Quelques réflexions tirées de la manifestation de protestation à Paris contre le génocide du peuple palestinien

Plus de 40 000 personnes, toutes générations et cultures confondues, ont manifesté pour refuser ce génocide ; ils scandaient «Enfants de Ghaza, enfants de Palestine, c’est l’Humanité qu’on assassine»[1], ils rappelaient leur citoyenneté et leur volonté de n’être pas confondus avec leur dirigeant : «Israël assassin, Hollande complice» ; ils interpellaient les consciences internationales anesthésiées : «Nous sommes tous des Palestiniens». De nombreux manifestants français n’avaient pas oublié que le général de Gaulle voyait le rôle de sa France en ces termes : «Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde», c’est pourquoi ils accueillirent avec bonheur et honneur l’appel lancé le 1er août, dans les colonnes du Figaro, par l’ancien ministre Dominique de Villepin qui suppliait les dirigeants actuels à œuvrer pour que la France retrouve son rang : «C'est aujourd'hui, je l'écris en conscience, un devoir pour la France. Par soumission à la voix du plus fort, la voix de la France s'est tue, celle qui faisait parler le général de Gaulle au lendemain de la guerre des Six Jours, celle qui faisait parler Jacques Chirac après la deuxième intifada. Comment comprendre aujourd’hui que la France appelle à la "retenue" quand on tue des enfants en connaissance de cause.» L’un de ces manifestants déclarera devant les caméras : «Tous les deux ans, Israël bombarde Ghaza, elle l’a fait, elle le fait et elle recommencera dans deux ans devant la veulerie de la "communauté internationale" et devant les pantins du "machin " préciserait le général de Gaulle.» D’autres militants[2] plus engagés avec les partis et les syndicats de gauche savaient que leur pays devenait un quartier tracé et géré par les multinationales dont eux-mêmes payaient les conséquences depuis 30 ans à travers les courbes du chômage qui augmentent sans cesse et la fiscalité qui les étrangle de plus en plus, si les bombes israéliennes assassinent les enfants et les femmes palestiniens et rasent Ghaza, le capitalisme américain les tuait à petit feu. De nombreux manifestants par leurs conversations, leurs slogans et leurs tracts ont souligné la similitude de cette colonisation internationale dont les formes sont adaptées à chaque lieu conquis et peuple soumis. La sémantique a évolué, les acteurs se sont renouvelés, les moyens se sont sophistiqués, mais les buts demeurent : déposséder les peuples de leurs matières premières, augmenter leurs exploitations, étendre les marchés financiers et multiplier le nombre de consommateurs. Quant aux «indigènes de la République», encartés ou pas, très nombreux dont certains faisaient le parallèle entre la colonisation des Palestiniens et celle de leurs aïeux avec ses effets pour eux aujourd’hui : «Français par le papier, mais citoyen de seconde zone par les moyens». Celles et ceux qui pensaient avoir réussi à les dépolitiser en les parquant dans les ghettos, en les assignant à l’assistanat et en les poussant dans les bras des groupes et associations wahhabisés se sont largement trompés, car même wahhabisés, le fonds politique familial demeure. De nombreux jeunes wahhabisés ont demandé «qu’à la prochaine fête de l’Aïd, au lieu de dépenser 200 euros pour le sacrifice de l’agneau, il vaille mieux réunir l’argent pour les enfants de Ghaza». Cette prise de conscience les a aussi obligés à surveiller les casseurs déguisés en manifestants et à éviter la chasse au faciès dont ils furent victimes, quelques-uns d’entre eux qui arboraient le keffieh furent contrôlés et fouillés par les forces de police dans la station de métro Denfert-Rochereau qui desservait le début de la manifestation. Ces jeunes savent que si la police de 2014 ne reproduira pas les massacres du 17 octobre 1961 ou celui du 2 février 1962, néanmoins ses rangs sont traversés par des idées politiques et syndicales racistes telles que démontrées par la thèse de Mathieu Rigouste sur «l’ennemi intime[3]». A la fin de la manifestation, ceux qui s’étaient détachés de la primauté consumériste sur leur vie se sont rendus (filles et garçons) sur les Champs-Elysées pour sensibiliser les populations pétrodollars dont l’argent coule à flots discontinus dans les caisses des multinationales installées sur cette célèbre avenue. Ces populations compensent leur statut de sujet par un consumérisme effréné, la phrase «le paraître avant l’être» leur correspond parfaitement. La manifestation était aussi composée d’étrangers, touristes ou étudiants du Japon, d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Afrique du Nord, venus avec leurs pancartes et leurs banderoles pour indiquer leur présence et montrer leur indignation devant ce génocide «autorisé par une communauté internationale indigne», comme l’ont souligné des Japonaises et des Africains. Des étudiants africains diront qu’ils ne sont pas dupes de la personnalité réelle d’Obama, «agent de l’impérialisme financier américain dont le seul mérite est de mettre l’Afrique sous la coupe américaine, car l’avancée de la Chine diminue les gains de son pays» ; l’un d’entre eux n’as pas oublié qu’il fallut attendre 1964 pour que l’apartheid cesse aux USA, donc «la réunion des chefs d’Etat de lundi comme celle des entrepreneurs du 28 juillet n’ont qu’un même but :nous coloniser». Cette manifestation est l’un des nombreux germes, à travers le monde, qui ne trouvent pas terreau et jardiniers pour éclore et secouer «la nuit coloniale» qui s’est abattue sur la planète depuis la signature du Pacte du Quincy en 1945 et l’arrêt américain des Accords de Bretton Woods[4]. Deux faits historiques importants et volontairement passés sous silence par les responsables politiques, universitaires et médiatiques au service de la pensée unique. Ces deux faits avaient sonné le tocsin pour la chute des indépendances nationales chèrement acquises et annoncé la fin de l’ère des dirigeants patriotiques : le massacre de Ghaza est la plus sinistre illustration de leurs nombreuses conséquences mondiales.
Djoghlal Djemaâ

[1] Samedi 2 août 2014 à Paris, de la place Denfert-Rochereau à la place des Invalides.
[2] Les partis, les syndicats et les associations proches du PS, de l’UMP et du FN étaient absents.
[3] Mathieu Rigouste, «L’ennemi intérieur postcolonial» de la lutte subversive au contrôle de l’immigration dans la pensée française, 1954-2007» sous la direction de Aïssa Khadri et Nicolas Bancel, université Paris VIII, 2007.
[4] Le 15 août 1971, les Américains par l’intermédiaire de leur président Richard Nixon mirent fin unilatéralement aux accords de Bretton Woods en suspendant provisoirement la convertibilité du dollar en or. Et ceci pour une raison simple, ils ne souhaitaient pas voir disparaître leur réserve d’or. Comme ils refusaient de dévaluer leur monnaie, ils n’avaient en effet déjà plus assez d’or pour couvrir l’extraordinaire masse de dollars qu’ils avaient mis en circulation.
 

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