Film El-Ouahrani : le syndrome du «cafard» de Lyes Salem

A l’occasion de la sortie en salle du film polémique El-Ouahrani, la presse nationale félicite l’apport de ce film à la liberté d’expression en Algérie. Ce film – qui dresse un tableau noir du parcours de l’Etat algérien durant un quart de siècle après l’indépendance – est financé et promu par le ministère de la Culture algérien ! L’Etat a payé pour se faire insulter et faire insulter le peuple algérien par le biais d’une coproduction cinématographique franco-algérienne. Par souci de promotion des arts et de la liberté d’expression, le ministère de la Culture a donné à un réalisateur franco-algérien les moyens de souiller la mémoire d’une révolution et d’une nation, jusqu’à adopter le langage de l’esclavagiste colonialiste pied-noir, et sa bien douloureuse et abjecte insulte envers l’Arabe : «Sale race.» Depuis l’avant-première du film El-Ouahrani, je me suis intéressé à cette œuvre, vu la polémique qu’elle a suscitée. Mais dans cette diversité de déclarations médiatiques et d’articles journalistiques, je n’ai point trouvé de critique cinématographique objective et professionnelle envers le film ; la presse n’a fait que saluer le courage du «talentueux cinéaste» Lyes Salem. A l’occasion de sa sortie nationale, j’ai tenu à assister à la projection à la cinémathèque de Sidi Bel-Abbès. J’étais content de savoir que le réalisateur sera présent pour débattre de son film ; j’ai pris une feuille et un stylo, puis à l’aide de la petite lampe de mon mobile, j’ai commencé à noter mes remarques pour les débattre ensuite avec le réalisateur. Contrairement à ce que j’attendais, j’ai rempli la feuille de notes, j’ai tiré une deuxième de mon cartable, et au fur et à mesure de la progression des séquences du film j’ai tiré une troisième puis une quatrième feuille de notes : j’étais ulcéré par la manipulation, la péjoration, la mauvaise intention et la bassesse des propos utilisés dans ce film ! A la fin de la projection, j’étais très embêté : comment j’allais pouvoir débattre de quatre pages de notes dans une salle à moitié remplie par de jeunes étudiants en cinéma. Depuis 2007, le cinéma algérien a connu une certaine productivité, c’est alors que j’ai pu voir un Jean-Pierre Lledo monter sur une estrade, pour dire clairement : «Certains l’appellent la guerre de Libération, moi je l’appelle guerre d’Algérie», sous les applaudissements d’un groupe de cinéphiles humanoïdes conditionnés. Dans son film (financé par le ministère algérien de la Culture) titré «Ne reste dans l’oued que ses galets», on est traité de galets, dans la même tradition péjorative coloniale de l’Arabe : «bicot, salle race», que nous inculquera plus tard Lyes Salem. Je suis resté stoïque devant cette bizarrerie de la nature, que je n’arrivais pas à comprendre. Plus le ministère algérien de la Culture fournissait de moyens pour la promotion du cinéma algérien, plus l’aliénation de notre élite intellectuelle francophone émergeait à la surface. On verra un Mehdi Charef, justifier le drapeau algérien mis à terre dans son film «Cartouche gauloise» (financement algérien), par le fait qu’il (le drapeau) est retourné à sa terre – ça fait presque rire. On verra une Yasmina Adi justifier la non-présence d’illustrations des tueries du 8 mai 45 dans son documentaire «L’autre 8 Mai 45» (financement algérien) par le souci de rigueur : les Algériens filmés morts dans les années 50 ne s’habillaient pas comme les Algériens morts le 8 mai 45 ! En fait, elle ne pouvait pas cacher que son œuvre est produite dans le but d’atténuer le choc des massacres du 8 mai 45. J’ai vu encore des quotidiens francophones promouvoir et saluer le film «La chine est encore loin» de Malek Bensmail (financement algérien) ; ce film nous documente sur les difficultés des enfants dans le village de Ghassira, là où eût lieu