Conjugaison

Par M. Aït Amara – Il n’y a pas que les politologues qui n’arrivent pas à déchiffrer le grimoire algérien. Les linguistes aussi en perdent leur latin. Voilà quinze ans que Bouteflika est aux commandes et on ne sait toujours pas à quel temps son bilan doit être conjugué. Dans ce système politique, les tenants du pouvoir utilisent les quatre modes à la fois, dans le désordre et sans considération aucune pour les règles grammaticales. Cette entorse à la langue et ce jonglage avec les temps, on a eu à les constater durant la campagne électorale où l’indicatif, censé exprimer des actions et des vérités générales, a cédé la place au subjonctif qui énonce un souhait, une volonté ou un conseil. Les animateurs de la campagne de Bouteflika, qui n’avaient pas intérêt à étaler la vérité au grand jour, ont opté pour des formules articulées sur des promesses et des mises en garde. Le tout mijoté à l’impératif et salé au conditionnel : «Si vous ne votez pas Bouteflika, il n’y aura pas de stabilité». Si dans les langues, en général, les modes sont subdivisés en temps et chaque temps comporte six personnes repérées par des pronoms personnels (je, tu, il…), dans le cas algérien, le verbe n’est conjugué qu’à la troisième personne du singulier – il a tout fait, mais il fera ce qu'il n'a pas encore fait – par des conjugueurs payés à la tâche. Hormis, donc, le Président et ses auxiliaires dont l’objet est d’«avoir» et d’«être», les autres, tous les autres, sont conjugables à la forme impersonnelle. Ces auxiliaires aujourd’hui utilisés comme conjonction de subordination ne désespèrent pas d’obtenir le titre de verbe à part entière et de pouvoir, alors, exister et posséder à leur tour et ne plus constituer qu’une forme de conjugaison pour le radical. Quant au peuple, il n’a plus droit qu’à la voix passive. Devenu spectateur de l’action, il la subit, lui, le mot, principal constituant de la parole et seul vrai moyen d’expression, réduit au rang de complément d’agent.
M. A.-A.

Comment (4)

    mellah hocine
    27 avril 2014 - 18 h 28 min

    Conjugaison, conjuguer ALGER
    Conjugaison, conjuguer ALGER à l’IMPARFAIT.
    Ce récit de Mohammed KACIMI , m’a donné des frissons, moi qui ai connu ALGER des années 70, c’était du temps de BOUMEDIENE (Allah Irahmou)- sivez ce recit:
    Et un soir, je ne sais pas pourquoi, je me suis dit, je vais prendre une bière, pourquoi ? Comme ça pour le plaisir. Les yeux fermés, je me suis dirigé vers la brasserie des facultés, la Brass, notre Flore à nous, comme on dit, située juste en face du lycée Delacroix où se trouvait notre département de littérature française. J’ai poussé la porte, le lieu était vide, deux serviteurs perdus au milieu d’une salle avec des nappes rouges et sales m’accueillent : – C’est pour prendre un verre ? – Oui, par exemple – On ne sert plus. Le plus jeune me regarde d’un air méprisant. je lui demande s’il existe encore un autre bistrot dans le coin. Il me répond – Non, je ne peux pas vous le dire. C’est haram. J’ai claqué la porte. Je me suis dit il suffit que j’aille juste à côté, à la rue Charasse, là il y a le Marhaba, le bar fait les meilleurs sandwichs à la viande hachée et à la coriandre fraîche et il est juste à côté de la librairie Dominique où pour dix dinars j’achetais l’intégrale de Soljenitsyne et de Maïakovski.

