L’Algérie devra contenter Obama sans fâcher Poutine

Que cachent les visites de John Kerry et de l'émir du Qatar à Alger, que personne n'attendait, affairés que nous sommes à trouver des spectateurs adultes majeurs et vaccinés pour faire croire que le pays est en pleine campagne électorale ? Mais c'était sans compter sur ce sacré Poutine et cette fiévreuse UE qui n'ont pas trouvé mieux que de s'écharper par Ukraine interposée, entraînant dans ce bal sans fin les plus grandes puissances. Tout a commencé par le sommet sur la sécurité nucléaire de La Haye. Barack Obama en avait profité pour réunir un G7 extraordinaire destiné à peaufiner la riposte occidentale à l'annexion russe de la Crimée. Il s'agissait du premier rendez-vous international au plus haut niveau depuis l'éclatement de la crise ukrainienne, ce troisième sommet international sur les risques nucléaires terroristes aura été dominé par cette question d'actualité. Dès qu'il s'agit de terrorisme, l'expérience algérienne s'impose, d'où ce furtif drapeau algérien à la table de la rencontre de La Haye. Saisissant l'occasion du déplacement de 53 chefs d'Etat, le G7 s'est réuni en marge de ce sommet, à l'initiative du président américain et sans la participation de la Russie. Selon la porte-parole du Conseil de sécurité national américain, «cette réunion sera centrée sur la situation en Ukraine et les prochaines décisions que le G7 pourrait prendre pour répondre à l'évolution de la situation». De son côté, la Commission européenne a annoncé une série de sanctions ciblées qui pourraient être déclenchées si les Etats européens jugent que la Russie «déstabilise» la situation en Ukraine. Pour l'UE, en raison de sa forte dépendance de la Russie en matière de gaz, et aussi à cause des milliards engrangés à travers le commerce avec le pays de Poutine, ces mesures s'avèrent n'être qu'un pis-aller. Une situation burlesque qui a fait le bonheur de Barack Obama et de son administration qui, après avoir encaissé le coup de l'annexion, se sont retrouvés aux avant-postes, bien malgré eux. L'UE s'étant faite toute riquiqui, il fallait bien se mettre à l'abri en se trouvant un protecteur, ce qui n'était pas fait pour déplaire à Barack qui s'est converti en exportateur de gaz, promettant à ses alliés de remplacer le gaz russe par du gaz américain. Très facile à dire, mais c'est plutôt compliqué et magistralement coûteux. Car le gaz russe circule par pipe, sur de très longues distances, tandis que le gaz américain est obligé d'emprunter la seule voie qui reste, c'est dire la maritime. Et c'est loin d'être gagné, car les gros méthaniers sont de gros consommateurs de fuel… et le fuel coûte cher. Du coup, on se rend vite compte que les promesses resteront des promesses, sauf si des amis bien intentionnés venaient à prêter main-forte. Après tout, l'Algérie a bien déposé 200 milliards de dollars dans la réserve fédérale ! C'est pourquoi Obama fait une boucle en Arabie Saoudite et Kerry vient enfin en Algérie. Sa visite prévue à l'automne n'ayant pas eu de suite, ni d'ailleurs d'excuses, il aura bien fallu se faire violence. Contrairement à d'autres, moi je pense que cette visite – qui sera suivie ou précédée de celle de l'émir du Qatar, autre gros gazier et très proche de Bouteflika – s'imposait pour exiger de l'Algérie de prendre sur elle une partie de la demande de l'Europe et aider à étouffer l'ogre russe dans un domaine qui faisait sa force. La question qui sera débattue à Alger concernera uniquement les capacités du pays à combler une partie du gaz russe destiné à l'UE. On se rend compte de l'importance de l'attaque du site gazier de Tiguentourine que l'Algérie peine à combler ! Bien entendu, cette aubaine pour notre pays ne se fera pas sans dégâts. Car il faudra bien se résigner à attaquer de front un allié de longue date. Comment vont s'y prendre Gaïd Salah et Bouteflika pour contenter les Américains sans fâcher les Russes ? L'ANP qui refuse de se mêler de politique, pour des raisons que Mouloud Hamrouche a expliquées bien mieux que moi, ne pourra pas faire l'impasse sur le dossier des relations – notamment les juteux contrats d'armements – avec la Russie… un proverbe bien de chez nous soutient qu'un lièvre a levé un sanglier (r'neb ou naoudatte hallouf ). Comparé à nos lièvres patentés, Rébaïne, hanoune, Touati, Belaïd et Benflis, John Kerry est d'une autre pointure. Lui, ce qui l'intéresse, c'est comment mettre à terre, et pour longtemps, la seconde puissance militaire et nucléaire du monde, la Russie de Poutine. On ne peut que lui souhaiter bonne chasse, quant à l'émir du Qatar, nos outardes savent à quoi s'en tenir, il se trouvera même des gars de chez nous – enfin un peu h'chouma –pour lui proposer des gazelles. Oui, assurément, ces deux visites tombent mal pour le système qui ne s'est jamais préparé à ce genre de problème, trop préoccupé qu'il est par une transition qu'il n'a jamais voulu faire. Rien que pour ça on peut remercier Poutine, car il s'avère être un allié de poids, même si souvent il est encombrant, comme quoi vouloir jouer au grand ça se paye au comptant et parfois, à son corps défendant, en nature ! On va enfin se rendre compte que le gaz qui a fait le bonheur de quelques-uns pourrait entraîner la ruine du pays et que gouverner c'est aussi prévoir… Là, on pourrait peut-être invoquer l'article 88. La parole est au docteur Kerry.
Aziz Mouats
 

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