le premier attentat de la révolution algérienne contre la colonisation. L’idée du film est que notre révolution était vaine. Il y a eu aussi les films de Merzak Alouache (le professionnel du dénigrement de ses concitoyens), comme le film «Normal» et d’autres encore. On pourra continuer longtemps à lister les sous-messages néfastes et destructeurs véhiculés par des œuvres artistiques algériennes, financées par notre ministère de la Culture sans conscience des dangers qui vont en résulter : une opinion publique déformée, qui sert plus les intérêts de nos adversaires français (qui sont toujours derrière ces œuvres), et ceux des impérialistes et des sionistes. Durant toutes ces années, je pouvais constater clairement et sans ambiguïté le schéma destructeur, conçu et perpétré par nos pseudo-intellectuels francophones, mais ce qui dépasse toute compréhension, c’est leur motivation, et leur état d’esprit. Avec le film El-Ouahrani de Lyes Salem et le débat qui l’a suivi ; j’avais enfin tout compris. Au premier abord, je n’avais pas reconnu le cinéaste, il paraissait plus petit, plus brun et plus maigre que dans ses films. Mais ce qui m’a le plus surpris, c’est son hystérie vis- à-vis de mon opposition aux thèses du film. Lyes Salem a presque suffoqué dès ma première critique, il a commencé à se mettre dans tous ses états sans vraiment argumenter ; après s’être calmé, il a commencé à répondre agréablement aux flatteries du public et à quelques questions – sans intérêt –d’ordre esthétique; à ma deuxième intervention, il reprend son hystérie pour me qualifier de cafard, ce qui m’a naturellement surpris, puis énervé, mais j’ai tout de suite compris qu’il a longtemps lui-même souffert de cette qualification, inutilisée dans la société algérienne, mais qui a longtemps fait souffrir l’émigration algérienne et arabe en France, dont est issu Lyes Salem. C’était l’un des qualificatifs péjoratifs à l’encontre du Beur en France, et là j’ai eu un peu pitié de lui ; le cinéaste que je respectais pour son talent – malgré mon opposition à ses idéaux – est devenu tout d’un coup fragile, instable et abject. J’avais auparavant lu sa biographie et suivi son parcours depuis le film «Mascarade» ; je me suis rappelé que dans une interview, il s’était identifié au personnage de son film qui souffrait de la non-considération de ses concitoyens, ce qui l’a poussé à chercher une ruse pour se donner de l’importance à n’importe quel moyen. Du coup, tout était clair pour moi, j’avais trouvé en Lyes Salem ma réponse, j’avais enfin assimilé l’état d’esprit et les motivations de nos pseudo-intellectuels francophones algériens ; grâce au film El-Ouahrani, j’avais compris leurs lacunes – un film qui fait la synthèse de tous les idéaux idiots de ces prédécesseurs. Le comportement de Lyes Salem m’a, en fait, rappelé une étonnante maladie psychologique dont souffraient certains esclaves noirs américains. Le pauvre esclave – selon des études psychologiques de ce cas – s’identifiait comme membre du corps de son maître esclavagiste ; l’esclave devenait plus brutal que son maître à l’encontre de ses semblables noirs ; plus encore, les psychologues à l’origine de cette étude ont remarqué que dans ce cas de maladie, l’esclave tombait automatiquement et physiquement malade à la vue de son maître soufrant d’un quelconque mal, il devenait même fiévreux, n’arrivant même pas se mettre debout dans certains cas. J’avais donc compris que certains de nos intellectuels francophones souffraient de cette maladie psychologique, et que dans leur cas, elle était génétiquement transmissible (elle leur a été transmise par leurs parents esclaves durant l’époque coloniale française). Puisque je n’ai pas réussi à me rappeler le nom de cette maladie, j’ai décidé de la rebaptiser chez nos pauvres intellectuels aliénés : «Le syndrome du cafard de Lyes Salem».