    J’ai pris la rue Charasse. Le Marhaba n’existe plus, ainsi que la librairie scientifique. Dominique est devenue librairie Ijtihad, « exégèse coranique ». Qu’à cela ne tienne, il suffit de descendre vers Maurétania; au bout, il y a la grande brasserie Maurétania juste en face de l’immense immeuble bleu d’Air France, et si elle est fermée, il suffit de prendre à gauche, le boulevard Amirouche, passer devant le magasin des beaux arts, l’Arc en ciel, avant d’arriver au Boul Mich. L’établissement jouxte le restaurant universitaire. Il dispose d’une salle au sous sol, avec un dancing et ses fenêtres donnent sur le port d’Alger. On y mangeait des sardines servies à foison avec de la pelure d’oignon avec nos copines étudiantes qui fumaient des Craven A. J’ai pris la rue Charasse, la brasserie a été remplacée par un magasin de meubles, l’immeuble d’air France n’existe plus, pas plus que l’arc en ciel et j’ai poussé la porte du Boul Mich. A la place des filles fumant des Craven A, une foule de barbus sirotant des cafés crème et suçant avec avidité des cigarettes électroniques. Je ressors, face au commissariat central et sous les arcades de la banque extérieure d’Algérie, des dizaines de femmes, avec des bébés et des enfants, disposent des cartons et ou des couvertures par terre pour passer la nuit. Je demande au policier ce qui se passe: – Ce sont des jeunes mariées, chassées par leur mari. Elles viennent passer la nuit face au commissariat central pour ne pas être violées. Elles partent à l’aube.

    Je me rappelle alors du Coq Hardi, la brasserie mythique d’Alger, avec Wahab on y passait du temps, elle est située au cœur de la rue Didouche avec une double baie vitrée, les serveurs étaient en nœud papillon et on y vendait le Monde à la criée. J’ai repris la rue Berlioz, où le Berlioz n’existe plus, en haut de l’escalier, un immense trou a remplacé la pâtisserie la Parisienne, ah les croissants de la Parisienne, Je me suis dit que je devrais passer par le passage souterrain de la place Audin. Sur les escaliers, il y avait un joueur de banjo aveugle et à l’intérieur un disquaire aux cheveux très longs qui m’avait fait découvrir le 666 des Aphrodite Childs. Au fond du passage, il y avait un pèse personne automatique et un horoscope mécanique rouge. On y glissait une pièce de 20 centimes et on avait imprimé sur du papier kraft toujours cette même prédiction: « Bonjour, vous allez être très heureux et connaître beaucoup de bonheur. » Longtemps, j’ai soupçonné Boumediene lui même d’être l’auteur des messages de cet horoscope démoniaque. Dans le passage, il n y a plus de musicien, mais des vendeurs à la sauvette de fausses Nike et de vraies culottes rouges; le disquaire a disparu, il est sûrement grand père et a du vendre toute sa collection de Rock pour se payer un Voyage à la Mecque et laver son « passé », comme on dit.

    Plus haut, je cherche le Coq Hardi partout et ne le trouve pas. J’arrête des gens: – Les coq quoi ? – Le coq Hardi, c’est bizarre, c’était au temps de la France ? – Non au temps de Boumediene – Et on acceptait des noms comme ça? – Et il faisait quoi le coq hardi, il vendait du poulet ? — Non c’était une brasserie Souvent l’échange se terminait ainsi – Que Dieu vous ramène dans le droit chemin. Je tombe à la fin sur un algérois, un fils du quartier: – Vous cherchez quoi? – Le Coq Hardi, je ne rêve pas il était bien là, sur ce trottoir, je ne rêve pas – Non, il était bien là, mais la ville d’Alger l’a rasé – Pourquoi? – Parce qu’il gênait la circulation – Mais il n’était pas au milieu de la route, il était sur le trottoir – Justement, les gens picolaient à la terrasse et ça gênait les gens qui passaient en voiture. La brasserie faisait pourtant partie de l’histoire de la bataille d’Alger…. En remontant la rue Didouche, j’ai vu que les librairies, Ibn Khaldoun, et les Beaux Arts avaient fermé. Le cinéma l’Algéria, également ainsi que tous les autres bistrots, le Debussy, le Tassili, la Cafette, le Quatz’Arts, le Kenko, …

