Comment l’Etat cache les chiffres du chômage en usant de différentes manipulations comptables

En présentant le plan d’action du gouvernement pour le prochain quinquennat devant l’Assemblée populaire nationale, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, promet de faire baisser le taux de chômage actuel de 9,8% à 8% en 2019. Sellal se félicite, à cette occasion, que le taux en question soit passé sous le seuil des 10%. Mais le premier responsable du gouvernement ne s’attarde pas sur le sujet et ne prend pas le soin de détailler et d’expliquer aux députés et à l’opinion comment on a pu continuer à baisser le taux de chômage avec une économie en panne déclarée. Ça aurait été sans aucun doute hasardeux de s’y aventurer pour un Exécutif qui sait pertinemment que, quoi qu’il avance, son discours n’arrivera point à convaincre tant la manipulation a toujours caractérisé les statistiques liées au chômage et la création d’emplois en Algérie. S’il existe un chiffre toujours contesté par les économistes et les experts en statistiques, c’est celui du taux de chômage. Tout récemment, Abderrahmane Mebtoul, économiste bien connu, estimait, dans une analyse, que les taux annoncés au début de l’année en cours par l’ONS, concernant le chômage et le travail en Algérie, étaient «loin d’être réels». Il affirme, en effet, que 10,2% est un taux «qui ne répond pas du tout à la réalité et qu’il s’agit d’un chiffre inventé». Selon lui, l’Etat ne dispose d’aucune politique salariale pouvant assurer une baisse réelle du taux de chômage en Algérie. Mais l’Exécutif n’en a cure de ces avis et de ces critiques et continue d’exposer sa «performance».
L'ONS : un organisme de statistiques «politique»
L’Algérie dispose-t-elle d’un outil sérieux, mais surtout indépendant qui permettrait de donner une situation du chômage proche de la réalité ? C’est là, en effet, que le bât blesse, car il est de notoriété que l’Office national des statistiques (ONS), chargé officiellement de donner les indicateurs liés, entre autres, à l’évolution du chômage, n’est pas aussi indépendant et autonome comme on a tendance à le penser. C’est le gouvernement qui lui fixe les «orientations» à suivre afin d’aboutir aux résultats que l’on veut en haut lieu. Sinon, comment expliquer que le taux chômage qui avoisinait les 30% en 2000, c’est-à-dire à l’arrivée de Bouteflika au pouvoir après les élections controversées de 1999, soit réduit aujourd’hui de plus de deux tiers pour s’établir à moins de 10% ? Par quel miracle cela a-t-il pu arriver ? Pourtant, tous les experts s’accordent à dire que toute la machine économique, en dehors des hydrocarbures, a été tirée durant les trois mandats de Bouteflika par l’investissement public. La caractéristique de cet investissement public est qu’il était porté sur la dotation du pays d’une infrastructure de base qui lui faisait défaut. Mais son impact sur la création d’emplois reste plutôt limité, puisque la majeure partie de ces postes créés sont temporaires, le temps que les chantiers lancés soient livrés. La construction des barrages, l’autoroute Est-Ouest, les ponts et trémies, le métro et le tramway… sont, en effet, des pourvoyeurs d’emplois, pour la majeure partie des cas, temporaires. Les véritables secteurs qui peuvent donner ce plus que l’on attend d’eux en matière d’emplois pérennes, à l’image de l’industrie, de l’agriculture et les services, n’ont pas connu une réelle dynamique malgré le fort potentiel que possède le pays.
Le chômage ira crescendo
Mais pour un pouvoir qui se moque royalement de ce que peuvent penser les citoyens de sa gestion, tous les moyens semblent bons pour se fabriquer une image qui ne reflète pas du tout la réalité. Cela apparaît, notamment, lorsqu’on insère dans les statistiques liées à la création d’emplois les postes précaires créés dans le cadre des dispositifs étatiques comme le DAIP (Dispositif d'aide à l'insertion professionnelle), les contrats de travail aidés (CTA) et travaux d’utilité publique à haute intensité de main-d’œuvre (Tup-Himo). Beaucoup de jeunes sont recrutés dans les collectivités locales (APC, daïras, wilayas…) pour des emplois à mi-temps et sous-payés. De son côté, la Fonction publique continue de grossir avec chaque année des recrutements dans des secteurs qui ne sont pas productifs (administration, santé, éducation…). L’Etat demeure d’ailleurs le premier employeur en Algérie avec environ le tiers (32%) de la population active. Avec quelque 50 000 jeunes qui viennent grossir les rangs des chômeurs sur les 120 000 diplômés des universités du pays, on imagine facilement que le taux de chômage est aussi appelé à augmenter et non pas à toujours baisser, comme le font croire les autorités. Autre trouvaille du gouvernement pour mieux brouiller les pistes, le procédé utilisé pour la collecte de données liées à l’emploi.
Le taux d’emploi : une mesure plus pertinente
De nombreux économistes, comme ceux de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, estiment que le taux d'emploi est une mesure plus pertinente que le taux de chômage pour évaluer la situation du marché du travail d'un pays. En effet, explique-t-on à ce sujet, le taux de chômage, même défini selon la norme internationale du BIT (Bureau international du travail), peut être modifié par différentes manipulations comptables (chômeurs catégorisés à tort comme handicapés, incitation au renoncement pour les demandeurs d’emploi en fin de droits…) et particularismes locaux (faible participation des femmes…). La part des chômeurs découragés, qui ne sont plus décomptés comme chômeurs, très variable selon les pays, fausse également le niveau du taux de chômage, ajoute-t-on. Et si l’on se réfère aux dernières statistiques de l’ONS, le taux de chômage paraît même presque insignifiant pour les hommes puisqu’il ne serait que de 8,6% contre 18,1% pour les femmes. Comment peut-on donc se targuer d’avoir fait baisser le taux de chômage de façon aussi rapide alors que les secteurs censés assurer l’offre d’emploi n’ont pas connu de bouleversements notables ? Le pays continuant à importer l’essentiel de ses besoins.
Amine Sadek

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