Aït Larbi : «La nouvelle Constitution vise à pérenniser le système»

Le juriste Mokrane Aït Larbi considère le projet de révision de la Constitution comme un acte visant à pérenniser le pouvoir en place pour donner un nouveau souffle au système politique décrié par l’opposition. En décortiquant les propositions d’amendement transmises par la présidence de la République aux partis et personnalités politiques, Mokrane Aït Larbi met à nu l’arrière-pensée des initiateurs de cette révision. Ainsi, il cite comme premier exemple le retour à la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux, tel que défini par l’article 74 amendé en 2008 pour permettre à Bouteflika de briguer un troisième puis un quatrième mandat. «On explique dans le préambule que le principe de limitation du nombre de mandats est une exigence de la démocratie et constitue un de ses fondements essentiels de nature à consolider les fondements de la démocratie, à redynamiser la vie politique et à favoriser, à terme, l’émergence d’une culture de l’alternance dans notre pays», souligne le juriste dans une contribution publiée sur son compte Facebook. Aït Larbi se demande donc pourquoi on a abandonné ce principe en 2008 et empêché de ce fait l’alternance au pouvoir en 2009. «Le pouvoir avait annulé l’article 74 de la Constitution au nom du peuple et au nom de la liberté de se porter candidat et revient aujourd’hui à sa constitutionnalisation au nom de la consécration du principe de l’alternance au pouvoir et de la démocratie», relève-t-il, affirmant ainsi que la question primordiale n’est pas le nombre de mandats mais plutôt celle de mettre les mécanismes et les instruments juridiques qui permettront au peuple de choisir en toute liberté et conscience son président. «La limitation des mandats aux Etats-Unis n’est pas la même qu’en Russie. Et son illimitation en Allemagne diffère de la logique des amendements opérés en Algérie en 2008», a-t-il fait remarquer.
Concentration des pouvoirs
Autre point soulevé par Aït Larbi : la séparation des pouvoirs qui n’est pas reflétée dans la mouture soumise à la classe politique. Il série ainsi les pouvoirs du président de la République qui demeurent exorbitants, sans le moindre contrepouvoir. Cet avocat et défenseur des droits de l’Homme précise ainsi que le président de la République préside toujours le Haut Conseil de la magistrature et le ministre de la Justice occupe le poste de vice-président. Autrement dit, c’est l’Exécutif qui contrôle le Judiciaire. Le pire, selon ce juriste, est que les membres du Conseil constitutionnel doivent, au nom de l’article 164 bis, prêter serment devant le président de la République au lieu de le faire devant les deux chambres du Parlement réunies. «Et prêter serment ne signifie nullement, précise-t-il, qu’on s’acquittera de sa mission de manière indépendante !» A cela s’ajoute le fait que le président de la République conserve son pouvoir de dissoudre l’Assemblée populaire nationale et de désigner un tiers (bloquant) des membres du Sénat. Tout cela sans qu’il soit comptable politiquement, ni devant le Parlement ni devant une autre institution.
Le leurre d'une opposition forte
Aussi l’indépendance de la justice n’est-elle nullement garantie. Ainsi, l’article 148 de la Constitution, amendé et reformulé, n’offre pas la protection nécessaire aux juges. Selon la nouvelle forme de cet article, le juge est protégé contre toute forme de pression, intervention ou manœuvre de nature à nuire à l’accomplissement de sa mission ou au respect de son libre arbitre. Le juge peut ainsi saisir le Conseil supérieur de la magistrature s’il est exposé à l’une de ces situations. Aït Larbi souligne que les pressions viennent essentiellement du ministère de la Justice. Il se demande alors ce que pourra faire ce Conseil dont le vice-président est le ministre de la Justice lui-même. Pour lui, l’indépendance de la justice commence par l’interdiction de toute mutation de juge, en dehors des cas disciplinaires ou dans le cas de l’ouverture d’un nouveau tribunal ou cour. Il relève également l’humiliation de l’Assemblée populaire nationale qui n’a presque aucun pouvoir face à l’Exécutif. Dans les pays démocratiques, le gouvernement est soumis à un contrôle parlementaire. Ce qui n’est pas le cas chez nous. S’agissant du renforcement de la place de l’opposition, Aït Larbi parle d’un leurre. Donner la possibilité à 70 députés et à 40 sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel travaille, selon lui, beaucoup plus les soutiens du pouvoir que l’opposition. Aussi ce juriste s’interroge-t-il sur le sens de la liberté de création de partis quand ils doivent être agréés par l’administration et doivent également avoir une autorisation pour tenir leurs congrès constitutifs. Selon lui, l’opposition doit avoir la possibilité de lancer des commissions d’enquête sans être contrainte de recueillir la majorité parlementaire. En conclusion, Aït Larbi se demande où est le «projet d’une constitution consensuelle» et où sont les changements démocratiques promis.
S. Baker
 

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