    Je suis remonté jusqu’ au Rostand, transformé en magasin de chaussures. Quant au Debussy qui était l’une des plus belles salles de la ville, il a été transformé ainsi que le Français en dépotoir. Au Debussy, je crois que j’ai vu tous les films de Visconti et j’ai même assisté aux émeutes provoquées par » Cris de Femmes » de Jules Dassin. Le film avec Melina Mercouri était une variation autour du mythe de Médée. Mais le titre était trompeur et tous les algérois avaient compris qu’il s’agissait d’ un film sur l’orgasme. Le jour de la première, il a fallu faire intervenir la police anti émeutes pour contenir les assauts de la foule et Jules Dassin lui même étaient sidéré par cette marée de cinéphiles, venus de Cap Matifou, de Tipaza, de Tizi et même de Boussaâda pour voir Mélina Mercouri. Le lendemain el Moudjahid, notre Pravda titrait » Le public algérois en liesse pour la mythologie grecque. La preuve que le niveau intellectuel des masses populaires augmente de jour en jour grâce au socialisme « . Ce que le quotidien ne disait pas c’est que la salle, au bord de l’explosion, se vidait dix minutes après le début du film. Je me suis rendu compte aussi de l’absurdité de la situation, il est impossible d’arrêter quelqu’un dans la rue et lui demander s’il connaît une brasserie. C’est con de se faire lyncher pour une Kronenbourg.

    La nuit tombe. Alger s’enfonce davantage dans le noir. Les jeunes délabrés se confondent avec les murs délabrés. Des policiers sales hurlent dans des talkies walkies d’un autre âge. Sur les balcons, tous condamnés par de lourdes grilles en fer, des femmes adipeuses secouent des nappes trouées. De tout Alger que j’ai connu, il ne reste qu’une seule boutique » L’étoile d’or », un bouquiniste chez qui on peut trouver le chasseur français de 1964, ou les œuvres complètes de Castoriadis.

    mellah hocine
    27 avril 2014 - 18 h 07 min

    Parce qu’IL a décidé de nous
    Parce qu’IL a décidé de nous jeter dans cet engrenage,
    parce qu’Il a délibérément et régulièrement refusé toutes les possibilités de négociations pacifiques pour sortir de la crise.
    Parce qu’Il a régulièrement refusé toute idée d’enquête et de transparence.
    Parce qu’Un peuple qui ne voit pas ce qui lui arrive, qui seulement en entend parler, qui ne le touche pas du doigt à travers des enquêtes claires et crédibles, à travers des procès clairs, respectueux de la loi et d’une justice indépendante, c’est un peuple qui n’arrive à plus rien voir d’autre que ce qu’il est en train de vivre dans l’instant immédiat.
    La honte des dirigeants algériens d’avoir fait de nous des émeutiers et des gens qui ne peuvent rien faire d’autre que d’être des émeutiers restera, je crois, un des exemples les plus sinistres, les plus tristes, les plus scandaleux de l’histoire.
    Je souhaite seulement que, comme à chaque fois dans notre histoire nous avons pu le faire, nous trouvions les ressources nécessaires pour que face à cette honte, il y ait cette endurance extraordinaire de la population algérienne pour dire NON, NON car aucune société au monde ne peut subir indéfiniment une violation permanente et multiforme de son existence même, qu’il s’agisse de l’eau, du pain, du simple fait d’ouvrir la porte et de sortir dans la rue, qu’il s’agisse d’entrer dans une administration ou de chercher du travail ou d’aller retrouver son travail. L’insécurité et la violence sont omniprésentes.
    C’est une honte pour tous ceux qui parlent de « IL ».

    mellah hocine
    27 avril 2014 - 17 h 59 min

    La honte de ces dirigeants
    La honte de ces dirigeants algériens, c’est d’avoir fait de nous des émeutiers et des gens qui ne peuvent rien faire d’autre que d’être des émeutiers.Restera, je crois, un des exemples les plus sinistres, les plus tristes, les plus scandaleux de l’histoire. Je souhaite seulement que, comme à chaque fois dans notre histoire nous avons pu le faire, nous trouvions les ressources nécessaires pour que face à cette honte, il y ait cette endurance extraordinaire de la population algérienne pour dire non. Non , non à l’auxiliaire AVOIR mais oui à l’auxiliaire ETRE – ETRE FIER(E)S – ETRE INDEPENDANT(E)S – ETRE LIBRES – ETRE FRERES ET SOEURS – ETRE ALGERIENNES ET ALGERIENS – ETRE CITOYENSNES ET CITOYENS – MAIS AVOIR NOS DROITS.
    AVOIR LE DROIT D’AVOIR DES DROITS, car aucune société au monde ne peut subir indéfiniment une violation permanente et multiforme de son existence même, qu’il s’agisse de l’eau, du pain, du simple fait d’ouvrir la porte et de sortir dans la rue, qu’il s’agisse d’entrer dans une administration ou de chercher du travail ou d’aller retrouver son travail. L’insécurité et la violence sont omniprésentes.
    « IL » n’a rien fait en quinze ans.

