Un analyste boursier à propos du rachat de Djezzy : VimpelCom est un géant aux pieds d’argile

Avec 220 millions d’abonnés résidant dans 19 pays appartenant géographiquement à quatre continents et un actif total de 51 milliards de dollars, VimpelCom est classé sixième groupe de télécommunications à l’échelle mondiale. Mais derrière cette prestigieuse image se cache une face sombre. Force est de le dire, ce groupe traverse actuellement des moments difficiles – on pourrait même dire très difficiles – en raison d’une situation financière alarmante. La Russie, qui en est à son plus grand marché, est entrée dans une récession économique avec comme conséquences une baisse des marges, une dépréciation du rouble et des taux bancaires russes trop élevés pour emprunter. Une récession à laquelle il faut ajouter la crise ukrainienne et l’escalade militaire en Crimée, ses déboires au Canada et en Ukraine, les menaces à peine voilées des trois agences internationales de notation financière sur un éventuel déclassement de sa note financière, rendant ainsi le coût de sa dette très élevé. Plus grave, VimpelCom doit refinancer la gigantesque dette de sa filiale italienne Wind.
S’agissant des liquidités, en lisant le bilan de l’année 2013 de VimpelCom, la première chose qu’on constate est que la firme russe avait opéré avec un fonds de roulement négatif, -948 millions de dollars. Dans le même domaine, deux ratios financiers anglo-saxons de liquidités, le current ratio à 0,88 et le quick ratio à 0,71, viennent confirmer les risques d’un manque de liquidités à court terme. Sur le plan de l’endettement, la situation n’est guère rassurante. Et comme il existe toute une batterie de ratios financiers qui servent de guide d’observation sur l’état alarmant de l’endettement de cette compagnie, le ratio global d’endettement (total des dettes/total des actifs) se situe à 78%. Le ratio dettes nettes/capitaux propres à 2,45 est très élevé par rapport aux entreprises de la même branche. Un autre ratio aussi important que les précédents, celui des dettes nettes/EBIDTA est à 2,3. La dette nette de VimpelCom est de 22,34 milliards de dollars. Sur la partie du bilan et plus précisément les bilans de 2009, 2010 et 2011, on constate clairement que toutes les acquisitions faites par VimpelCom à l’étranger à partir de 2010 ont été financées par des emprunts bancaires et des émissions obligataires.
Sur le plan des résultats pour l’exercice de 2013, VimpelCom a terminé l’année en affichant des pertes sèches d’un montant de 2,66 milliards de dollars. Ce résultat a été alourdi par une réduction estimée à 2,4 milliards des valeurs des actifs de VimpelCom implantés en Ukraine et au Canada. Face à cette perte, VimpelCom avait décidé de suspendre la distribution des dividendes à ses actionnaires. Pour ce qui est des résultats des trois premiers mois de l’année 2014, publiés le 14 mai dernier, la situation s’est encore détériorée, la baisse étant bel et bien le dénominateur commun de tous les indicateurs financiers de ces résultats. Le résultat net du premier trimestre de l’année 2013, qui affichait une bonne performance de 409 millions de dollars, est tombé à 39 millions au premier trimestre 2014, soit une chute vertigineuse de 90%. Une taxe d’imposition élevée et une perte de 92 millions de dollars due aux dépréciations des monnaies russe et ukrainienne sont les principales causes de cette baisse des bénéfices. L’EBIDTA du premier trimestre 2014 de VimpelCom a atteint 2,09 milliards de dollars, soit une baisse de 11% par rapport au premier trimestre 2013. Son chiffre d’affaires de 5,02 milliards de dollars a connu, lui aussi, une chute de 10% par rapport au premier trimestre 2013.
Sur le plan boursier, le titre ADR de VimpelCom coté à la bourse américaine Nasdaq s’est vu dévisser de 27% en l’espace d’une année. Au lendemain de la signature de l’accord entre le gouvernement algérien et les dirigeants de VimpelCom pour le rachat de Djezzy, l’action de VimpelCom avait gagné 8,6%, clôturant à 9,02 dollars. Mais, depuis, le titre a repris une courbe descendante. Le 19 mai, il était à 7,73 dollars. Malgré les 4 milliards de dollars qui vont être versés par le gouvernement algérien à VimpelCom et en dépit de la valeur comptable de VimpelCom, le groupe russe commence à se rapprocher de sa valeur boursière, un rêve pour les investisseurs boursiers avisés, ceci au moment où les acteurs du marché boursier montrent une attitude glaciale à l’égard du titre de VimpelCom.
A propos de Wind Telecomunicazioni Spa, avec un chiffre d’affaires de 5,2 milliards d’euros, un EBIDTA de 2 milliards d’euros et 26 millions d’abonnés, cette filiale italienne de VimpelCom est considérée comme le troisième groupe de télécommunications en Italie. Passé sous le contrôle de VimpelCom en 2011, Wind affronte aujourd’hui une situation financière catastrophique, au point que certains analystes financiers n’excluent pas la faillite pure et simple de cette firme. Les indicateurs de la structure de la dette de Wind nous renseignent sur ce désastre. La dette nette de Wind s’élève à 10,6 milliards d’euros (14,5 milliards de dollars), celle-ci représente 5,4 fois son EBIDTA (jugé trop élevé). Le coût de cette dette (taux d’intérêts versés) pour l’année 2013 s’est élevé à 938 millions d’euros, soit 20% du chiffre d’affaires et presque la moitié de son EBIDTA de la même année. Le fardeau du refinancement de la dette de Wind est supporté par VimpelCom qui est son entreprise mère. Le déclassement continuel de la note financière de Wind par les trois agences internationales de notation financière a fini par donner le statut de Junk Bonds aux obligations émises par Wind. Les coupons de ces obligations d’une maturité de 5 et 7 ans dépassent les 12%, ce qui a obligé VimpelCom, qui manque de cash frais, à payer ces coupons en PIK (Payment In Kind), c’est-à-dire en titre obligataire et boursier et non pas en argent liquide. Sur le plan de la solvabilité et, plus particulièrement, de l’indice Markit, le CDS (Credit Default Swaps) de Wind a déjà atteint les 500 points de base (une échelle à grand risque). Les déboires de Wind ne s’arrêtent pas là ; même son activité sur le marché italien a connu un déclin suite à la guerre des prix que se livrent ses concurrents et à la crise économique et financière qui a secoué l’Italie ces dernières années.
Noureddine Legheliel
Analyste boursier auprès de la banque d’affaires suédoise Carnegie
 

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