L’Occident ne sait plus à quel saint se vouer

Ils ont ouvert la boîte de Pandore et ne savent plus à quel saint se vouer. Ils, c’est cet Occident habitué à aller à la guerre la fleur au fusil. Ce sont aussi ses alliés féodaux du Golfe, conservateurs pur jus et réactionnaires moyenâgeux. Dans leur croisade d’un autre temps, ils ont pour serviteurs la cohorte des naïfs et des idéologues qui sont fâchés avec l’implacable dialectique de l’Histoire. Tout ce beau monde n’a pas compris que la guerre d’aujourd’hui n’est pas une promenade comme au bon vieux temps du colonialisme triomphant. Et leurs valets, avec leur propagande indigeste, se noient dans des explications dont la seule ressource est le déni de la réalité ou l’infantilisme idéologique. Les uns se veulent les bâtisseurs de la «démocratie» alors que leurs soldats répandent la mort. Les autres s’égosillent à promettre le paradis à des populations qui se contenteraient pour l’heure de la simple et fertile beauté de notre bonne vieille terre.
Passons en revue les exploits de cet Occident et leurs alliés d’hier et d’aujourd’hui.
La chute de l’Empire ottoman a ouvert des boulevards aux deux puissances impérialistes de l’époque, la France et l’Angleterre, qui ont démembré la région (Accords Syce-Picot 1916). Le mouvement sioniste jusque-là en embuscade, profitant de la situation ainsi créée, se fit offrir par lord Balfour (ministre anglais) un foyer juif en Palestine en 1917. Ces trois acteurs politiques étrangers à la région avaient en commun la convoitise de territoires et les richesses qu’ils recèlent. Une longue nuit coloniale s’installa alors sur les pays du Proche et Moyen-Orient. Leurs sociétés ne résistèrent pas à cette déferlante coloniale d’autant que les classes dirigeantes étaient féodales et facilement manipulables par des maîtres-espions symbolisés par les Laurence d’Arabie. Il fallait attendre l’émergence de phénomènes comme la nahda (renaissance), les mouvements nationalistes en Syrie, Irak, Egypte, Algérie pour dérégler l’implacable machine de ces nouveaux conquistadors. Laquelle machine fut affaiblie à la faveur de guerres mondiales et de grandes révolutions en Russie et en Chine. Les peuples dominés des trois continents entrèrent alors en résistance et calmèrent quelque peu l’arrogance de cet Occident. Le prurit de cette arrogance reprit au lendemain de la chute du Mur de Berlin. Se dessina alors une nouvelle stratégie. Affaiblir et encercler la Russie pour avoir les mains libres ailleurs. Et cet ailleurs n’est autre que les pays au carrefour stratégique des trois continents où de grandes puissances se disputent le terrain et surtout le pétrole.
On sauta sur l’occasion que fournissent les pays de la région empêtrés dans leurs contradictions historiques. C’est ainsi que l’on soutint Saddam Hussein contre l’Iran. Fort de sa «victoire», ce dictateur s’en est pris au Koweït et menaça l’Arabie Saoudite. On arrêta alors sa marche «triomphale» en saccageant son pays et on le lynchant comme dans les films westerns. On favorisa ainsi un pouvoir chiite à Baghdad qui a permis à l’Iran, unique «Etat chiite», de sortir de son isolement et d’avoir comme allié un deuxième «Etat chiite» (Irak). Mais les «exploits» de l’Occident ne s’arrêtent pas là. Il ferma les yeux sur les agissements de l’Arabie Saoudite et du Qatar qui inondèrent les pays en révolutions (printemps arabes), en armes et en dollars. On poussa le crime jusqu’à agresser militairement la Libye et offrir sur un plateau le pouvoir aux islamistes. On détourna les yeux d'un président égyptien Morsi qui bafoua allégrement la Constitution et on qualifia son renversement de coup d’Etat. En revanche, un véritable coup d’Etat en Ukraine, dont est victime un gouvernement démocratiquement élu et avec qui l’Union européenne avait signé la veille un compromis sur une sortie de crise, est salué comme le rétablissement de la légalité. Depuis la chute de l’Empire ottoman jusqu’aux séismes d’aujourd’hui qui ébranlent le monde arabe, l’Occident, comme par hasard, se trouve toujours dans le même camp que ces «Arabes» à la fois féodaux et prétendument porte-parole du «vrai islam». Mais les choses se compliquent pour lui, car ses alliés féodaux soutiennent «l’Etat islamique d’Irak et du Levant» qui menace le pouvoir que les Américains ont installé à Baghdad. Et cet «Etat islamique d’Irak et du Levant», aujourd’hui leur cauchemar, était hier à leurs yeux un allié, pis une création de Assad. Qui a dit une telle ineptie ? Les plus