    Anonyme
    27 avril 2014 - 11 h 12 min

    Merci Mr Ait Amara, pour
    Merci Mr Ait Amara, pour votre super dito « conjugaison » vous résumez la situation ,on ne peut mieux . ET POUR CONFORTEZ VOTRE point de vue, permettez moi d ‘extirper de nos « vieux pps » celui ci, ayant trait aux 2 verbes AVOIR et ETRE !
    bien cordialement , et merci de vos papiers tj pertinents !!
    Karim

    Les 2 Verbes ennemis……..Avoir et Être..

    Tout simplement extraordinaire de pouvoir jouer

    avec tant d’élégance avec la langue française… si difficile.

    AVOIR et ÊTRE

    Loin des vieux livres de grammaire,
    Écoutez comment un beau soir,
    Ma mère m’enseigna les mystères
    Du verbe être et du verbe avoir.

    Parmi mes meilleurs auxiliaires,
    Il est deux verbes originaux.
    Avoir et Être étaient deux frères
    Que j’ai connus dès le berceau.

    Bien qu’opposés de caractère,
    On pouvait les croire jumeaux,
    Tant leur histoire est singulière.
    Mais ces deux frères étaient rivaux.

    Ce qu’Avoir aurait voulu être
    Être voulait toujours l’avoir.
    À ne vouloir ni dieu ni maître,
    Le verbe Être s’est fait avoir.

    Son frère Avoir était en banque
    Et faisait un grand numéro,
    Alors qu’Être, toujours en manque.
    Souffrait beaucoup dans son ego.

    Pendant qu’Être apprenait à lire
    Et faisait ses humanités,
    De son côté sans rien lui dire
    Avoir apprenait à compter.

    Et il amassait des fortunes
    En avoirs, en liquidités,
    Pendant qu’Être, un peu dans la lune
    S’était laissé déposséder.

    Avoir était ostentatoire
    Lorsqu’il se montrait généreux,
    Être en revanche, et c’est notoire,
    Est bien souvent présomptueux.

    Avoir voyage en classe Affaires.
    Il met tous ses titres à l’abri.
    Alors qu’Être est plus débonnaire,
    Il ne gardera rien pour lui.

    Sa richesse est tout intérieure,
    Ce sont les choses de l’esprit.
    Le verbe Être est tout en pudeur,
    Et sa noblesse est à ce prix.

    Un jour à force de chimères
    Pour parvenir à un accord,
    Entre verbes ça peut se faire,
    Ils conjuguèrent leurs efforts.

    Et pour ne pas perdre la face
    Au milieu des mots rassemblés,
    Ils se sont répartis les tâches
    Pour enfin se réconcilier.

    Le verbe Avoir a besoin d’Être
    Parce qu’être, c’est exister.
    Le verbe Être a besoin d’avoirs
    Pour enrichir ses bons côtés.

    Et de palabres interminables
    En arguties alambiquées,
    Nos deux frères inséparables
    Ont pu être et avoir été.

    Joli non ?

    Bien loin des contenus humoristiques des envois habituels.
    Exceptionnellement ce texte mérite d’être transféré largement
    Vive la langue française.

    ¸.•´¸.•´¨) ¸.•*¨) ♥Oublie ton passé, qu`il soit simple ou composé,
    participe ¸.•´¸.•´¨) ¸.•*¨)
    (¸.•´ (¸.•´ .•´ ¸¸.• à ton présent pour que ton futur soit
    plus-que-parfait… ♥(¸.•´ (¸.•´ ….•´ ¸¸.•

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