, on se prélasse le jour tandis qu’en août, ce sont les vacances et seuls travaillent les postières, les maîtres-nageurs, les pompiers, les pizzaiolos et les imams du vendredi. Un ministre est allé faire une visite de travail. Acclamations, youyous, bendir et gheïta ! L’APC a pris ses dispositions pour que l’accueil soit des plus chaleureux comme le veulent la tradition et la séculaire réputation d’Arib (Aïn Defla). On a rassemblé toute la population en carré là où il y a avait des arbres – des mûriers –, en ligne le long des trottoirs et en vrac lorsque la géométrie ne peut rien pour l’alignement. L’alignement, c’est important pour un ministre. Quelques citoyens sont dans les champs, aux environs du village tout en longueur, d’autres accroupis des deux côtés de la route de wilaya, ancienne route départementale n°13 du temps de la colonisation lorsqu’Arib s’appelait Littré, nom du dictionnaire donné alors à ce village où aucun livre n’est entré.
Parcourant, inspectant le front de cette immense masse d’hommes et de femmes, l’œil du ministre s’arrête sur un homme adossé à un mûrier. L’homme porte la veste défaite, quelques boutons manquent, et, jugeant de par sa tenue extérieure l’homme déprimé, le ministre lui tend la main pour lui remonter le moral.
– C’est un jour de fête aujourd’hui. Vous avez l’air pensif.
– Je viens de sortir de prison, monsieur le ministre.
– Ah ! Etes-vous resté longtemps en prison ?
– Deux ans.
– Pour quel motif, si cela ne vous dérange pas de me le dire.
– J’ai détourné 4 milliards.
– Ce n’est pas bien de voler l’argent de l’Etat.
– Je sais. Certains ministres le font, les entrepreneurs le font, pourquoi pas moi ?
– Allons, allons ! Tout le monde ne le fait pas. Et que comptez- vous faire maintenant ?
– On m’a saisi ma vieille maison et ma Zastava parce qu’ils n’ont pas trouvé les 4 milliards. Je les avais cachés en jurant devant le juge qu’on me les avait pris.
– Et où comptez-vous habiter maintenant qu’on vous a saisi votre maison.
– Je ne suis pas bête, monsieur le ministre. Avant de voler les 4 milliards, j’avais déposé un dossier à l’AADL. On vient de me convoquer pour recevoir les clés de mon logement tout neuf. J’ai de quoi payer. Les quatre milliards que je vais déterrer, je les mets à la Cnep. Vraiment l’Algérie est un beau pays. Permettez que je vous embrasse, monsieur le ministre.
L’agent de sécurité s’interposa, ce qui permit au ministre de se défaire du quidam pour aller questionner un autre en espérant qu’il n’aura pas à faire encore à un voleur.
Abderrahmane Zakad, urbaniste et romancier
 

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