Un film mal né
Dans cette volonté de synthèse des idéaux pervertis de certains intellectuels algériens, Lyes Salem enfante un film mal né : un croisement entre politique néocoloniale française et résidu harki assumé algérien. C’est cette volonté acharnée de destruction identitaire (avec tous ses repères) qui aura raison d’un film qui aurait pu être une réussite. Le récit commence par une introduction hasardeuse de Djaâfar (personnage principal du film), dans la guerre de Libération nationale, dont il en sort un héros après une ellipse de 5 ans – ce qui nous prive de ces actes héroïques prétendus. Il est cité comme officier de la révolution à l’indépendance.
Djaâfar retourne chez lui pour découvrir le drame : son épouse violée par un pied-noir s’est suicidée après avoir accouché d’un garçon issu du viol. S’en suit alors une continuelle acceptation de tout ce qui se présente (comme ça a été le cas de sa participation à la révolution) ; de l’enfant blanc aux yeux bleus, qu’il accepte comme sien, au titre de chef après la révolution, jusqu’aux pratiques perverses que le réalisateur s’étale à décrire durant les deux heures qui suivent les prémices. Cette volonté de description subjective et diffamatoire a eu raison de la bonne construction du film, qui était pourtant bien introduit. A vouloir trop exprimer ses idées, basées sur des stéréotypes français sur l’Algérie – qu’on a fini par apprendre par cœur –, Lyes Salem voyage à travers les 25 ans qu’il voulait décrire, par des ellipses brutales et mal orchestrées : un jeune public ne s’aurait reconnaître les phases d’histoire que le réalisateur survole, surtout avec un maquillage qui ne donne pas vraiment l’âge de ses personnages. Mais reconnaître les époques n’était pas très important pour le réalisateur, l’essentiel pour lui était d’exprimer abondamment ses stéréotypes, même au détriment de l’histoire qu’il a imaginée. A titre d’exemple, arrivé au milieu du film, on ne sait même pas ce qu’on est en train d’attendre, on n’a aucun questionnement, aucune interrogation, on ne s’attend à rien, on ne comprend même pas le profil psychologique des personnages, même pas celui de Djaâfar. Le réalisateur a clairement bâclé le développement de son film.
Arrivé à la fin, on constate que rien n’est réglé, en fait, il n’y avait rien à régler, vu que Djaâfar accepte la progéniture de sa femme comme étant son fils, dès le début du film ; après, il accepte la médiocrité de l’élite au pouvoir algérien de l’époque (selon lui), en étant l’un des chefs hauts placés de l’Etat indépendant, sans aucun conflit, ni intérieur ni extérieur. Vu l’absence de construction ou d’idée claire, certains critiques (ceux qui ne connaissent pas la réalité algérienne) seraient amenés à considérer El-Ouahrani comme «une fresque historique exhaustive» sur l’Algérie indépendante ; mais connaissant les rouages, les vices, les tenants et aboutissants du cinéma algérien ou franco-algérien, on comprendra vite que ce film, parmi d’autres, n’est qu’une diarrhée de réflexions, causée par l’ingurgitation (abondante et rapide) de produits intellectuels non comestibles. Il faut quand même saluer une touche artistique rarissime en cinéma, inspirée, dans sa forme, du théâtre du goual (le diseur en scène) d’Alloula, qui renvoie au théâtre grec, finement utilisé pour introduire l’histoire, puis pour la conclure à la fin. Un goual interprété par un majestueux Amazigh Kateb ; malheureusement, même le goual n’a pas échappé à la règle de Lyes Salem, il finit par succomber à l’appât du gain, il finit par se produire dans un cabaret. S’il y a à saluer le jeu des acteurs, il faut tout de même noter une bizarrerie : le cinéaste a volontairement filmé ses personnages en grandeur exagérée, ce qui est à l’opposé de l’image de décadence qu’il veut véhiculer, mais faisant des lectures de la personnalité de Lyes Salem «le réalisateur», on peut arriver à la conclusion que c’était un souci esthétique de bien paraître, pour soigner l’image de marque de Lyes Salem «le comédien». Drôle de concept.
A la fin, c’est un film à ne pas considérer.
Chahrayar Boulberdaa
 

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