Le sommet Etats-Unis-Afrique tiendra-t-il ses promesses ?

Le sommet Etats-Unis-Afrique se termine à Washington. Espérons des résultats concrets loin des promesses stériles pour ce continent vital enjeu du XXIe siècle. Quelles sont les perspectives de cette rencontre en ce début du mois d’août 2014, objet de cette contribution qui constitue une synthèse réactualisée de mon intervention «Face aux enjeux géostratégiques, le développement et la sécurité de l’Afrique doit se fonder sur l’Etat de droit et la bonne gouvernance» à l’invitation de «L’Alliance pour refonder la gouvernance en Afrique (ARGA)», constituée d’importants acteurs africains et non africains, qui a organisé en relation avec le ministère français des Affaires étrangères une rencontre internationale du 26 au 30 janvier 2014 à Rabat sur le thème : «L’Afrique doit réinventer son économie», en présence de plusieurs ministres, opérateurs et experts ?
1. Le développement de l ’Afrique enjeu du XXIe siècle
Distancés notamment par la Chine, les Etats-Unis cherchent à combler leur retard commercial en Afrique. En 2013, les échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine ont totalisé 210 milliards de dollars, plus du double de ceux entre les Etats-Unis et le continent (85 milliards). «Il y a vingt ans, 80% du commerce de l'Afrique subsaharienne se faisait avec ses partenaires traditionnels en Europe et aux Etats-Unis. Aujourd'hui, c'est moins de 50% et l'autre 50%, c’est avec les marchés émergents en Chine, au Brésil, en Inde. Les Etats-Unis, première économie du monde, sont seulement le troisième partenaire économique de l’Afrique, après l’Union européenne. Aussi, ce sommet vise pour les Américains, selon les analystes, à «recadrer» leur engagement envers l’Afrique en raison de la «nouvelle concurrence» de la Chine. Lors de cette rencontre, le président des Etats-Unis, Barack Obama, a annoncé, mardi, la mobilisation de plus de 30 milliards de dollars – aide publique et investissements privés – à destination de l’Afrique, appelant les dirigeants du continent à créer un environnement propice aux affaires. L’Afrique couvre 30,353 millions de km2. La population est passée de 966 millions d’habitants en 2009 à 1 075 millions, mais sept pays regroupent 51% de la population. En 2020, la population africaine devrait passer à 1,3 milliard et à 2 milliards en 2040. Mais il existe non pas une Afrique, mais des Afriques. Pour l’instant, en référence à l’année 2011, selon l’IRES de Paris, l’Afrique représente seulement 1,5% du PIB mondial, 2% du commerce mondial et 2% à 3% des investissements directs étrangers. Or, selon un rapport de la Banque africaine de développement (BAD-2013), le commerce interafricain n’est que de 15% sur tout le continent, les échanges intermaghrébins représentant également moins de 3%. Les raisons sont multiples : manque de capitaux, d’infrastructures et mauvaise gouvernance. Sans compter les taxes douanières qui coûtent très cher. Tous ces problèmes de logistiques associés «au manque de compétence des ressources humaines constituent un sérieux frein à la fluidité des échanges alors qu’une entreprise a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée ». Certes, des organisations telles que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ou la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (Ceeac) existent. Mais plusieurs dissensions entravent leur bon fonctionnement. Se pose essentiellement le problème de la sécurité et de la stabilité des Etats qui doivent se fonder sur des valeurs démocratiques. Et là se pose la problématique des tensions au Sahel. Nous avons assisté dans la région à de profondes mutations de la géopolitique saharienne après l’effondrement du régime libyen, avec des conséquences pour la région et avant l’intervention française à la sécession du Nord-Mali. Déjà, les rapports entre le Sahel et la Libye de Kadhafi étaient complexes jouant sur les rivalités tribales, et les asservissant grâce à la rente des hydrocarbures. Kadhafi disparu, ce pays n’ayant jamais eu d’Etat au sens proprement dit, des centaines de milliers d’armes, dont 15 000 missiles sol-air, étaient dans les entrepôts de l’armée libyenne, puis ont équipé les rebelles au fur et à mesure de leur avancée, dont une partie a été accaparée par différents groupes qui opèrent au Sahel. Le directeur du FBI, James Comey, a affirmé le 14 novembre 2013 devant le Congrès qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) constituait une forte menace aux intérêts américains et occidentaux dans la région de l’Afrique du Nord et du Sahel. Il existe par ailleurs la barrière de la langue et de la culture entre les pays de la zone francophone et anglophone qui ne facilite pas le développement de l’intégration régionale. Et surtout l’importance du poids de l’informel en Afrique, variant selon les pays, mais dépassant d’une manière générale 50% à 60% de la superficie économique pour certains pays employant plus de 70% de la main-d’œuvre. Selon le Bureau in¬ter¬na¬tio¬nal du travail (BIT), ce secteur fournit ainsi 72% des emplois en Afrique subsaharienne, dont 93% des nouveaux emplois créés, en comparaison du secteur formel qui n’emploie que près de 10% des actifs sur le continent. Au Maghreb (voir étude réalisée sous ma direction pour l’Institut français des relations internationales, Paris -IFI décembre 2013), elle dépasse les 50% de la superficie économique. Rappelons que déjà, le 23 octobre 2001, au sommet de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) qui s’est tenu à Abuja, trois chefs d’Etat africains, constatant l’échec de tous les efforts fournis en matière de développement en Afrique, ont pris l’initiative de proposer une nouvelle approche dans le traitement des problèmes que vit le continent. Cette initiative a été une synthèse entre deux plans : celui de l’Algérie et de l’Afrique du Sud appelé «Millenium African Plan» (MAP) et celui du Sénégal (permettant à la France de se positionner) dénommé plan Omega. Ces deux plans sont fusionnés pour donner la «Nouvelle initiative africaine» (NIA). La NIA prendra plus tard le nom de «Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique» ou Nepad (de l’anglais «New Partnership for African Development»). Le Nepad avait été conçu pour faire face aux difficultés que connaît le continent africain actuellement, hélas !, son impact est très mitigé pour ne pas dire nul. L’objectif au départ du Nepad était par exemple de traduire en actes concrets notamment le problème de l’eau et de l’énergie. L’enjeu du développement de l’agriculture qui devait reposer plus sur les cultures vivrières est un enjeu majeur du continent. Force est de constater que le bilan est très mitigé.