grands journaux et ministres en Occident ont repris à leur compte la propagande à deux sous des opposants au régime du dictateur baathiste. Irak hier, Syrie aujourd’hui, à nouveau l’Irak, les plans américains se noient dans les eaux boueuses qu’ils ont remuées. Les voilà aujourd’hui pris à la gorge par une partie du peuple irakien qu’ils ont marginalisée à la suite de leur occupation de l’Irak. On peut continuer à énoncer la litanie de leurs agissements, fruits d’une pensée stratégique qui n’arrive pas à colmater les brèches des contradictions de leur système qui a perdu de sa superbe. De la situation ainsi créée, ils tentent de tirer profit. On devine qu’ils sont prêts à favoriser la partition de l’Irak pour plaire à beaucoup d’acteurs de la région. A Israël, qui ne rêve que de ça, à l’Arabie qui a besoin d’un «Etat sunnite», un glacis à ses frontières qui la protégerait d’un Iran «menaçant», à l’Iran enfin que l’on laisserait s’installer dans un Irak chiite en contrepartie de son renoncement à l’arme nucléaire. Bref, ce ne sont que des rêves… L’analyse qu’ils font aujourd’hui de l’Irak et de l’Iran est du même tonneau que celle sur la Syrie, une bouillie indigeste qui ne trompe plus grand monde. En effet, sur la Syrie, on nous expliquait, du petit éditorialiste de journal jusqu’au ministre des Affaires étrangères que Assad n’en avait que pour quelques mois. Aujourd’hui, on déchante et pour toute explication, on nous sort qu’Assad est un dictateur intelligent (ils pensent fourbe) qui a su manipuler son monde.
En vérité, ils ne veulent pas ou ne peuvent pas analyser les profondeurs de l’histoire des sociétés de la région. En vérité, c’est leur force militaire démesurée qui les aveugle. Difficile en effet de voir clair quand on est à la fois ami d’Israël, des féodaux du Golfe et vouloir régenter une région qui comprend des peuples, des Etats et des forces politiques qui ne veulent plus de leur hégémonie. Dans ce monde qu’ils regardent de haut, ils ignorent des voix qui condamnent la dictature baathiste et prônent la démocratie qui n’est nullement impie (kofr). Ils leur préfèrent la légèreté des oppositions qui ont engagé la Syrie dans une aventure mortelle. Ces oppositions ont en effet commis des fautes politiques en se laissant phagocyter par des islamistes manipulés et armés par les féodaux du Golfe. De plus, ils ont fait l’économie d’une analyse de l’histoire et de la société syrienne, de la nature de l’Etat syrien, en sous-estimant les alliances régionales et les appuis diplomatiques. Enfin, la militarisation rapide du soulèvement populaire et la confrontation armée dans les villes sont des aberrations au regard de la science militaire. On a sous les yeux les effets désastreux produits par tant de myopie politique et d’imbécillité dans l’art de la guerre. Ces analyses politico-militaires ont été faites dans une certaine presse du monde arabe*. Intoxiqués par leur propre propagande, des journaux et des hommes politiques comme Juppé et Fabius proclamaient à qui voulait les entendre que le dictateur syrien avait un pied dans la tombe. Hélas !, c’est le peuple syrien qui continue d’enterrer ses morts. Il en est de même aujourd’hui pour l’Irak où les USA jouant sur les différences ethniques ou religieuses ont réveillé des volcans dont les seules victimes sont les peuples de la région. Il reste à ces peuples d’éviter les pièges de cet Occident. Ensuite de regarder plutôt vers l’avenir au lieu de s’épuiser à se focaliser sur des chimères qui ne sont plus de mise**. Mais pour se donner les armes de la conquête du futur et faire le deuil de ces chimères, il reste à chacun des peuples aujourd’hui agressés de fouiller dans l’anthropologie de leur société, de l’analyser avec des outils de leur histoire ô combien complexe, mais si riche d’enseignement.
Ali Akika, cinéaste

*Je fais allusion à un de mes articles «Syrie, le miroir des contradictions du monde arabe», paru dans Le soir d’Algérie et dans L’écho de Jijel du 8 janvier 2014 où je décrivais le pourquoi de la guerre et les enjeux en Syrie.
 ** Hélas !, les discours creux et/ou contradictoires ne sont pas l’apanage du seul Occident. On les retrouve chez tous ceux qui ignorent les moteurs de l’Histoire et leur préfèrent la psychologie de Monoprix, les théories du complot ou bien raciales, tribales, etc. comme les faibles d’esprit qui croient aux balivernes des charlatans qui vont les guérir aussi bien d’un rhume que du cancer.
 

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