2. La moralité des dirigeants fondement du développement de l'Afrique
Le rapport conjoint BAD-GFI diffusé le 29 mai 2013 met en relief le fait que l’Afrique a pâti de sorties nettes de fonds de l’ordre de 597 milliards de dollars à 1 400 milliards de dollars, entre 1980 et 2009, après ajustement des transferts nets enregistrés pour les flux financiers sortants frauduleux, et que la fuite des ressources hors de l’Afrique au cours des trente dernières années – l’équivalent du PIB actuel de l’Afrique – freine le décollage du continent. Ainsi, les dirigeants africains portent une lourde responsabilité devant leur population et doivent favoriser l’Etat de droit, la bonne gouvernance, donc, la lutte contre la corruption et les mentalités tribales, la protection des droits de l’Homme et s’engager résolument dans la réforme globale, donc la démocratisation de leur société tenant compte de l’anthropologie culturelle évitant de plaquer des schémas déconnectés des réalités sociales. Le développement de l’Afrique sera profitable à l’ensemble des autres espaces économiques évitant cette migration clandestine avec des milliers de morts. Dans le cas contraire, il est à craindre des crises politiques à répétition, les pays d’Afrique seront alors à l’aube d’une crise majeure. Bon nombre de citoyens africains traversent une crise morale du fait du manque de valeurs au niveau du leadership avec le danger d’une polarisation de la société. Le fossé entre les riches et les pauvres devient de plus en plus grand. L’écart de revenus renforce les inégalités en matière de richesse, d’éducation, de santé et de mobilité sociale. Je mets en garde contre les conséquences pernicieuses du chômage. Cependant, évitons la sinistrose, où nous avons récemment, malgré des conflits, enregistré une nette amélioration dans bon nombre de pays d’Afrique, constat partagé par bon nombre d’observateurs internationaux. C’est ce qui explique que parallèlement au sommet des chefs d’Etat, se sont tenus entre 2009 et 2013 plusieurs forums économiques regroupant plusieurs centaines de personnalités africaines et des deux rives de la Méditerranée, afin de dynamiser le développement de l’Afrique dans le cadre de co-partenariats et des co-localisations. La nouvelle réunion qui se tient à Washington n’en est que le prolongement, et doit tenir compte de la rivalité du couple Etats-Unis/Europe –Chine pour le contrôle économique de ce continent vital. L’erreur fatale serait d’opposer en ce XXIe siècle les Etats-Unis et l’Europe qui ont le même objectif stratégique, bien qu’existant certaines rivalités tactiques de court terme, la stratégie des firmes transnationales tendant à atténuer les divergences et uniformiser les relations internationales. Ainsi, l’Afrique, pour peu que les dirigeants dépassent leurs visions étroites d’une autre époque, a toutes les potentialités pour devenir un grand continent avec une influence économique dans la mesure où en ce XXIe siècle l’ère des micro-Etats est révolue et que la puissance militaire est déterminée par la puissance économique. Pour cela, des stratégies d’adaptation au nouveau monde sont nécessaires pour l’Afrique, étant multiples, nationales, régionales ou globales, mettant en compétition/confrontation des acteurs de dimensions et de puissances différentes et inégales. Le continent Afrique est un enjeu géostratégique majeur au XXIe siècle avec plus de 25% de la population mondiale à l’horizon 2030/2040, avec d’importantes ressources non exploitées, sous réserve d’une meilleure gouvernance et d’intégrations sous-régionales. L’Afrique, dont le Maghreb sous-segment de l’Afrique du Nord devant servir de pont entre l’Europe et l’Afrique noire, est appelée à se déterminer par rapport à des questions cruciales et de relever des défis dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils dépassent en importance et en ampleur les défis qu’elle a eus à relever jusqu’à présent. En bref, le dialogue des civilisations s’avère plus que jamais nécessaire à la cohabitation entre les peuples et les nations. La réunion initiée par les Etats-Unis d’Amérique est louable et les responsabilités partagées en levant les obstacles à la mise en œuvre d’affaires communes, notamment la lutte contre la bureaucratie qui engendre le fléau de la corruption et l’adaptation du système socio-éducatif, la ressource humaine étant le pilier de tout processus de développement. Or, une enquête menée en 2012 par l'UA/Nepad dans 19 pays africains montre que seuls le Malawi, l'Ouganda et l'Afrique du Sud investissent plus de 1% de leur PIB dans la Recherche-développement (R-D), contre de 0,2% à 0,5% pour les autres. Le rapport précité de l'Unesco souligne que l’Afrique ne consacre que 0,3% du PIB en moyenne à la R-D. C'est sept fois moins que l'investissement réalisé dans les pays industrialisés. Tous ces facteurs fondamentaux renvoient tant à l’urgence d’une autre gouvernance tant mondiale que locale. En bref, les Africains devant être conscients que dans les relations internationales actuelles n’existent que des intérêts devant favoriser des co-partenariats, pour une prospérité partagée, loin des anciens préjugés de domination.
Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international

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